Contre-courant

Publié le 01/12/2009 à 00:00

Contre-courant

Publié le 01/12/2009 à 00:00

Près de 1,2 milliard d'êtres humains sont toujours privés d'eau potable. On a l'impression que le dossier stagne. Pourtant, partout dans le monde, des solutions jaillissent pour mieux gérer, conserver et réutiliser l'or bleu.

On n'aurait jamais cru la chose possible. Et pourtant... Alors que la population des États-Unis a augmenté de 5 %, sa consommation d'eau a diminué de 1 %. Ces statistiques toutes récentes sont tirées du " US Geological Survey " du 29 octobre dernier. " C'est la preuve qu'un changement remarquable est en cours et qu'on se dirige vers une utilisation plus efficace de l'eau ", se réjouit le scientifique américain Peter Gleick, membre du Forum Mondial sur la sécurité de l'eau et auteur du rapport bisannuel " The World's Water ". Voilà 22 ans que le think tank qu'il a fondé, le Pacific Institute, exhorte la population de la planète et les décideurs à revoir la gestion, l'utilisation et la consommation de l'eau. Selon le US Geological Survey, c'est chose faite. Ainsi, avec 100 gallons d'eau, les Américains fabriquent trois fois plus de biens qu'il y a 30 ans. Les entreprises de la plus grande économie du monde ont donc appris à produire avec moins d'eau.

Cependant, toutes les nouvelles ne sont pas aussi réjouissantes, nuance Peter Gleick. La rivière Colorado s'assèche d'année en année. La tension monte entre l'Alabama, la Floride et la Géorgie à propos du partage des eaux transfrontalières. La Californie est au bord d'une crise de l'eau, et son gouverneur, de la crise de nerfs. La pluie ne tombe plus sur le sud le l'Australie ni sur celui de l'Alberta. En Andalousie, l'été, les industries du tourisme et de l'agriculture s'arrachent les gouttes d'eau. Et plus d'un milliard d'êtres humains n'ont toujours pas accès à de l'eau potable.

L'expression " crise de l'eau " paraît de plus en plus fréquemment dans les médias. Certains experts, comme l'activiste australien Tim Flannery, s'en réjouissent. Figure emblématique de la lutte contre le réchauffement climatique, celui qui a été nommé " Australien de l'année " en 2008 parle de situation critique. " L'an dernier, les agriculteurs du sud de l'Australie ont eu droit à peine à 9 % de leur allocation annuelle en eau. Dans certaines collectivités, il a fallu établir des groupes de prévention du suicide. Pendant ce temps, les habitants d'Adélaïde continuent d'arroser leurs rosiers ! " dénonce l'auteur du best-seller The Weather Makers, qui siège au comité scientifique de la Fondation Albert II de Monaco pour la sauvegarde de l'environnement.

Asit K. Biswat ne partage pas l'alarmisme de Tim Flannery. Et il condamne la couverture que font les journalistes de cette question. " Il n'y a pas de crise de l'eau ", tranche cet Indien, qui a reçu le Prix international de l'eau de Stockholm pour sa contribution à la recherche sur les enjeux de l'eau, et à l'éducation et à la sensibilisation à ces questions. " Il y a bien assez d'eau sur terre pour désaltérer même les habitants des régions les plus arides, à condition de la gérer adéquatement ", déclare cet expert qui conseille six agences des Nations Unies ainsi que les chefs d'État de 17 pays. Il marque une pause, puis ajoute : " Le principal problème de l'eau, c'est que tout le monde s'attend à ce qu'elle soit gratuite. Tant qu'il en sera ainsi, il n'y en aura pas assez pour tout le monde, c'est certain ".

À eux deux, ces stars de l'eau illustrent la complexité de cet enjeu. Au cours des douze prochains mois, plus de 89 événements parleront de l'eau à tout point de vue. Pour chaque Tim Flannery que vous croiserez à un de ces événements, vous rencontrerez aussi un Asit K. Biswat.

Faut-il privatiser la distribution ? Quel prix les citoyens doivent-ils payer leur eau ? Tout le monde doit-il payer ? Qui doit prioriser les usages de l'eau ? Sur quelle base ? De combien d'eau un être humain a-t-il besoin pour survivre ? Tous ces enjeux font peu à peu surface. " Jusqu'à présent, on a peu progressé parce que l'eau était un problème de pays pauvres, contrairement aux changements climatiques qui, eux, se sont manifestés partout. Ce n'est plus vrai ", résume avec justesse Bernard Fautrier, directeur général de la Fondation Albert II de Monaco, consacrée à l'environnement. En effet, même chez nos riches voisins de l'Alberta, l'eau se fait rare.

