Comment la Caisse de dépôt transforme l'économie du Québec

Publié le 07/02/2018 à 06:00

Comment la Caisse de dépôt transforme l'économie du Québec

Publié le 07/02/2018 à 06:00

Par François Normand

[Photo : Martin Flamand]

Sans tambour ni trompette, la Caisse de dépôt et placement du Québec a changé de fond en comble sa stratégie au Québec. Pourquoi ? Parce que le monde change à une vitesse folle, en raison des bouleversements technologiques et du déplacement du centre de gravité de l'économie mondiale en Asie-Pacifique. Or, ces deux tendances chamboulent la vie des entreprises aussi bien dans le monde qu'au Québec, explique en entrevue Michael Sabia, président et chef de la direction, en compagnie de Christian Dubé, premier vice-président Québec, qui est responsable de la stratégie d'investissement pour dynamiser l'économie québécoise.

Pour Michael Sabia, plus d'accompagnement encore est nécessaire. « C'est la raison pour laquelle nous avons changé 100 % notre façon de faire au Québec. »

Son plan de match ? Transformer l'économie québécoise et faire croître des entreprises d'ici qui peuvent « gagner » partout sur la planète. Comment ? En s'installant au coeur de l'écosystème des entrepreneurs québécois grâce à l'Espace CDPQ et en accompagnant davantage les PME.

« Notre objectif est d'agir comme un moteur du développement de la nouvelle économie québécoise innovante et ouverte sur le monde », affirme M.Sabia,

Pour y parvenir, la Caisse de dépôt accompagne et investit de plus en plus dans les PME de plusieurs secteurs, des mines à la bière, en passant par le multimédia et les plateformes infonuagiques.

La Caisse mise aussi sur des projets structurants comme le Réseau électrique métropolitain, un projet évalué à plus de 6 milliards de dollars qui comprendra 27 stations sur une distance de 67 kilomètres. Plusieurs entreprises d'ici pourraient y décrocher des contrats pour la construction et la fourniture de matériel roulant.

Des ambitions planétaires pour les PME

La Caisse de dépôt a de grandes ambitions planétaires pour l'écosystème entrepreneurial québécois.

Lightspeed, une société québécoise qui offre une technologie de logiciel de point de vente infonuagique pour les détaillants et les restaurateurs indépendants, est un bon exemple de cette stratégie, selon M. Sabia et M. Dubé.

En 2015, la Caisse a financé cette PME pour faire une acquisition en Europe. Lightspeed a acheté la société de logiciel de commerce électronique SEOshop aux Pays-Bas. Elle a en parallèle lancé une nouvelle plateforme de commerce électronique (Lightspeed eCom). En octobre 2017, l'investisseur institutionnel a de nouveau investi dans Lightspeed à hauteur de 169 millions de dollars.

Les investissements dans les PME québécoises permettent un rendement « plus haut » que celui du portefeuille global de l'institution, affirme M. Sabia, sans donner toutefois plus de détails. Ce facteur n'est pas étranger au fait que de 2012 à 2016, le rendement moyen des portefeuilles de la Caisse était de 10,2 % par année, plus d'un point au-dessus de celui de son portefeuille de référence, à 9,1 % (avant les résultats de 2017).

Du reste, Michael Sabia affirme que la bonne performance des placements PME de l'institution au Québec n'est pas surprenante. Fondée en 1965, elle a développé au fil des décennies une connaissance en profondeur de l'économie québécoise et de son écosystème d'affaires. Les liens et les réseaux qu'elle a tissés aux quatre coins du Québec sont également précieux, ajoute M. Dubé. « La proximité, la connaissance des entrepreneurs, le fait de parler la même langue... C'est un avantage. »

Selon lui, cette proximité fait en sorte que la Caisse est au « premier balcon » pour observer l'écosystème entrepreneurial québécois.

L'Espace CDQP, le nouvel ADN de la Caisse

Mais l'institution ne fait pas que l'observer du balcon, elle s'assure d'être le plus proche possible des entrepreneurs. Pour ce faire, elle a modifié les tâches de plusieurs de ses employés afin qu'ils consacrent plus d'énergie au marché québécois. Et, surtout, elle a créé l'Espace CDQP à Montréal, en juin 2016.

