Roxham: Ottawa a versé 28M$ pour des baux aux entreprises d'un donateur libéral

Publié le 17/10/2022 à 19:15

Roxham: Ottawa a versé 28M$ pour des baux aux entreprises d'un donateur libéral

Publié le 17/10/2022 à 19:15

Par La Presse Canadienne

Le chemin Roxham, situé en Montérégie, est emprunté par une foule de demandeurs d’asile potentiels depuis 2017. (Photo: La Presse Canadienne)

Ottawa — Après s’y être refusé pendant des mois, le gouvernement fédéral dévoile finalement avoir déboursé 28 millions de dollars (M$) pour des baux conclus auprès d’entreprises d’un donateur libéral, Pierre Guay, en lien avec les passages irréguliers de migrants par le chemin Roxham.

Le montant figure dans un document envoyé lundi aux membres du comité de l’éthique de la Chambre des communes, le jour même où ils entendaient des témoins dans le cadre de leur enquête sur les dépenses liées au chemin Roxham.

Radio-Canada révélait récemment que, selon sa compilation, Ottawa a payé plus d’un demi-milliard $ en fonds publics pour rembourser des coûts défrayés par Québec ou pour payer des fournisseurs. Ces sommes ont notamment permis la location de terrains et d’hôtels, de même que l’installation de roulottes.

Le diffuseur public a relevé qu’il lui a été impossible de connaître la valeur de tous les contrats accordés par Ottawa puisque le gouvernement s’est caché derrière des exigences de confidentialité. Parmi ceux-ci, Radio-Canada a mentionné sept baux contractés sans appel d’offres auprès d’entreprises appartenant à Pierre Guay.

Le quotidien La Presse a également indiqué avoir tenté, en vain, d’obtenir les détails sur les sommes versées aux entreprises de M. Guay en présentant une demande d’accès à l’information.

Dans sa réponse écrite au comité de l’éthique, Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) rend finalement publique la valeur des baux. On indique que neuf baux ont été conclus pour «des terrains et locaux situés à proximité du poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle» entre mai 2017 et octobre 2022, dont cinq qui sont toujours actifs.

En date du 1er octobre dernier, 15,8M$ avaient été versés aux entreprises de Pierre Guay pour la location et 12,3M$ pour des travaux d’améliorations locatives. Par ailleurs, SPAC signale que les mêmes compagnies ont reçu 683 000$ pour «des contrats de service liés à l’entretien».

Comparaissant lundi devant le comité de l’éthique, Pierre Guay a assuré qu’il n’a effectué aucune de ses contributions politiques dans le but d’obtenir un quelconque traitement de faveur.

«Aucun de ces dons n’a été effectué en échange ou dans l’objectif ou l’espoir de signer, plusieurs années plus tard, quelque contrat que ce soit avec le gouvernement fédéral en place, quel qu’il soit», a-t-il affirmé aux élus.

Selon la base de données d’Élections Canada, M. Guay a donné des milliers de dollars en contributions au Parti libéral du Canada, mais aussi, dans une moindre mesure, au Parti conservateur du Canada lorsqu’il était au pouvoir.

M. Guay a ajouté, durant son témoignage, qu’il n’avait jamais sollicité ni entretenu des relations avec «quelque politicien que ce soit».

Il a plutôt raconté que des douaniers avaient «littéralement cogné à [sa] porte» puisqu’ils manquaient d’espace pour recevoir des demandeurs d’asile. Des discussions ont plus tard eu lieu avec des représentants de SPAC, a-t-il indiqué, précisant qu’aucun politicien ou titulaire de charge publique n’a interagi avec lui.

Un peu plut tôt lundi, des représentants de SPAC ont aussi soutenu qu’aucun élu ne s’était ingéré dans le dossier. «Les contributions politiques ne sont pas quelque chose qui est [pris en considération] dans le cadre du processus d’approvisionnement», a par ailleurs déclaré l’un d’eux, Lorenzo Ieraci, qui est sous-ministre adjoint aux politiques, à la planification et aux communications.

Son collègue Stéphan Déry, sous-ministre adjoint aux services immobiliers pour SPAC, a assuré que le prix obtenu était «raisonnable». Il a mentionné que le ministère mène toujours des analyses afin d’obtenir le meilleur prix possible même si aucun appel d’offres n’est fait.

«On a toute une équipe qui regarde ce qu’est la valeur marchande dans un certain milieu donné. On fait une analyse de la valeur marchande et ensuite on entre en négociations», a-t-il dit.

Il a fait valoir que l’afflux de migrants nécessitait des installations en toute urgence et que M. Guay était le seul entrepreneur qui était disposé à répondre à ce besoin.

«M. Guay est propriétaire de la majorité des terrains [situés dans les environs]. Il était effectivement le seul qui était prêt à appuyer nos clients au début de la situation en 2017. Donc nos experts internes ont négocié le bail de gré à gré», a renchéri Françoys Bernier, directeur général par intérim de SPAC pour la région du Québec.

Le député conservateur Pierre Paul-Hus n’a pas semblé convaincu que le fédéral a assuré une bonne gestion des fonds publics. «M. Gay bénéficie d’avoir gagné le “jackpot” d’avoir des terrains [tout près] du poste de Lacolle, mais cette organisation pourrait se faire ailleurs et personne n’est capable de répondre à ça», a-t-il commenté.

Le libéral Greg Fergus s’est porté à la défense de M. Guay, soutenant qu’il lui semblait «qu’il n’y a rien là». Il a, du même souffle, remercié l’homme «d’être disponible pour venir en aide aux personnes qui cherchent l’asile au Canada».

Le chemin Roxham, situé en Montérégie, est emprunté par une foule de demandeurs d’asile potentiels depuis 2017. Ce passage de fortune est emprunté en raison de l’Entente sur les tiers pays sûrs.

Cet accord fait en sorte qu’un réfugié potentiel se présentant à un poste frontalier officiel canadien et ayant d’abord foulé le sol américain est refoulé puisqu’il doit poursuivre sa demande d’asile dans le premier «lieu sûr» où il est arrivé.

Ainsi, des personnes souhaitant tout de même demander l’asile au Canada traversent la frontière canado-américaine par des passages de fortune, comme le chemin Roxham, en Montérégie. Une fois qu’ils sont au Canada, leur demande d’asile peut être traitée.

Les bloquistes et néo-démocrates demandent depuis longtemps la suspension de l’Entente sur les tiers pays sûrs.

De leur côté, les conservateurs souhaitent l’application uniforme de cette entente tout le long de la frontière, poste d’entrée officiel ou non.

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