GOUTTE À GOUTTE

37 ans de conférences... quelques engagements

1972

Conférence des Nations Unies sur l'environnement, Stockholm : déclaration pour préserver et enrichir l'environnement.

1977

Conférence des Nations Unies sur l'eau, Mar Del Plata : plan d'action pour l'évaluation et l'utilisation des ressources en eau.

1981-1990

Décennie internationale des Nations Unies pour l'eau potable et l'assainissement. Les objectifs non pas été atteints, mais la prise de conscience est plus profonde.

1990

Sommet mondial pour les enfants, New York : promouvoir l'approvisionnement en eau et l'assainissement. Consultation mondiale sur l'approvisionnement en eau et l'assainissement pour les années 1990, New Delhi. Déclaration : " Un peu pour tous vaut mieux que beaucoup pour peu de monde ". Concept de gestion intégrée des ressources en eau.

1992

Principes de Dublin 1. L'eau douce - ressource fragile et non renouvelable - est indispensable à la vie, au développement et à l'environnement. 2. La gestion et la mise en valeur des ressources en eau doivent associer utilisateurs, planificateurs et décideurs à tous les échelons. 3. Les femmes jouent un rôle essentiel dans l'approvisionnement, la gestion et la préservation de l'eau. 4. L'eau, utilisée à de multiples fins, a une valeur économique et devrait donc être reconnue comme bien économique.

Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement, Rio De Janeiro : déclaration de Rio pour une gestion globale de l'eau douce et des partenariats.

1994

Conférence internationale des Nations Unies sur la population et le développement, Le Caire : plan d'action pour que les facteurs relatifs à la population, à l'environnement et à l'éradication de la pauvreté soient intégrés dans les politiques, plans et programmes de développement durable.

Conférence ministérielle sur l'eau potable et l'assainissement, Noordwijk : priorité aux programmes visant à fournir des systèmes de base d'assainissement et d'évacuation des excréments dans les zones urbaines et rurales.

1995

Sommet mondial sur le développement social (pauvreté, approvisionnement en eau et assainissement), Copenhague : déclaration. 4e Conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes, Beijing : déclaration et plateforme d'action pour mettre l'eau potable à la disposition de tous.

1996

Sommet mondial de l'alimentation (alimentation, santé, eau et assainissement), Rome : déclaration sur la sécurité alimentaire mondiale.

2e Conférence des Nations Unies sur les établissements humains, Istanbul : promouvoir des cadres de vie sains, grâce, en particulier, à l'approvisionnement en eau salubre en quantité suffisante et à une gestion efficace des déchets.

1997

1er Forum mondial de l'eau, Marrakech : déclaration pour reconnaître le besoin humain fondamental d'avoir accès à l'eau saine et à l'assainissement, pour établir un mécanisme efficace pour la gestion d'eaux partagées, pour soutenir et conserver les écosystèmes et pour encourager l'utilisation efficace de l'eau.

2000

Déclaration du Millénaire des Nations Unies : " Nous décidons [...] de réduire de moitié, d'ici 2015, la proportion des personnes qui n'ont pas accès à l'eau potable ou qui n'ont pas les moyens de s'en procurer ".

2e Forum mondial de l'eau, La Haye : l'eau pour les hommes, l'eau pour l'alimentation, l'eau et la nature, l'eau dans les rivières, la souveraineté, éducation sur le partage des eaux entre bassins.

Déclaration ministérielle sur la sécurité de l'eau au XXIe siècle.

Directive-cadre dans le domaine de l'eau de l'Union européenne pour la protection et la gestion des eaux.

2001

Conférence internationale sur l'eau douce, Bonn : recommandation d'agir en priorité dans les trois domaines suivants : gouvernance, mobilisation des ressources financières, renforcement des capacités et mise en commun des connaissances.

2002

Sommet mondial sur le développement durable, Rio +10, Johannesburg : plan d'application pour l'élimination de la pauvreté, l'assainissement, l'énergie, le financement et la gestion intégrée des ressources en eau.

2003

Année internationale de l'eau douce

3e Forum mondial de l'eau, Kyoto : déclaration ministérielle pour la gouvernance, la gestion intégrée des ressources en eau, le financement, la coopération, l'efficacité de l'utilisation de l'eau, la prévention de la pollution des eaux, la réduction des désastres.

