Le plaisir dans son ADN

Publié le 04/05/2013 à 00:00

Le plaisir dans son ADN

Publié le 04/05/2013 à 00:00

Il y a des gens dont on devine qu'ils ne s'ennuient jamais. Gilles Fortin, 62 ans, en fait partie. C'est comme si, pour le président de Tristan, la vie était une fête qui ne dure pas assez longtemps.

«J'ai du plaisir dans tout ce que je fais. J'ai du mal à être morose, ce n'est pas dans mon ADN», dira-t-il avant de parler de son plaisir d'entreprendre.

Ce plaisir-là a été plus spontané que planifié. Il avait tout juste 20 ans quand il a acheté sa première boutique avec son amoureuse, Denise Deslauriers, qui en avait 17. Ils ont tout bâti ensemble : une famille de trois enfants, un réseau de 55 magasins de vêtements au Canada (810 employés, revenus annuels d'environ 75 millions de dollars) et deux usines au Québec, où 30 % de la confection est réalisée.

Jeune, il joue de la musique et elle étudie la haute couture. Leur avenir se dessine quand Gilles embauche Denise au magasin général de son père à la campagne.

«On a commencé à travailler ensemble, et c'était évident qu'on voulait faire un magasin de mode. Un ou 500 ? Il n'y avait pas d'objectif précis, mais l'idée était de se lancer dans la confection», se souvient Gilles Fortin.

Quarante ans plus tard, il affirme avec conviction ne jamais avoir ressenti son plaisir s'effriter dans l'aventure.

«S'il n'y avait pas de plaisir, il n'y aurait pas de business. Pas de risque, pas de business non plus. Pour nous, ça va de pair. De toute manière, on aurait beaucoup de difficultés, dans un milieu aussi créatif que la mode, à créer sans plaisir. Les collections ne seraient pas belles.»

Naturellement, dans le couple qui a mis Tristan au monde, c'est Denise qui dirige les collections et Gilles qui est l'entrepreneur. Il met son oeil critique au service de la création, mais il s'occupe surtout de stratégie commerciale, de consolidation de marché, de négociations, de motivation de personnel et de vision d'avenir. Il a d'ailleurs réaménagé son bureau près de ceux des informaticiens pour inventer avec eux le commerce en ligne, version Tristan. Cela lui permet aussi de s'éloigner des finances, dont le suivi l'ennuie. Créer et trouver des solutions à des problèmes lui paraissent plus motivants.

«Les midis avec les informaticiens me passionnent. Faire le tour des magasins pour rencontrer mon personnel aussi. J'aime les écouter, puis trouver des idées pour faciliter leur travail ou le rendre plus excitant. J'essaie toujours de trouver quelque chose qui va les tenir sur le qui-vive, intéressés, intéressants et motivés. C'est l'fun, faire ça !»

Le sommet du plaisir, Gilles Fortin l'a ressenti dans son aventure américaine quand il a ouvert un magasin dans le quartier SoHo de New York, en 1998.

«C'est comme ta première partie dans la LNH. Ouvrir un magasin à New York, c'est une chose. L'ouvrir dans SoHo, là où ça se passe, c'en est une autre ! Tu te dis : il faut que ça marche parce que c'est trop l'fun d'être là. Toutes catégories confondues, si vous me demandez les trois meilleures heures de ma vie en business, c'est l'ouverture du magasin de SoHo.»

La vente de ce magasin en 2001 a donc été la plus grande peine de l'entrepreneur. Une décision d'affaires. Un prix qui ne se refusait pas, parce qu'il effaçait la dette encourue pour lancer la marque aux États-Unis, où sept magasins avaient été ouverts. Surtout, même si la boutique de SoHo fonctionnait bien, elle n'aurait pas pu survivre à l'explosion du prix des loyers dans le quartier, devenu très à la mode quelques années plus tard.

«Ça aurait été de l'entêtement de rester là. Je ne savais pas alors qu'il y aurait les attentats du 11 septembre 2001 et, si je n'avais pas vendu, on serait morts. Le magasin aurait anéanti le Canada au complet», convient-il aujourd'hui, ce qui lui permet d'adoucir les regrets, même si c'était en quelque sorte lui arracher une part de son être.

SoHo étant situé près des tours jumelles, le commerce y est tombé à zéro pendant des mois. Ainsi, les lois fiscales auraient obligé Tristan à éponger ses pertes américaines avec ses profits canadiens, après impôts, alors que le huard valait 0,65 $ US.

Risquer avec lucidité

Pour lui-même, seul, Gilles Fortin est un adepte du risque extrême. Plus du genre à sauter en parachute que de jouer aux cartes, dit celui qui carbure à l'adrénaline. Il est incapable d'imaginer un concept d'affaires où le risque serait peu important. Il a même démarré des usines de confection en Estrie en 2007 alors que presque tout se faisait en Chine. «En Chine, tu passes des commandes, alors qu'ici, tu as le sentiment que tu contribues à ta société», dit-il. Mais l'entrepreneur sait tenir son grain de folie en laisse avec son sens des responsabilités.

«Prendre des coups pour le plaisir et mettre en péril l'avenir des autres, en sachant qu'ils ne sont pas bâtis avec le même ADN que moi, non. Il y a une décence quelque part qui permet de contrôler le plaisir du risque. J'y vais à fond, mais je mesure mes guerres. Je peux aller loin en mettant mon avoir en péril, mais j'ai aussi la responsabilité des humains qui sont dans l'entreprise. Le plaisir, c'est de réussir quelque chose de gros. Mais trop gros, avec très peu de chances de réussite, c'est la roulette russe et je ne cherche pas ça.»

Les États-Unis, Tristan y reviendra, mais Gilles Fortin envisage que ce sera sa fille Lili qui mènera l'offensive, en misant sur la qualité de la confection canadienne. «Nos folies manufacturières nous permettent une autre stratégie», dit l'entrepreneur, en souriant. Ce sera la recette de la croissance à un moment où la concurrence provient de partout, dans un monde où il faut se battre contre des géants pour convaincre un consommateur de plus en plus endetté.

L'état du marché suscite des craintes chez Gilles Fortin, qui tient à garder en santé ce qu'il a construit pendant 40 ans. La relève qu'il met en place pour lui succéder lui donne cependant confiance et plaisir. Découvrir des talents bruts et les polir nourrit son enthousiasme. Voir les forces de sa fille, qui a obtenu les diplômes que lui n'a jamais eus parce qu'il était trop pressé de se lancer en affaires, lui permet aussi de rêver encore.

«J'ai trouvé dans le vêtement et le commerce de détail à peu près l'équivalent de la musique !» lance en riant celui qui joue du piano et du saxophone tous les soirs. Rien ne lui paraît plus excitant aujourd'hui encore que la musique, mais il a choisi la voie dans laquelle il avait le plus de talent. Sa passion pour les notes, il la met au service des oeuvres caritatives. Avec d'autres présidents d'entreprise, il organise chaque année un concert-bénéfice pour les enfants handicapés. L'an dernier, ils ont amassé 550 000 $. «Et finalement, j'ai autant de fun à ouvrir des magasins qu'à monter sur une scène. L'émotion et la poussée d'adrénaline sont assez semblables !»

Série 3 de 10

Le plaisir d'entreprendre

Avec cette série de 10 entrevues que nous publierons jusqu'en décembre, nous souhaitons susciter des vocations. Comment naît le plaisir de prendre des risques ? Où le trouve-t-on dans le quotidien de l'entreprise ? Est-il obligatoire pour connaître le succès ?

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