Actionnaires et entreprises veulent du vert

Publié le 20/11/2008 à 00:00

Actionnaires et entreprises veulent du vert

Publié le 20/11/2008 à 00:00

Par François Rochon
«La commissaire à l’environnement est congédiée pour ses prises de position»... Voilà le titre d’un article qui a souligné, en janvier dernier, la rupture du lien d’emploi entre la commissaire à l’environnement et au développement durable, Johanne Gélinas, et le Bureau du vérificateur général du Canada, dont dépend la commissaire. Conformément à son mandat, qui consiste à faire rapport à la Chambre des communes, Johanne Gélinas avait rendu public, en septembre 2006, un rapport particulièrement critique sur l’action – certains diront « l’inaction » – du gouvernement fédéral.

On y lit ce passage, extrait du Point de vue de la commissaire : « Les changements climatiques sont une réalité [et] les enjeux sont de taille pour le Canada. Le gouvernement fédéral dispose des ressources et des pouvoirs pour agir, mais d’après ce que nous avons constaté, il n’a pas, jusqu’à maintenant, été à la hauteur. » Congédiement politique ou énorme malentendu que cette affaire qui a éclaté le 29 janvier 2007 et qui a fortement embarrassé la vérificatrice générale du Canada, Sheila Fraser ? Voici la réponse de l’intéressée, aujourd’hui associée au cabinet de services professionnels Deloitte & Touche, à Montréal. Johanne Gélinas a également travaillé pendant 10 ans au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).

Johanne Gélinas : Tout ceci est un énorme malentendu. Bien que j’aie été critique à l’égard du gouvernement, ce n’est pas pour cela que je suis partie. Le contenu de mon dernier rapport n’a jamais été une cause de différend entre madame Sheila Fraser et moi. Au contraire, elle en était particulièrement fière. Madame Fraser et moi avions des points de vue différents sur d’autres plans. Elle souhaitait que mon rapport ne soit plus un rapport autonome, mais qu’il soit intégré au sien. Je considérais que les changements proposés mettaient en péril l’indépendance de la fonction.

Dans les années 1980, le Canada était un pionnier des questions environnementales. Que s’est-il passé ?

Sur papier, nous sommes encore passablement perçus comme un modèle; le gouvernement fédéral excelle dans la conception de politiques, de cadres de travail, etc. Un observateur extérieur qui ne voit que nos papiers ne peut que s’exclamer «Wow, quel pays !» Mais on ne peut pas n’être bon que sur papier pendant 15 ans et ne pas respecter ses engagements! C’est ce qui mène à une perte de notre crédibilité. Si on remonte dans le temps, on voit que la période des années 1992-1995 a été celle des bonnes intentions, mais elle a été suivie par une période de compressions budgétaires effectuées dans le cadre de la revue générale des programmes. L’environnement a écopé! Plus récemment, il y a eu des changements de premiers ministres, de ministres et de sous-ministres. Il a fallu reprendre le chantier plusieurs fois, ce qui a entraîné une lassitude chez des fonctionnaires qui ont porté pendant des années le flambeau du développement durable au gouvernement.

N’est-ce pas le secteur privé qui devient la «locomotive» du développement durable ?

De façon générale, la grande majorité des entreprises sont encore au niveau de la conformité environnementale. Le développement durable, c’est beaucoup plus que cela. Il faut reconnaître que lorsque nous choisissons d’agir, nous sommes vraiment bons. Malheureusement, elles ne sont pas légion les entreprises qui sont des leaders dans ce domaine. En plus, je découvre que celles qui font des choses novatrices et audacieuses demeurent assez discrètes et ne s’affichent pas nécessairement sur la place publique.

Qu’est-ce qui a conduit des entreprises à s’engager dans cette voie?

Il peut y avoir bien des raisons, comme les nouvelles règles de gouvernance, la crainte que leur réputation en souffre ou les avantages financiers. Mais je constate aussi que des chefs de la direction sont mis au défi par leurs propres enfants ou petits-enfants, qui leur posent des questions du genre: «Est-ce vrai, papa, que ton entreprise pollue ? » ou « Que fait ton entreprise pour protéger l’environnement ? »

Un autre facteur de changement concerne les jeunes professionnels qui ne sont pas uniquement motivés par l’argent, mais par des idéaux. Quand vient le moment de choisir entre plusieurs entreprises, c’est souvent celle qui est engagée dans le développement durable qui les séduira davantage. Le développement durable devient alors un facteur de rétention important pour les entreprises qui, globalement, éprouvent de plus en plus de difficultés à attirer des employés talentueux.

Quels devraient être les rôles des gouvernements et des entreprises?

La grande question est de savoir s’il faut réglementer ou laisser faire le marché. D’après moi, il y a trois joueurs-clés dans la société : les gouvernements, l’industrie et nous, les citoyens. Chacun, et c’est normal, essaie de modifier le cours des choses. Dans le domaine de l’environnement, je crois qu’il faudra toujours que l’État veille au grain et encadre la gestion et la protection du bien commun, comme l’eau, l’air et les ressources naturelles. Mais l’intervention de l’État peut prendre d’autres formes que celle de règlements ; l’État peut donner l’exemple, accorder des incitatifs financiers ou fiscaux, sensibiliser les citoyens.