1er Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau.

2005

Début de la décennie internationale " L'eau, source de vie ".

2006

4e Forum mondial de l'eau, Mexico : déclaration ministérielle pour réaffirmer le rôle crucial de l'eau et en particulier de l'eau douce dans tous les domaines liés au développement durable.

2e Rapport mondial des Nations Unies sur la mise en valeur des ressources en eau.

2009

5e Forum mondial sur l'eau, Istanbul : déclaration des chefs d'État sur la solidarité de l'eau et la sécurité ainsi que des outils pour affronter les changements climatiques ; Istanbul Water Guide (140 recommandations pour améliorer la gestion et la sécurité de l'eau) et Consensus d'Istanbul, un plan d'action et des stratégies signé par 200 villes pour affronter les défis urbains liés à l'eau. Un rapport sera fait au prochain forum de l'eau, en 2012.

L'EAU, UN DROIT DE L'HOMME ?

Personne ne conteste le fait que l'eau soit essentielle à la survie. Mais de là à l'inscrire dans la constitution... Lors du 5e Forum mondial sur l'eau (Istanbul, mars 2009), il a été impossible d'adopter une résolution à cet effet. Une trentaine de pays, dont l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la Bolivie, étaient d'accord. Le Canada et les États-Unis, entre autres, ont refusé. Leur argument : une telle convention pourrait soumettre les gouvernements à des demandes qu'ils sont incapables de satisfaire, ouvrant ainsi la voie à des poursuites. Ils se fondent pour cela sur la situation actuelle en Afrique du Sud, où la constitution reconnaît l'eau comme un droit de l'homme. Plusieurs poursuites ont été engagées par des citoyens contre le gouvernement de Prétoria.

En novembre 2008, l'avocate Catarina de Albuquerque a été mandatée par les Nations Unies pour étudier la question du droit universel à l'eau. Elle devra ensuite présenter ses recommandations.

En attendant, la Québécoise Sylvie Paquerot, l'Espagnol Pedro Arroyo et l'Italien Ricardo Petrella continuent de militer, chacun à sa manière, en faveur de cette reconnaissance.

Cofondatrice de l'Association québécoise pour un contrat de l'eau et membre du conseil de la Fondation One Drop, Sylvie Paquerot précise toutetois que " la reconnaissance de l'eau comme droit humain ne nie pas son aspect économique. L'eau est un facteur de production pour trop de biens pour que l'on rejette sa valeur économique. Ce n'est pas l'un ou l'autre, c'est l'un et l'autre. Il faut cesser de polariser le débat. "

Dans son manifeste, La nouvelle culture de l'eau du 21e siècle, Pedro Arroyo établit trois usages de l'eau : l'eau pour la vie (pour survivre), l'eau citoyenne (pour les besoins quotidiens) et l'eau économie (pour s'enrichir). " Les trois sont légitimes, mais il faut respecter leur priorité et ajuster le coût de chacune ", insiste ce professeur de l'Université de Saragosse, qui siège au comité scientifique de la Fondation One Drop.

Ricardo Petrella, auteur du Manifeste mondial de l'eau et fondateur du Groupe de Lisbonne, qui jette un regard critique sur la mondialisation, considère l'eau comme un bien commun, et que " toute politique implique un haut niveau de démocratie sur le plan local, national, continental et mondial ".

GÉRER

Une ressource rare et des intérêts divergents

La patate chaude albertaine

Plus de 1,4 million de pieds carrés, 200 magasins, 6 000 espaces de stationnement automobile... Inauguré en août dernier, le mégacentre commercial CrossIron Mills, dans la petite localité de Balzac, au nord de Calgary, est une patate chaude. Formidable moteur économique pour les uns, c'est plutôt " un gaspillage de l'eau " aux yeux de David Schindler, professeur d'hydrologie à l'Université de l'Alberta, qui ajoute : " Alors que Calgary manquera bientôt d'eau, on choisit d'alimenter des centres commerciaux en banlieue ! "

Red Deer a dit non. Drumheller et Calgary aussi. L'une après l'autre, ces trois villes ont refusé de vendre leurs licences d'eau aux promoteurs de CrossIron Mills pour qu'ils puissent alimenter leur centre commercial. Car en Alberta, l'attribution de l'eau repose sur le principe first come, first served. L'eau d'un territoire appartient à ses premiers occupants. Cette loi date de la ruée vers l'Ouest pour encourager les colons à s'y établir. Aujourd'hui, bon nombre la remettent en question, surtout dans un contexte de pénurie comme celui du sud de l'Alberta. Le gouvernement songe à créer un marché où l'on pourrait facilement vendre sa licence d'eau au plus méritant... ou au plus offrant.

