L'originale Société-Orignal

Publié le 09/06/2012 à 00:00, mis à jour le 07/06/2012 à 09:24

L'originale Société-Orignal

Publié le 09/06/2012 à 00:00, mis à jour le 07/06/2012 à 09:24

Ils sont jeunes, urbains, épicuriens, créatifs et débrouillards. Ils ont le sens des affaires, des valeurs déclarées dans un manifeste sur leur site Web et la volonté de mettre le terroir québécois sur les meilleures tables du monde. Voici Alex Cruz et Cyril Gonzales, copropriétaires de Société-Orignal.

«Notre objectif est de créer un fleuron créatif d'envergure mondiale», affirme d'emblée Alex Cruz, qui s'est entretenu avec Les Affaires tout en roulant vers Toronto avec son partenaire d'affaires pour y faire une livraison et rencontrer des clients potentiels. Le duo effectue tous ses déplacements en voiture (sauf pour San Francisco et à Vancouver, bien sûr) pour des raisons écologiques et économiques.

Leur entreprise, baptisée Société-Orignal «parce qu'en lisant vite, ça ressemble à original», déniche et crée des aliments haut de gamme «innovants, singuliers, représentatifs de notre culture, de notre unicité», qui trouvent preneurs sur les meilleures tables des États-Unis.

Le marché des restaurants new-yorkais représente à lui seul 60 % des ventes (Daniel, Eleven Madison Park, Per Se, Northern Spy Food Co.), tandis que celui de Toronto compte pour 30 %.

Des restaurants de San Francisco, de Vancouver, de Calgary et du Québec (dont le Laurie Raphaël) servent aussi les oeufs de poule de mer (caviar de lompe de mer), la Teinture de Balconville (réduction de pommes et baies de sureau) et le Café de fleurs (infusion de plantes sauvages) de la PME.

Société-Orignal, qui ne compte qu'une employée pour le moment, prévoit en avoir une quinzaine d'ici cinq ans, et générer des revenus annuels s'élevant à 10 ou 12 millions de dollars, comparativement à 1 M $ en 2012.

«Notre gros problème est de gérer notre croissance. Tout le monde veut travailler avec nous. Nous recevons plein d'appels d'agriculteurs», dit Alex Cruz, 29 ans, à qui on doit le restaurant DNA, dans le Vieux-Montréal.

20 $ les 50 grammes

Depuis la fondation de Société-Orignal il y a deux ans avec leurs 50 000 $ d'économies personnelles, les entrepreneurs ont créé une quinzaine de produits en partenariat avec une dizaine d'agriculteurs. Ils ont transformé des baies de genévriers immatures. Mises en salaison et vieillies dans le vinaigre, elles s'apparentent ensuite à des câpres que les restaurateurs servent sur du poisson ou ajoutent à leur mayonnaise. Les 250 kilos produits ont été vendus en 48 heures... au prix de 20 $ les 50 grammes. Une vingtaine d'autres recettes mijotent.

«Ils ont des fleurs de rose arctique qui sont à tomber par terre et un caviar de lompe de mer d'une qualité extraordinaire», lance spontanément Eddy Leroux, chef de cuisine du célèbre restaurant Daniel (propriété de Daniel Dulud) à New York, lorsqu'on lui demande de parler de Société-Orignal.

Depuis un an, le chic établissement a mis sur son menu «cinq ou six» créations de l'entreprise québécoise. «On recherche ce qu'il y a de meilleur. On est certains à 100 % qu'il y a eu un minimum de manipulation, que c'est bien apprêté. Leurs produits sont uniques. Sinon, on ne s'embêterait pas à les acheter au Canada», dit M. Leroux.

«Quand tu arrives à New York, les chefs s'attendent à ce que tu leur proposes des innovations. On s'est fait dire [dans un salon] par le chef du Momofuku ko, qu'en quatre ans, on était les premiers à lui présenter des produits qui en valent la peine», a expliqué Cyril Gonzales, 30 ans, lors de la Journée-conférence Infopresse sur le marketing alimentaire tenue en avril. Âgé de 32 ans, il a étudié en comptabilité.

Le duo - qui se fait un point d'honneur d'effectuer personnellement ses livraisons, mais qui utilise aussi les services du distributeur américain Solex Fine Food - est aussi en train de créer une cuvée spéciale de sirop d'érable qui provient d'arbres âgés en moyenne de 150 ans et poussant à Frost Village, en Estrie, pour un client fort connu : le chef et vedette du petit écran Jamie Oliver.