« Si vous cherchez une image qui cristallise le changement qui est déjà bien avancé à la Caisse, c'est l'Espace CDPQ », affirme M. Sabia.

La Caisse de dépôt (par son Fonds Espace CDPQ) y cohabite avec une quinzaine de capitaux-risqueurs et d'institutions spécialisées dans l'accompagnement des entreprises.

L’Espace ­CDPQ occupe des locaux sur deux étages. L’ambiance ressemble aux locaux d’une ­start-up. Cette structure force les gens à discuter, souvent de synergies ou de ­PME prometteuses.

On y retrouve des acteurs comme Anges Québec, Inovia Capital, l'École d'entrepreneurship de Beauce, Réseau QG100 ou XPND Capital. Au total, 160 spécialistes de l'entrepreneuriat y travaillent en permanence. Ils partagent la même ambition : accélérer la croissance et la mondialisation des PME québécoises.

L'Espace CDPQ occupe des locaux sur deux étages, totalisant 51 000 pieds carrés (l'équivalent des deux tiers d'un terrain de football) à la Place Ville-Marie.

L'ambiance ressemble aux locaux d'une start-up. Le mobilier est minimaliste. Les espaces de réunions sont en grande partie à aire ouverte. Et il n'y a qu'une seule machine à café, au rez-de-chaussée. Cette structure force les gens à discuter, souvent de synergies ou de PME prometteuses.

Il ne s'agit pas d'un incubateur ou d'un accélérateur d'entreprises, mais plutôt d'un « hub d'investissement ». Aucune entreprise n'y est présente. Cependant, des start-up viennent y faire régulièrement des présentations pour se faire connaître et pour séduire les investisseurs.

Aujourd'hui, l'espace est au maximum de sa capacité ; il n'y a plus de place pour de nouveaux investisseurs. La situation ne manque pas d'ironie, confie M. Sabia, En 2015, plusieurs analystes étaient sceptiques à l'égard de ce projet. « On nous a dit : "Vous êtes fous !" Maintenant, c'est une réussite. »

À ce jour, l'Espace CDPQ a accompagné plus de 350 entreprises québécoises.

Certes, le capital est important pour aider les PME québécoises. On dit souvent que l'argent est le nerf de la guerre. Ce n'est toutefois pas l'essentiel ou la bougie d'allumage, affirme M. Sabia. « Pour nous, la chose la plus précieuse, c'est cette idée d'accompagnement », répète-t-on.

Pour accompagner les entrepreneurs par l'Espace CDPQ ou ses structures régulières, la Caisse leur donne un accès privilégié à ses experts. Parmi ceux-ci, des gens qui ont eux-mêmes déjà lancé, démarré ou géré une entreprise dans une autre vie.

La Caisse permet aussi aux entreprises de bénéficier de ses contacts et de son réseau de neuf bureaux dans le monde. Ces derniers sont situés à Londres, Mexico, New Delhi, New York, Paris, Shanghai, Singapour, Sydney et Washington.

Pour une PME, cela permet d'« ouvrir des portes » afin d'approcher un futur partenaire, distributeur ou client en Chine, par exemple.

Cibles d'investissement plus larges

Autre petite révolution, la Caisse a élargi ses cibles d'investissement dans les PME. « On ratisse un peu plus large dans l'écosystème », dit M. Dubé.

En 2015, la Caisse a investi 8,2 M $ dans Fix Auto Canada, le plus important franchiseur d'ateliers de réparation de voitures après collision du Canada. Et, en décembre 2017, elle a investi 2,5 M $ dans le Groupe Glutenberg, un producteur et un distributeur de bières et de spiritueux.

« Pour nous, aujourd'hui, il n'y a jamais d'entreprises qui sont trop petites ; elles ne sont jamais assez grosses ! » laisse tomber le vice-président.

L'idée, ajoute-t-il, tout en faisant preuve d'une grande prudence, est d'investir et d'appuyer des entreprises qui pourraient avoir le potentiel de « devenir les Couche-Tard de demain ».