C'est ce qu'ont fait les agriculteurs du Western District pour CrossIron Mills. Les promoteurs ont payé 15 millions de dollars en échange d'un approvisionnement en eau pour leur centre commercial pendant plusieurs années. Le vote a été serré : à peine 54 % des fermiers ont approuvé cette transaction. Les 15 millions de dollars serviront à mettre à niveau le réseau d'irrigation du Western District pour le rendre plus efficace.

" Comment le gouvernement a-t-il pu laisser faire ce transfert ? demande David Schindler, indigné. Une réallocation des licences est nécessaire, mais elle doit être encadrée. " Lorne Taylor est tout à fait d'accord. C'est pourquoi celui qui a imposé un gel des nouvelles licences d'eau alors qu'il était ministre de l'Environnement de l'Alberta a invité à Calgary 300 experts de pays où l'eau se fait rare, en mars dernier. On a parlé du marché de l'eau, où les droits d'utilisation s'échangent selon les besoins. Le défi : que ce marché soit assez fluide pour être efficace et suffisamment réglementé pour prévenir les abus. On a aussi évoqué la nécessité d'une irrigation plus efficiente pour réduire les pertes dues, entre autres, à l'évaporation. Il faut savoir que 70 % de l'eau utilisée dans le monde va à l'agriculture, 20 % à l'industrie et à peine 10 % sert à satisfaire aux besoins de la population. Il y a donc fort à faire en matière de réduction de la consommation d'eau du côté de l'agriculture.

D'ailleurs, les 300 participants de la réunion de mars ont abordé la question suivante : doit-on consacrer une eau qui se raréfie à des cultures qui rapportent peu ? C'est ce qu'Henry Vaux appelle " maximiser le rendement économique de l'eau ". " Les cultures aquavores doivent être remises en question, tout comme les cultures à faible valeur ajoutée ", souligne ce professeur et économiste de l'Université de Californie à Berkeley, qui a siégé à la National Water Commission et qui a dirigé le Water Resource Center en Californie. Un débat houleux en perspective. " Nous sommes incapables d'avoir une discussion publique et civilisée au sujet de l'eau. Les échanges deviennent vite émotifs ", déplore Lorne Taylor, aujourd'hui président du Alberta Water Research Institute, un think tank fondé en 2007.

Le marché de l'eau australien

Mike Young sait à quel point la gestion de l'eau est un sujet brûlant. Dans son pays, l'Australie, on a amorcé la réflexion il y a plus de dix ans déjà. Et aujourd'hui, Mike Young conseille le gouvernement de l'Alberta. " Changer un système d'allocation de l'eau est complexe, explique ce spécialiste de l'Université d'Adélaïde. Chacun défend ses privilèges. Si vous attendez une crise pour agir, vous n'aurez jamais le temps de rien régler. "

Malgré ses imperfections, le système de gestion de l'eau australien est, de l'avis de Mike Young, d'une grande efficacité. Les Australiens ont le choix. Ils peuvent acheter des parts de catégories A ou B. Les deux catégories donnent accès à la même quantité d'eau, cependant, la première coûte plus cher que la seconde. Pourquoi ? Les détenteurs de la catégorie A sont servis d'abord. Au citoyen d'évaluer s'il y a assez d'eau dans sa région pour que les détenteurs de catégorie B soient servis aussi, ou si le risque de pénurie est trop élevé. Les Australiens peuvent aussi acheter un volume d'eau dont le prix fluctue comme à la Bourse. Ce système de marché laisse beaucoup de pouvoir et de responsabilités aux mains des citoyens. Toutefois, il existe des organismes de réglementation qui supervisent le marché et interviennent en cas de conflit.

Au Chili aussi, il existe un marché de l'eau depuis 1981, maintes fois cité en exemple au cours des années 1980. La Banque mondiale a même fait pression pour que d'autres pays l'imitent. C'étaient les années Thatcher, on croyait alors que la main invisible pouvait tout régler, commente Sylvie Paquerot, professeure à l'Université d'Ottawa, cofondatrice de l'Association québécoise pour un contrat de l'eau et membre du conseil de la Fondation One Drop. Aujourd'hui, un bilan plus nuancé s'impose. L'approche " laissez-faire " du Chili s'est avérée un échec sur le plan du développement durable, de la priorisation des usages, de la gestion des conflits et de l'assistance aux plus démunis. Si un marché de l'eau peut être une solution, une libéralisation complète est incompatible avec une gestion saine et équitable de cette ressource.

