Brésil, forteresse énergétique

Publié le 24/02/2011 à 00:00, mis à jour le 25/02/2011 à 11:26

Brésil, forteresse énergétique

Publié le 24/02/2011 à 00:00, mis à jour le 25/02/2011 à 11:26

Crédit: Santo Antönio Energia

Le géant sud-américain déborde d'occasions d'investissements dans le domaine du développement électrique. Mais n'y entre pas qui veut. Pour investir le marché, SNC-Lavalin a dû racheter un acteur local.

Au fond de la jungle, près de la frontière bolivienne, les eaux brunes de la puissante rivière Madeira feront bientôt tourner les turbines de Santo Antônio, l'un des deux nouveaux barrages qui entraveront le plus grand affluent de l'Amazone. Six mille quatre cent cinquante mégawatts de plus pour le pays, acteur dominant, comme le Québec, sur la scène de l'hydroélectricité.

Et ce n'est pas fini. Pour nourrir son économie en explosion, le Brésil prévoit lancer des appels d'offres totalisant pas moins de 8,2 milliards de dollars pour la construction de centrales électriques, seulement en 2011 et 2012. C'est sans compter les projets déjà lancés, qui donneront lieu à une pluie de contrats en sous-traitance, dans les secteurs du génie civil et de la construction. Comme celui de la centrale hydroélectrique géante de Belo Monte, dans l'État du Pará, un projet de 11 milliards qui s'étirera jusqu'en 2019.

En principe, ces chantiers sont ouverts aux acteurs internationaux. Mais dans les faits, la forteresse Brésil est difficile à percer. Pour y parvenir, SNC-Lavalin a dû déployer les grands moyens.

Le pays est reconnu pour son protectionnisme. Les tarifs douaniers pour les services d'ingénierie, par exemple, peuvent dépasser 40 %.

" Ça nous incite à devenir un acteur local, dit Elias Ray, vice-président principal, Amérique latine, chez SNC-Lavalin. Une bonne façon de le faire, c'est d'acheter une entreprise qui a déjà l'expertise nationale, les contacts... "

C'est ce qu'a fait le géant québécois du génie civil. En décembre 2009, SNC- Lavalin a racheté le champion brésilien de l'énergie, Marte Engenheria.

Le nouveau propriétaire se retrouve ainsi au coeur des plus grands développements électriques du pays. Marte conçoit des lignes à haute tension, dessine et exploite des centrales et des postes de transformation...

Elias Ray, basé à Miami, s'apprête d'ailleurs à déménager à São Paulo pour y diriger les activités de SNC-Lavalin dans le cône sud.

Des milliers de kilomètres de câbles

Pour relier la nouvelle centrale de Santo Antônio, au sud du pays, Marte a conçu une nouvelle ligne de 600 kilovolts à courant continu. C'est une de ses spécialités, tout comme SNC-Lavalin.

Une spécialité dictée par l'immensité du pays. Le Brésil a le même problème que le Québec : ses grandes centrales hydroélectriques, disséminées dans les régions peu peuplées d'Amazonie et du Sud-Ouest, sont à des milliers de kilomètres des métropoles. Pour y acheminer l'électricité, le pays doit construire d'interminables lignes à haute tension. Comme ici, entre les grands barrages de la Baie-James et le sud du Québec.

Aux quatre coins du pays, Marte fait valoir son expertise en la matière. L'une des lignes que construit l'entreprise traversera l'Amazone d'un bout à l'autre pour acheminer l'électricité de la centrale de Tucuruí à la ville de Manaus, en plein coeur de la jungle.

Là-bas, les câbles doivent dominer des arbres hauts comme des gratte-ciel. " Les pylônes seront aussi élevés que la tour Eiffel ! " dit Elias Ray.

Marte détient aussi une expertise considérable dans la direction de chantiers hydroélectriques. À Porto Velho, la filiale brésilienne représente aussi le donneur d'ordres, le consortium Santo Antônio Energia, sur une partie du chantier de la centrale elle-même, et conçoit le poste de transformation du courant.

Le nucléaire (re)prend son envol

Aujourd'hui, 79 % de la puissance électrique brésilienne provient de ses rivières. " Mais le potentiel hydraulique du pays n'est pas infini ", dit le président d'Eletrobras, la grande société d'État électrique, rencontré en septembre au Congrès mondial de l'énergie, à Montréal. " Le Brésil est sixième au monde en termes de réserves d'uranium, dit José Antonio Muniz Lopes. Nous avons aussi la technologie pour enrichir le minerai. Alors pourquoi ne pas utiliser cette source d'énergie ? "

Le Brésil relance donc son programme nucléaire. D'ici 2016, il veut démarrer la construction de cinq à neuf centrales, aux quatre coins du pays.