Pour se donner les moyens financiers de ses ambitions, la Caisse a « orchestré » un virage afin de restructurer son portefeuille Québec. Elle a réduit ses investissements dans les obligations du gouvernement du Québec (de 19,5 G $ au 31 décembre 2018 à 16,1 G $ l'année suivante), afin de réinvestir ces fonds dans les PME québécoises.

Ce virage permet de « maximiser l'impact » de l'institution au Québec, affirme M. Sabia. « Est-ce mieux d'investir 100 M $ dans les obligations du Québec ou 100 M $ dans une dizaine de petites entreprises ? »

Comment la Caisse choisit les entreprises pour transformer le Québec

La « destruction créatrice » - l'expression du célèbre économiste Joseph Schumpeter - est le moteur du capitalisme. « C'est le monde dans lequel nous vivons », dit M. Sabia.

De nouvelles technologies, de nouvelles entreprises, de nouveaux modèles d'affaires remplacent les anciens. Dans cet écosystème, il y a des gagnants et des perdants. Des entreprises grandissent, d'autres meurent.

C'est dans cet environnement que la Caisse investit au Québec - et ailleurs dans le monde.

L'institution modifie notamment sa stratégie d'investissement en tenant compte des tendances à long terme dans certains secteurs.

Il y a quelques années, la Caisse a vendu plusieurs de ses actifs dans les centres commerciaux en raison de la croissance du commerce électronique, explique Michael Sabia. « Toutes nos analyses nous ont amené à prendre la décision de les vendre, mais pas 100 %, et de diminuer leur part dans notre portefeuille immobilier. »

Cela dit, la Caisse croit encore au potentiel des centres commerciaux, car elle continue d'investir dans ce secteur par sa filiale immobilière Ivanhoé Cambridge. Au 31 décembre 2010, celle-ci était présente dans 45 centres commerciaux au Canada comparativement à 27 au 30 juin 2017, une baisse de 40 %.

Mais dans le même temps, précise Michael Sabia, la Caisse a investi dans les firmes de logistique qui bénéficient généralement des achats effectués sur Internet, car ce sont elles qui livrent les produits aux consommateurs.

Même si la Caisse développe la nouvelle économie québécoise, elle investit toujours dans les secteurs dits classiques ou traditionnels. Mais à une condition, insiste M. Dubé : les entreprises doivent avoir la « volonté de faire des changements nécessaires ».

La multinationale Alimentation Couche-Tard, dans laquelle la Caisse a réinvesti à plusieurs reprises, est un bon exemple, explique-t-il. « Son secteur est assez traditionnel, mais on voit qu'ils ont la volonté d'apporter des changements. »

En novembre, Couche-Tard s'est alliée à de grands constructeurs automobiles en Europe, comme BMW et Volkswagen, afin de créer le plus vaste réseau de bornes de recharge de voitures électriques sur le Vieux Continent. Circle K, l'enseigne de Couche-Tard en Europe, en hébergera une centaine en Norvège, en Suède, au Danemark, en Estonie, en Lettonie et en Lituanie.

Autre exemple illustrant la volonté de la Caisse de dépôt d'investir dans les entreprises qui veulent transformer leur modèle d'affaires : en 2016, elle a aidé le Groupe Marcelle à acheter Lise Watier grâce à un investissement de 18 M $.

Après la fusion, Marcelle a transformé son modèle d'affaires pour accorder une plus grande place au commerce électronique. « C'est l'exemple d'une entreprise qui voulait passer du modèle traditionnel à la nouvelle économie », souligne M. Dubé.

La Caisse veut créer des géants mondiaux

Pour transformer l'économie québécoise, la Caisse souhaite aussi favoriser l'acquisition d'entreprises par des sociétés québécoises, au Québec et à l'étranger, afin d'en faire des champions sur les marchés internationaux.

Du reste, la Caisse a déjà commencé à le faire.

En décembre, le Groupe Solmax, un producteur québécois de géomembranes, a mis la main sur la société américaine GSE Environmental grâce à l'appui financier de l'institution. Cela a permis à l'entreprise d'accroître sa portée planétaire.

La Caisse de dépôt a pris une participation dans le capital-actions de Solmax pour l'aider à financer cette transaction.