Il y a 4 ans, Neslé utilisait 5 litres d'eau par dollar de vente. Aujourd'hui, elle en utilise 1,8 litre par dollar de vente.

CONSERVER

Une ressource qu'on laisse s'écouler

Le modèle idéal de gestion de l'eau n'existe pas. C'est une question de contexte et d'idéologie. Par contre, d'autres enjeux n'ont rien à voir avec l'idéologie et tout à voir avec le gros bon sens et l'argent. Prenez le dossier des fuites, par exemple. À Delhi, la moitié de l'eau ne se rend pas aux citoyens parce que les tuyaux coulent. À Barcelone, les pertes s'élèvent à 30 %, à Londres, à 28 %. Ce qui correspond à la moyenne des grandes capitales. Tokyo, pour sa part, est 1ère de classe, avec un score d'à peine 3,6 %. Sa recette : un suivi et une intervention quotidienne et des investissements importants. " Au cours des 20 prochaines années, chaque capitale devra prévoir 1 000 $ par habitant pour remplacer ses infrastructures de distribution d'eau qui sont vétustes et mal entretenues ", prévient Alexander Zehnder, qui a dirigé la plus grande agence de gestion d'eau de Suisse. En novembre, un sondage Angus Reid nous apprenait que près de 60 % des Montréalais considèrent la gestion de l'eau, de l'électricité et des égouts comme satisfaisante ou très satisfaisante. Sachant cela, les élus pourraient bien être tentés de repousser ces investissements pour consacrer l'argent à des mesures plus " visibles ".

Phnom Penh triomphe de la corruption

D'ailleurs, les élus sont à la fois le problème et la solution quant il s'agit de gestion de l'eau. Ainsi, on avance souvent qu'à cause de la corruption de leur gouvernement, il est impossible d'approvisionner certains citoyens en eau. L'incroyable histoire de Ek Son Chan, directeur du service d'eau de la ville de Phnom Penh, au Cambodge, prouve le contraire. Cet homme de 57 ans a fait face à des menaces de mort et a affronté l'armée de son pays, tout cela dans un contexte de dictature, pour établir un des systèmes de distribution de l'eau le plus fiable de la région. " Même les citoyens les plus pauvres y ont accès à l'eau potable ", souligne l'Indien Asit K. Biswat, qui a visité cette ville à l'automne 2009. En 1993, le service d'eau de Phnom Penh est déficitaire, inefficace et corrompu. Plus de 73 % de l'eau fuit des tuyaux. Premier geste de Ek Son Chan : congédier la majorité des employés, et ce, malgré les menaces de mort qu'il reçoit ! Second coup d'éclat du courageux directeur : fermer la valve d'alimentation d'eau du quartier général de l'armée, malgré le fusil du général pointé sur lui ! " L'armée était le plus important consommateur d'eau de la ville, et elle n'avait jamais payé un sou pour ce service. Il fallait en faire un exemple ", explique Asit K. Biswat. Le geste quasi suicidaire de Ek Son Chan rapporte : le lendemain, l'armée paie pour la première fois sa facture d'eau. Tous les médias en parlent. Le premier ministre du Cambodge s'en mêle et annonce que " plus aucun passe-droit ne sera toléré. Tout le monde doit payer pour l'eau qu'il utilise, sans quoi son approvisionnement sera interrompu ". En marge de ses coups d'éclat, Ek Son Chan installe des compteurs d'eau dans toutes les maisons grâce à une aide de 500 000 dollars du gouvernement français. L'argent sert aussi à informatiser l'information sur la consommation afin de permettre un suivi régulier. Le service d'eau de Phnom Penh est maintenant si rentable qu'il a récemment prêté 20 millions de dollars au gouvernement du Cambodge !

RÉUTILISER

Une ressource renouvelable

La Grande-Bretagne le fait, Israël aussi. Et Singapour en est la championne. " Si demain matin on m'accordait plein pouvoir pour la gestion de l'eau, je concentrerais les budgets sur le recyclage ", affirme l'activiste australien Tim Flannery. Prenez le cas de l'Andalousie, au sud de l'Espagne, illustre le Suisse Alexander Zehnder. L'été, on y fait pousser des fruits extrêmement aquavores (mangues, avocats, olives, etc.) alors qu'il ne pleut presque pas. Au même moment, des hordes de touristes débarquent. De quoi jeter de l'huile sur le feu. Pourtant, " il suffirait d'irriguer avec de l'eau recyclée, comme on le fait en Israël, dit Alexander Zehnder. Mais les Andalousiens rejettent plutôt leurs eaux usées dans la Méditerranée ". Les autorités de Singapour, elles, ont opté pour le recyclage.