Les gouvernements fédéral et provinciaux sont les plus gros acheteurs de biens et services ; que se passerait-il s’ils décidaient de n’acheter que du papier recyclé ? Ou de ne se procurer des cartouches d’imprimante qu’auprès de fournisseurs qui reprennent les cartouches vides ? En six mois, toute l’industrie se serait adaptée à ces exigences ! Comment les gouvernements peuvent-ils espérer voir l’industrie et les gens modifier leur comportement quand eux-mêmes ne donnent pas l’exemple?

Les sociétés peuvent choisir d’être proactives dans le domaine de la responsabilité d’entreprise, en agissant, par exemple, dans le domaine des émissions de gaz à effet de serre sans attendre que les règles aient finalement force de loi.

Quant aux individus, ils peuvent agir de multiples façons… en limitant leur consommation d’eau embouteillée si l’eau du robinet est de qualité, par exemple, en pratiquant le recyclage, en utilisant le transport en commun ou en faisant du covoiturage, en achetant des produits plus écologiques… Il y a tellement de gestes qu’un citoyen peut poser !

Êtes-vous favorable aux niveaux absolus d’émissions de gaz à effet de serre?

Si nos cibles sont établies en terme d’intensité, et donc si la production de gaz à effet de serre peut augmenter en valeur absolue, on court le risque – ce n’est pas une certitude – de ne pouvoir négocier un jour sur le marché européen qui, lui, fonctionne en nombres absolus. Le point le plus important, pour moi, c’est de connaître les tenants et les aboutissants de l’une et l’autre des options et de prendre une décision en toute connaissance de cause. Il faut éviter de refaire l’erreur du 6 % sous les niveaux de 1990, une décision qui a été prise sans que l’on ait fait au préalable une analyse rigoureuse. Depuis, le gouvernement cherche la recette miracle pour atteindre cet objectif !

Était-ce un objectif irréaliste?

Tout dépend du point de vue où l’on se place, car tout est possible. Mais tout a un prix !

Et les entreprises?

Elles veulent des cibles claires qui s’appliquent à tous. Les entreprises excellent quand il s’agit de se conformer à des règles ; c’est d’ailleurs ce que les industries demandent. Elles veulent aussi que leurs efforts soient récompensés, comme le réclame depuis longtemps l’industrie des pâtes et papiers. Attention, toutefois : ce n’est pas parce que les États-Unis n’ont pas signé le protocole de Kyoto qu’il ne se fait rien aujourd’hui dans ce pays ; des États réglementent, et des entreprises agissent pour réduire leurs coûts et répondre aux exigences de leurs investisseurs et de leurs actionnaires.

Le concept de responsabilité d’entreprise est désormais une stratégie d’affaires qui rapporte, quand elle est bien conçue. Beaucoup d’entreprises ont déjà constaté que si elles ne se mettent pas à l’heure du développement durable, elles seront marginalisées, entre autres pour des raisons de compétitivité ou de pression populaire. Le marché, les consommateurs et même les actionnaires «veulent du vert » et une «administration responsable » ! Si vous ne vous en occupez pas, gare à vous!

Par où commencer ?

Par une compréhension des enjeux, par un engagement des membres de la haute direction et par la mobilisation des employés ; 80% des solutions se trouvent à l’état latent chez ces derniers qui, mon expérience le démontre, s’engagent passionnément dans le développement durable. Tout le monde peut se tourner vers le développement durable, car tout le monde veut participer à un succès, à un projet mobilisateur. Le développement durable en est un ; c’est une occasion à ne pas rater.

Les groupes de pression et les entreprises sont-elles deux solitudes ?

Les groupes de pression sont absolument nécessaires pour faire avancer les choses. Souvent, les entreprises aimeraient amorcer un dialogue avec les groupes de pression, mais elles ne savent pas par où commencer. J’ai été commissaire pendant dix ans au BAPE ; combien de fois ai-je vu les gens mieux se comprendre au fil des discussions ? Tout compte fait, l’important, c’est de se parler, car au fond, les groupes ne demandent pas l’impossible, et les entreprises veulent s’améliorer. Ce sont deux solitudes qui ont besoin d’un intermédiaire pour se parler et faire un bout de chemin ensemble. Cela peut paraître idéaliste, mais c’est ce que mon expérience m’a enseigné.

Plus globalement, je vois l’entreprise jouer un rôle beaucoup plus responsable en matière de développement durable, sur les plans local, régional, national et international. Au fil des ans, le rôle des gouvernements va s’amenuiser. À l’inverse, celui des entreprises va s’intensifier. Pensons un instant à l’impact que peut avoir une entreprise comme Alcan ou Nestlé dans le monde : ces entreprises peuvent contribuer au développement économique et social des pays dans lesquels elles exploitent des installations. Je crois que les entreprises seront de plus en plus de bons citoyens corporatifs. Voilà pourquoi je suis profondément optimiste, et je vais personnellement tenter de contribuer à ce vent de changement.

«Les entreprises excellent quand il s’agit de se conformer à des règles ; c’est d’ailleurs ce que les industries demandent.»

Magazine Vision Durable, novembre 2007

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