Selon Christian Dubé, la société québécoise affirmait ne pas avoir les moyens d'acheter son principal concurrent aux États-Unis. « On leur a dit : écoutez, expliquez-nous votre plan, et on va vous aider si c'est bon pour nous. »

Dans sa stratégie au Québec, la Caisse cherche aussi à renforcer les multinationales québécoises dans lesquelles elle investit depuis longtemps.

Un exemple : SNC-Lavalin. Quand la firme d'ingénierie a connu de graves problèmes de gouvernance au début des années 2010, l'investisseur institutionnel n'a pas désinvesti. Bien au contraire, il a augmenté sa participation.

« Nous avons envoyé le message à tout le monde que nous n'étions pas prêts à jeter le bébé avec l'eau du bain », rappelle M. Sabia.

La Caisse a aussi incité SNC-Lavalin à faire des acquisitions afin de renforcer ses assises au Québec et à l'étranger.

En 2017, elle a avalé la Britannique WS Atkins au coût de 3,6 G $, notamment grâce au soutien de la Caisse, qui a investi 1,9 G $ sous forme de prêts et de capital-actions. Cette transaction a permis à SNC-Lavalin « de devenir véritablement un géant mondial de l'ingénierie », selon le grand patron de la Caisse.

« Grâce à cette acquisition, je pense que SNC est une société beaucoup plus solide avec un siège social ici, à Montréal, qui est de plus en plus important », affirme M. Sabia.

La Caisse a joué le même rôle avec la firme d'ingénierie WSP Global (l'ex Genivar). Par son appui financier, elle a permis à l'entreprise québécoise de grandir à l'international grâce à des acquisitions, dont celle de l'Américaine Pearsons Brinckherhoff, en 2014, au coût de 1,5 G $.

« Auparavant, Genivar était méconnue. Aujourd'hui, WSP est un joueur mondial. Pour nous, c'est une bonne façon de renforcer l'importance de leur présence ici », dit le patron de la Caisse.

Selon lui, les conditions sont favorables pour déployer une stratégie afin de faire grandir et de mondialiser les entreprises québécoises. Il confie n'avoir jamais vu autant d'« effervescence » dans le monde de l'entrepreneuriat au Québec.

« Il y a une nouvelle génération d'entrepreneurs qui sont en train de démarrer et de lancer toute sorte de nouvelles sociétés », dit-il.

C'est pourquoi la Caisse s'est donné l'objectif de bâtir les écosystèmes nécessaires afin d'appuyer et d'accélérer cette effervescence. Pour gagner dans un monde « exigeant et franchement difficile », il faut cependant toujours passer à l'offensive, affirme Michael Sabia.

« Dans le fond, notre objectif est de contribuer à bâtir une économie québécoise capable de gagner dans un tel monde. »

La ­Caisse réduit son exposition au ­Canada, mais pas au ­Québec

Entre 2012 et 2016, en matière de répartition géographique du portefeuille global, les actifs de la ­Caisse au ­Canada sont passés de 59 % à 41 %. La baisse s’explique par la petite taille relative du marché et des perspectives de croissance au pays, moins favorables qu’à l’étranger.

Or, le ­Québec est épargné par ce désinvestissement en raison des rendements réalisés ici et du mandat de la ­Caisse d’investir dans l’économie québécoise. Au 31 décembre 2016, ses actifs au ­Québec totalisaient 58,8 milliards de dollars. Cinq ans plus tôt, ils s’élevaient à 47,1 G $, sur un total de 270,7 G $. Par contre, toute proportion gardée, la part du ­Québec dans le portefeuille global a légèrement fondu, passant de 26,7 %, en 2012, à 21,7 %, en 2016.

Même si l’économie québécoise est un petit marché (seulement 0,4 % du ­PIB mondial), elle abrite beaucoup d’entreprises qui ont le potentiel de croître et de générer des revenus à l’étranger, insiste ­Christian ­Dubé.

« ­Une entreprise peut être au ­Québec, mais générer 95 % de son chiffre d’affaires dans le monde. Il faut donc analyser les sociétés par la base des revenus », ­dit-il. 

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