La " nouvelle eau " de Singapour

On l'a judicieusement nommée " Nouvelle eau " (NEWater). Il s'agit de l'eau que Singapour récupère (pluie et eaux usées), traite et revend aux entreprises et aux citoyens. Actuellement, celle-ci comble 15 % des besoins de la ville. Un investissement rentable ? " Absolument, répond l'Indien Asit K. Biswat. Cette eau se vend plus cher que l'eau non recyclée ! " Pourquoi ? " Elle est plus pure, et pour l'industrie des semi-conducteurs, un énorme consommateur d'eau de cette région, cela fait toute la différence. "

" Pas question de boire l'eau des toilettes ! " scandent les Australiens lorsque leur gouvernement évoque la possibilité d'imiter Singapour. Il faut avouer que, même si le gouvernement de Singapour sert sa NEWater dans tous les événements publics et encourage le public à la boire, à peine 1 % de l'eau recyclée sert à la consommation humaine. Le reste est destiné à l'usage industriel. Le gouvernement compte faire grimper cette proportion à 3 % d'ici trois ans. " Préjugés ! dit Asit K. Biswart. Cette eau a meilleur goût que l'eau non traitée. "

La part de l'eau recyclée dans l'approvisionnement de Singapour devrait grimper à 30 % d'ici quelques années. Les autorités en ont fait une de leurs priorités. C'est qu'elles ont compris bien avant d'autres ce que signifie l'expression " crise de l'eau ". En 1965, le gouvernement malais a menacé Singapour de lui couper l'approvisionnement en eau. Une réaction à son accession à l'indépendance. À l'époque, 80 % de l'eau potable de Singapour vient de Malaisie. Quarante ans plus tard, ce chiffre est tombé à 40 %.

Ce que Singapoour pratique à grande échelle, d'autres villes le font ou planifient de le faire. Par la force des choses, le recyclage de l'eau gagne en popularité. C'est une avenue parmi d'autres pour assurer une meilleure gestion de l'eau. Elle répond bien à la situation particulière de cette ville où l'eau de pluie est abondante. Mais quel que soit le moyen choisi pour combler les besoins en eau des populations et des entreprises, un même principe devrait guider tous les États : " Au lieu de traiter l'eau, commençons par la traiter correctement ", conclut David Schindler, de l'Université de l'Alberta.

DE COMBIEN D'EAU UN ÊTRE HUMAIN A-T-IL BESOIN PAR JOUR ?

Minimum vital : entre 5 et 50 litres, selon la source consultée.

Consommation d'un Européen : entre 120 et 150 litres

Consommation d'un Nord-Américain : entre 400 et 500 litres

4 QUESTIONS À LILI-ANNA PERESA, directrice générale de la Fondation One Drop

1. One Drop est-elle une Fondation environnementale ?

Non, c'est une fondation sociale. Notre mission n'est pas de sauver des rivières. Pour nous, l'eau est un outil de lutte contre la pauvreté. Boire une eau saine prévient la maladie et permet de travailler. Avoir de quoi irriguer ses terres permet d'assurer sa sécurité alimentaire et de vendre le surplus.

2. À quoi ressemblent vos projets ?

Tous ont trois volets. D'abord, l'accès à l'eau potable. Ensuite, le microcrédit et l'éducation, pour qu'il y ait une suite après notre départ.

3. Les résultats ?

Nous avons débuté au Nicaragua en 2005. Aujourd'hui, les familles ciblées produisent deux à trois récoltes par an au lieu d'une, et il s'est créé un marché public où elles vendent leurs produits.

4. Une raison d'espérer ?

Le succès de la lutte contre le sida grâce à une offensive internationale, des politiques nationales et beaucoup d'argent venant du Fonds ONUSIDA. On peut répéter cette formule avec le dossier de l'eau. Mais il faut que chaque pays se donne une politique de l'eau [N.D.L.R. : ce que le Québec a fait en juin 2009] et s'engage financièrement dans l'aide aux pays pauvres.

diane.berard@transcontinental.ca

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