Les deux seuls réacteurs brésiliens, Angra I et II, se trouvent à 150 kilomètres à l'ouest de Rio de Janeiro, au complexe nucléaire d'Angra dos Reis. " Nous espérons qu'en 2011, le gouvernement choisira les sites pour le nord-est du pays ", dit João Carlos da Contra Bastos, directeur du complexe, rencontré dans le bruit assourdissant des turbines d'Angra II.

Pour commencer, Brasilia veut terminer la construction d'Angra III, abandonnée en 1986, à cause de dépassements de coûts faramineux et de craintes pour l'environnement et la sécurité.

Ça tombe bien pour SNC-Lavalin, car Marte a su se rendre indispensable dans cette filière énergétique, aussi controversée soit-elle. L'entreprise a réalisé les dessins finaux du plus gros réacteur nucléaire du pays, Angra II. Aujourd'hui, c'est elle qui exploite et assure la maintenance des parties non nucléaires de cette centrale pour Eletrobras.

Juste à côté, sur le chantier d'Angra III, les fondations sont déjà coulées, et la société nationale a lancé deux appels d'offres pour la suite des travaux.

Marte est sur les rangs pour les deux. Mais comme tout ce qui touche de près ou de loin au nucléaire, c'est loin d'être simple.

Eletrobras doit choisir d'un jour à l'autre le responsable de l'ingénierie détaillée du futur bâtiment. Mais l'autre appel d'offres, portant sur le réacteur lui-même, est autrement plus compliqué.

Après avoir reçu les soumissions de plusieurs grands acteurs internationaux du secteur, Brasilia a décidé de refaire l'appel d'offres. " Le gouvernement considérait que les soumissionnaires avaient fait plusieurs erreurs et ne répondaient pas aux exigences ", explique Elias Ray.

Des québécoises ont le Brésil à l'oeil

Autrement dit, pour évoluer dans cette industrie, mieux vaut avoir les reins solides... et être patient, ajoute-t-il. " Quand vous participez à des appels d'offres brésiliens, vous vous préparez à affronter la bureaucratie. "

Peu d'entreprises établies au Québec ont osé se jeter dans la mêlée, mais plusieurs gardent un oeil attentif sur cet énorme marché.

C'est le cas d'Aecom. Cette entreprise californienne exploite à Montréal son bureau spécialisé dans l'énergie électrique, depuis le rachat de RSW. " Aecom emploie plus de 200 personnes à São Paulo et à Rio de Janeiro, dit Jacques Mercier, directeur, développement des affaires pour la division Énergie. On veut cependant augmenter notre présence. "

Chez Genivar, également très présente dans le secteur de l'énergie, la direction se fait avare de commentaires, mais dit surveiller le marché brésilien de près.

" C'est un marché non seulement très protectionniste, mais aussi très concurrentiel, avec un très grand nombre de très grands joueurs dans la construction, le génie civil... "

- Martin Coiteux, professeur en affaires internationales à HEC Montréal et spécialiste de l'Amérique latine

D'IMPORTANTES BARRIÈRES À L'ENTRÉE

> Des tarifs douaniers qui peuvent dépasser 40 %, notamment sur les services d'ingénierie

> Un secteur de la construction et du génie très développé et concurrentiel, avec des réseaux de contacts bien établis

> Des appels d'offres souvent réservés aux seuls acteurs nationaux

> Des taux d'intérêt parmi les plus élevés du monde, avec un taux directeur à 11,25 % actuellement

12 400

Nombre d'emplois directs sur le chantier de la centrale Santo Antônio. Il vient d'atteindre son pic. À 90 kilomètres, sur la rivière Madeira, le chantier de la centrale jumelle de Jirau atteindra le sien d'ici la fin de 2011.

Sources : Santo Antônio Energia et Energia Sustentável do Brasil

50

millions de Brésiliens qui ont passé la nuit sans électricité, le 4 février dernier, dans huit États du Nord-Est. Les inspecteurs enquêtent encore sur la panne... et les citoyens du pays sont en colère contre le gouvernement de Dilma Roussef, la toute nouvelle présidente.

Mais la vraie frousse, le pays l'a eue en 2001-2002, quand une sécheresse a entamé la production des centrales hydroélectriques. Les Brésiliens ont dû rationner leur consommation.


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