Rester bien à l'intérieur de son cercle de compétence

Publié le 24/04/2020 à 16:42

Rester bien à l'intérieur de son cercle de compétence

Publié le 24/04/2020 à 16:42

Des puits de pétrole.

(Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Ce matin, mon collègue et partenaire, Marc L’Écuyer, gestionnaire de portefeuille chez COTE 100, a écrit ce qui suit concernant une situation que je juge inquiétante pour de nombreux investisseurs. Si j’ai fait appel à ses lumières, c’est que je ne suis pas à l’aise d’écrire sur des sujets que je ne maîtrise pas bien; c’est définitivement le cas des contrats à terme sur le pétrole.

La situation m’a rappelé un dicton populaire aux États-Unis: «Stick to your knitting». Littéralement, cela veut dire qu’une personne devrait «s’en tenir à son propre tricot». En clair, cela signifie qu’on devrait s’en tenir aux activités que l’on comprend bien et dans lesquelles nous possédons de l’expertise et de l’expérience. De toute évidence, de nombreux investisseurs individuels croient pouvoir faire de l’argent rapide en spéculant sur le pétrole. Marc et moi croyons que c’est une proposition perdante.

Voici son commentaire:

«Encore le petit investisseur qui paye»

La baisse du cours du baril de pétrole a fait les manchettes depuis le début de la pandémie, mais particulièrement cette semaine alors que le prix du contrat à terme du baril de pétrole WTI (West Texas Intermediate) a clôturé à –37,43$, lundi, le 20 avril dernier. En d’autres mots, les acheteurs du contrat à terme se faisaient payer 37,43$ pour prendre possession d’un baril de pétrole au mois de mai au terminal de Cushing en Oklahoma. Or, c’est justement cette dernière spécificité qui explique le prix négatif du contrat à terme. En effet, la plupart des investisseurs qui achètent des contrats à terme sur le baril de pétrole n’ont pas l’intention d’en prendre physiquement possession, mais plutôt de réaliser un gain sur la fluctuation du prix de la commodité. La journée de lundi s’est donc traduite par une course folle de la part des investisseurs forcés de vendre leur contrat à terme venant à échéance mardi alors que la capacité d’entreposer du pétrole en Oklahoma diminue rapidement.

Le problème est que plusieurs détenteurs des contrats à terme sur le pétrole sont des investisseurs individuels qui ont une connaissance limitée des mécanismes de fonctionnement de ces instruments. Certains investisseurs institutionnels ont probablement profité de la situation pour acheter car ils ont la capacité de prendre livraison du pétrole et, en prime, ils sont payés pour le faire. Petite anecdote: le courtier américain Interactive Brokers vient d’annoncer qu’il prendra une provision de 88 M$ pour couvrir les pertes de ses clients qui dépassent l’équité disponible dans leurs comptes.

Le plus important détenteur de contrats à terme sur le baril de pétrole WTI est un fonds négocié en Bourse du nom de United Oil Fund (symbole boursier «USO») dont l’objectif est de procurer une performance équivalente à la variation du prix du contrat à terme du mois le plus rapproché. Au cours des dernières semaines, ce fonds a gagné en popularité auprès de nombreux investisseurs désirant miser sur un rebond du cours du pétrole après sa chute récente. La bonne nouvelle pour les investisseurs est qu’au début d’avril, le fonds négocié en Bourse avait déjà vendu ses contrats à terme qui expirent en mai pour acheter ceux qui expirent en juin. Cependant, ce roulement se traduit le plus souvent par une perte pour l’investisseur car le marché est généralement en situation de report («contango»), c’est-à-dire que le contrat du mois de juin vaut plus cher que le contrat du mois de mai. Au moment d’écrire ces lignes, le contrat qui expire en juin se négocie à 14,06$ tandis que le contrat qui expire en juillet se négocie à 21,00$. Ainsi, la vente des contrats de juin et l'achat des contrats de juillet entraîneraient une perte d'environ 7$ par contrat sur un mois advenant que le prix du baril pétrole au comptant reste stable à environ 14,00$. Actuellement, la situation actuelle est attribuable au fort déséquilibre entre l'offre et la demande à court terme, mais il témoigne aussi de la difficulté de profiter du rebond anticipé du cours du pétrole.

À long terme, un investissement dans le United Oil Fund m’apparaît comme une proposition perdante et sa performance historique semble le démontrer. D’ailleurs, les investisseurs professionnels essaient souvent de vendre à découvert ce genre de produits pour bénéficier d’une baisse potentielle.

À mon avis, il est du devoir des autorités réglementaires – dans le cas présent la FINRA (Financial Industry Regulatory Autority) – de légiférer afin de protéger les investisseurs individuels qui veulent investir dans ce genre de produit de la même façon qu’elle le fait pour les investisseurs qui achètent directement des contrats à terme. Après l’implosion du fonds négocié en Bourse XIV qui tentait de reproduire la variation inverse de l’indice de volatilité VIX du CBOE au début de 2018, le United Oil Fund pourrait bien être la prochaine victime, car si le prix du contrat à terme de juin venait à subir le même sort que le contrat du mois de mai et valoir moins que zéro avant que le fonds ait effectué son roulement, le fonds pourrait bien devoir être liquidé, et ce, même si le fonds a commencé à acheter des contrats à terme à plus longue échéance pour diminuer un tel risque.

Ce texte vous semble complexe et technique? Voilà pourquoi il vaut mieux «rester bien à l’intérieur de son cercle de compétence».

Philippe Le Blanc, CFA, MBA

 

À propos de ce blogue

Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100+. Il est également l’auteur du livre Avantage Bourse et coauteur de La Bourse ou la Vie.

Philippe Leblanc
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