L'ascenseur est bloqué

Avec leurs produits hors du commun, Alex Cruz et Cyril Gonzales espèrent être à l'origine d'innovations qui deviendront un jour la norme dans le grand public. Les deux partenaires d'affaires veulent aussi contribuer au développement des régions du Québec et à la prospérité de l'agriculture de la province. Ils déplorent l'inertie du gouvernement, «qui n'investit pas dans l'innovation, mais dans la productivité», et le manque d'ouverture du ministère de l'Agriculture et de l'Union des producteurs agricoles. «On est dans un système agricole complexe. L'UPA est au 3e étage, les fournisseurs au 4e, les détaillants au 5e. L'ascenseur est bloqué, et nous, nous avons décidé de prendre les escaliers», illustre Alex Cruz.

À la recherche de soutien financier (garanties de prêts) ou de subventions en R-D, les associés ont rencontré le MAPAQ, ce qui n'a rien donné. «On ne rentrait dans aucune case. Il faut fonctionner à leur manière. Si t'es dans la marge, oublie ça.» Au ministère, on ne peut commenter le cas de Société-Orignal, dit une porte-parole, étant donné que ce type de dossier est confidentiel.

Le modèle d'affaires de la très petite entreprise permet de réduire à néant le risque pour les agriculteurs d'investir dans des productions inhabituelles, voire totalement inconnues du grand public, affirment ses propriétaires. «Les agriculteurs répondent à la demande du marché. Nous, nous leur demandons de faire autre chose et nous nous engageons à acheter leur production», explique Cyril Gonzales, qui a étudié en comptabilité à HEC.

Son associé, Alex Cruz, déplore que les agriculteurs n'aient pas droit à beaucoup de considération et soient si souvent critiqués pour leur travail. À son avis, ce ne sont pas «des personnes réfractaires aux changements. Ils veulent juste payer leur terre, et non faire de gros profits». Conscient qu'il y a des limites à toujours vouloir payer ses aliments moins cher, il affirme se faire un point d'honneur de «payer le juste prix».

Une approche gagnant-gagnant

Thierry Trigaux, qui produit du miel à Baie-des- Sables, en Gaspésie, confirme que Société-Orignal noue des partenariats équilibrés. «La question du prix n'a jamais été abordée, ce qui est inhabituel, car avec les détaillants, c'est toujours négocié serré. Ils m'ont demandé de calculer mon prix de revient et d'y ajouter ce qu'il me faut pour vivre. Ils n'ont pas pressé le citron. Mais je ne suis pas suicidaire, il faut que j'aie un prix juste.» Société-Orignal lui achète pratiquement la totalité de sa production de miel du printemps, un miel très fruité et corsé qui plaît beaucoup plus aux chefs qu'au commun des mortels.

Même son de cloche du côté de Loïc Dewavrin, copropriétaire de Les Huiles naturelles d'Amérique, à Les Cèdres, qui apprécie «l'approche gagnant-gagnant» de Société-Orignal. Le fabricant d'huiles de tournesol biologiques et pressées à froid souligne aussi la visibilité que la jeune PME lui procure. «Ça nous permet d'avoir accès à de nouveaux marchés à l'extérieur du Québec.»

Avec Société-Orignal, il compte bien prouver qu'il est possible de créer une entreprise «qui pense collectivement et qui fait de l'argent». D'ailleurs, les activités sont déjà rentables, assure Alex Cruz, qui a quitté son emploi chez DNA il y a neuf mois pour se consacrer à temps plein à son nouveau bébé «après avoir travaillé 70 heures par semaine».

«Tout le monde me disait que le marché américain était inatteignable. On crée nos contacts un par un, et ça fonctionne», se réjouit-il, tout en ne blâmant pas les restaurateurs québécois qui ne se ruent pas pour acheter ses produits en raison de leur «manque de moyens».

RISQUES PARTAGÉS... ET PRESQUE NULS

«On ne fait pas ça pour devenir millionnaires. On veut s'occuper de nos familles. Ce qu'on va faire dans cinq ans ? On ne le sait pas. Qu'est-ce que ça donne de savoir ça ?»

- Alex Cruz, copropriétaire de Société-Orignal

marie-eve.fournier@tc.tc

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