Marchés financiers: pour en finir avec la commission unique

Publié le 31/05/2010 à 14:39

Marchés financiers: pour en finir avec la commission unique

Publié le 31/05/2010 à 14:39

Jim Flaherty. Photo: Bloomberg

Les arguments en faveur d’une commission unique dans le secteur des valeurs mobilières ne résistent pas à l’analyse des faits, pas plus qu’ils ne sont fondés sur la réalité du marché canadien. Et la création d’un régulateur national balkaniserait un système qui mérite déjà une place de choix dans les palmarès internationaux.

C’est du moins ce que soutient Pierre Lortie, ex-président de plusieurs filiales de Bombardier et actuel conseiller principal, Affaires, chez Fraser Milner Casgrain, dans une étude non publiée qui circule présentement sur Internet.

Le document de travail, « Challenging Conventional Wisdom », déconstruit un à un les arguments avancés par les tenants d’un régulateur pancanadien.

D’abord, la prétention selon laquelle le système réglementaire canadien constitue un « embarras » sur la scène internationale se heurte aux analyses empiriques du monde universitaire, des régulateurs internationaux, du FMI et de l’OCDE, entre autres.

La réputation internationale

Ainsi, que ce soit au chapitre de la réglementation sur la concurrence, sur le système bancaire ou sur les valeurs mobilières, l’OCDE accorde presque systématiquement une meilleure note que les États-Unis, le Royaume-Uni ou l’Australie, les pays souvent cités en exemple par les tenants de la commission unique.

Le papier de Pierre Lortie relate notamment que le système déjà en place au pays se classe parmi les meilleurs au monde à plusieurs égards. D’une part, il se conforme aux normes éditées par l’Organisation internationale des commissions de valeurs, dont le Canada –et le Québec— sont des membres fondateurs…

En outre, dans presque toutes les comparaisons internationales sur la gouvernance corporative –un élément qui influence le coût du capital—, le Canada surpasse les États-Unis.

Citant des études réalisées dans des revues scientifiques, Pierre Lortie relève que l’efficacité système réglementaire canadien se classe deuxième parmi 49 pays.

Un corpus substantiel de données empiriques le confirme, écrit Pierre Lortie  : l’efficacité du Canada est équivalente à celle des États-Unis et surpasse celle de nombreuses autres juridictions. Ces études démontrent que pour la transparence des revenus, les règles sur les délits d’initiés, les restrictions à la vente à découvert, la divulgation financière et d’informations matérielles ou la protection des actionnaires minoritaires, le Canada n’a rien à envier aux autres, soutient Pierre Lortie.

Alors que l’OCDE classe le Canada deuxième au monde pour la qualité de sa réglementation en valeurs mobilières, devant l’Australie, les É.-U. et l’Angleterre, la Banque mondiale hisse le pays au 5è rang mondial pour la protection des investisseurs, toujours les trois pays cités en exemple.

« À moins que le Canada ne veuille déroger des normes internationales, écrit Pierre Lortie, un régime [réglementaire] centralisé ne ferait que dupliquer ce qui existe déjà. »

Le régime de passeport mis sur pied par les Commissions de valeurs du pays (ACVM) a d’ailleurs déjà créé de facto un régulateur national pour les émetteurs, poursuit Pierre Lortie.

Le coût du système

Pierre Lortie s’en prend ensuite à la rumeur voulant que le coût d’émission soit plus élevé au Canada. Selon l’Association des banquiers canadiens, dont les chiffres sont souvent cités en exemple, le coût d’émission augmente pour chaque nouvelle juridiction dans laquelle l’émission est inscrite. 

« Ces données sont trompeuses », rétorque Pierre Lortie. D’abord, on ne sait pas sur quoi l’ABC base ses chiffres. On peut cependant présumer que l’augmentation des coûts est relative à l’émission en Ontatrio –qui coûte plus cher—et au Québec, où la francisation des documents continuerait d’exister –et donc de coûter aux émetteurs—advenant une commission unique.

En outre, les chiffres de l’ABC ne tiennent pas compte du régime de passeport mis en place partout –sauf en Ontario—et qui permet de n’avoir affaire qu’avec un seul régulateur.

Par ailleurs, les données empiriques démontreraient, selon Pierre Lortie, que les coûts d’émission sont relativement similaires entre le Canada et les É.-U., sauf pour les petits émetteurs, qui doivent payer plus cher au sud de la frontière.

Sur ce point, la Banque du Canada a d’ailleurs écrit en 2006 que les études internationales « indiquent que le coût de l’équité au Canada et aux États-Unis est comparativement similaire à l’échelle internationale ».

Les études de la BDC relatent d’ailleurs que les groupes de travail fédéraux sur les valeurs mobilières, comme celui mis sur pied par Jim Flaherty, tiennent pour acquis que le coût des PAPE est plus élevé ici qu’ailleurs.

Cependant, la BDC écrit que « nos analyses ne peuvent conclurent avec certitude qu’il y a une différence de coût de l’équité entre le Canada et les États-Unis ». En fait, la différence de 30 à 50 points de base, au désavantage du Canada, observée entre 1988 et 2006, est attribuable au rendement obligataire et à la politique monétaire…

La concurrence canadienne

Autre pomme de discorde entre les pour et les contre du régime unique : la capacité du Canada à attirer les émetteurs internationaux.

Encore un mythe, selon Pierre Lortie, qui cite l’étude annuelle de la Ville de Londres : ce palmarès des centres financiers internationaux classe trois villes canadiennes parmi les 100 premières. Toronto (12), Vancouver (23) et Montréal (26).

En fait, parce que le Canada ne compte que 3 % de la capitalisation mondiale, il est pertinent de se demander si le monde financier a un quelconque intérêt pour le marché domestique. Cet intérêt est mesuré par le volume d’émissions de sociétés étrangères faites dans un pays donné.

Le choix du Canada est moins populaire que d’autres, c’est certain. Mais la réglementation n’a rien à voir avec cela, écrit Pierre Lortie. Par exemple, l’Allemagne a été la destination la plus populaire au monde en 2006, mais était classée 83e pour la qualité de son système réglementaire par la Banque mondiale en 2009. Le Canada était 5e.

Le fait est que la croissance des centres financiers asiatiques et la profondeur du marché européen qui peut retenir ses émetteurs jouent pour beaucoup dans l’attrait qu’une place boursière peut avoir.

Le phénomène est mondial : le nombre de doubles admissions en bourse (double listing) a tout simplement chuté de moitié entre 1997 et 2002. Les places boursières partout dans le monde deviennent tout simplement moins attirantes pour les émetteurs. Hong Kong, par exemple, ne comptait que pour 0,23 % de toutes les doubles émissions dans le monde en 2006.

Finata la commedia

C’est le titre de la conclusion de Pierrre Lortie, qui démonte plusieurs autres arguments tout au long de son texte. Comme celui voulant que la tradition nationale de réunir un consensus entre 13 commissions de valeurs soit une perte de temps et d’argent. « Au contraire, les régulateurs canadiens ont démontré au fil des ans que leurs forces principales sont d’être plus flexibles, une capacité d’adaptation aux changements, une meilleure écoute pour les besoins particuliers d’une industrie ou d’une région et l’assurance que l’adoption de règles » n’est pas politiquement motivée.

Il y a bien sûr l’exemple de l’interdiction de la vente à découvert faite au plus fort de la crise financière, septembre 2008. L’interdiction a été prononcée le même jour au Canada, aux Etats-Unis et en Angleterre, soit le 19 septembre 2008. Les nombreux exemples que sont les bases de données SEDAR, SEDI, BNI, illustrent également la coopération entre les régulateurs.

Quant à l’impossibilité pour le Canada de sévir adéquatement contre les filous, Pierre Lortie laisse entendre que le pire qui puisse arriver, c’est de confier la surveillance des marchés à un organisme fédéral.

D’une part, Ottawa a jusqu’ici été incapable de se doter de mécanismes efficaces pour contrer la criminalité financière. Les Équipes intégrées de la police des marchés financiers en sont un exemple. La réglementation sur le délit d’initié en est un autre : l’amendement au code criminel fait en 2004 pour punir le délit d’initié a été rédigé de telle façon qu’il est pratiquement impossible de sévir contre cette pratique.

Plus encore : le système légal canadien étant ce qu’il est, il résulte en un faible nombre d’accusations criminelles dans le cas de fraudes financières, il serait étonnant qu’un régulateur unique y change quoi que ce soit.

Sans compter que comme le montrent les Américains, seulement 17 % de toutes les causes portées devant les tribunaux sont le fait de la SEC. Le reste provient des entités régionales de réglementation.

Continuant avec de nombreux autres exemples comparant différentes agences américaines, européennes et canadiennes responsables de la réglementation des valeurs mobilières et du secteur des produits dérivés, l’étude de Pierre Lortie illustre que le régulateur unique ne changerait rien à la situation actuelle et qu’au mieux, il risque de la rendre pire qu’elle ne l’est maintenant.

« À court terme, écrit Pierre Lortie, l’initiative fédérale mine les efforts nécessaires pour maintenir l’harmonisation qui existe aujourd’hui. […] Cela pourrait se traduire par des impacts qui seraient contraires à ceux recherchés. »

En plus de coûter temps et argent, de dupliquer ce qui se fait déjà tout en abolissant la proximité nécessaire à une bonne application de la réglementation ou de repousser des actions plus urgentes comme la lutte à la criminalité financière.

Il n’a pas été possible de parler rapidement à Pierre Lortie pour cet article.

 

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