Voici d'où vient le pouvoir des «petits chefs» comme Trump!

Publié le 16/09/2020 à 08:00

Voici d'où vient le pouvoir des «petits chefs» comme Trump!

Publié le 16/09/2020 à 08:00

Le populisme fleurit là où la connexité dépérit. (Photo: Library of Congress for Unsplash)

BLOGUE. États-Unis, Brésil, Inde, Turquie, Hongrie,... Ces derniers temps, le populisme s’est mis à gagner en popularité dans nombre de pays démocratiques de manière quasi virale. C’est bien simple, il y a une vingtaine d’années, quelque 120 millions de gens vivaient dans un pays dirigé par un leader populiste; aujourd’hui, ils sont plus de 2 milliards, selon les travaux de la Team Populism, une équipe de 50 chercheurs chargés d’étudier ce phénomène pour le compte du quotidien britannique The Guardian.

Comment expliquer ça? Est-ce même le signe que la démocratie ne fonctionne pas, ou à tout le moins ne fonctionne plus? Et de manière plus générale, un groupe - par exemple, une équipe de travail - est-il voué à être finalement dirigé par un leader populiste dès lors qu’y règne un esprit démocratique grandissant?

Une étude fort ingénieuse permet d’y voir plus clair à ce sujet. Intitulée «Who voted for Trump? Populism and social capital», elle est signée par Paola Giuliano et Romain Wacziarg, tous deux professeurs d’économie à l’École de management Anderson de l’Université de Californie à Los Angeles (États-Unis). Elle montre que le populisme gagne en puissance à partir du moment où la connexité perd en puissance, c’est-dire à mesure que les connexions socioéconomiques entre les gens se mettent à dépérir. Explication.

Les deux chercheurs ont eu l’idée de considérer le populisme non pas sous l’un des angles habituels - la situation économique des gens, leur appartenance religieuse, leur identité raciale, ou encore leur niveau d’éducation -, mais plutôt sous celui du «capital social». Ce dernier est composé de différents éléments:

- La richesse des liens sociaux en un lieu donné (ex.: la densité des organisations religieuses, des associations civiques ou sociales, des regroupements d’affaires ou professionnels, des syndicats, des partis politiques, des clubs sportifs, ou encore des clubs de loisirs).

- Le niveau de confiance des gens envers le futur proche.

- Le niveau d’implication civique des gens (ex.: le taux de participation aux dernières élections locales, etc.)

- Etc.

L’agrégation géographique de tous ces éléments leur a permis d’évaluer le capital social dans quelque 2.400 comtés des États-Unis. Et ce, en s’appuyant sur les travaux du politologue américain Robert Putman, qui a établi le capital social de l’Italie et ainsi mis au jour le fait que la participation des gens aux organisations sociales et politiques était une composante clé du capital social, car celle-ci «inculque à leurs membres des habitudes de coopération économique, de solidarité et civilité».

Puis, les deux chercheurs d’Anderson ont regardé s’il y avait le moindre lien entre le capital social d’un comté et le vote des gens lors des primaires républicaines et de l’élection présidentielle de 2016, qui se sont traduites par l’arrivée au pouvoir de Donald Trump.

Résultat? Ça ne laisse la place à aucun doute: «Plus le capital social est bas, plus le vote pour Trump est élevé, et inversement, notent-ils dans leur étude. Par conséquent, il suffit que le tissu social s’effiloche - à cause, en particulier, d’un dépérissement des organisations civiques et religieuses - pour voir monter en puissance le populisme.»

Autrement dit, plus les gens se sentent isolés sur les plans civiques et religieux - oui, plus ils se sentent distants des autres, les associations locales manquant de subventions et les organisations religieuses manquant d’attrait et de dynamisme -, plus les gens sont prompts à élire un leader charismatique, qui promet de remettre du lien là où il n’y en a plus guère, quitte à promettre monts et merveilles, voire à monter ses électeurs contre les autres électeurs dans l’optique d’obtenir une base électorale nombreuse et solide. À voter, donc, pour un slogan simpliste du genre «Make America Great Again», qui flatte l’ego, booste la fierté nationaliste et insuffle un esprit guerrier, les hostilités étant prêtes à être déclarées à tous ceux qui entraveraient «le chemin glorieux des États-Unis».

Ainsi, le capital social calculé par les deux chercheurs varie entre -3,6 points et +8,1 points aux États-Unis. Deux cas californiens illustrent parfaitement leur découverte:

- Le comté de Kings a un capital social de -2,78 points, ce qui le fait figurer dans le premier centile de la distribution du social capital aux États-Unis (seulement 1% des comtés américains ont un capital social inférieur au sien). C’est l’un des comtés les plus Trumpistes de la Californie.

- Le comté d’Alpine a, lui, un capital social de +2,39 points, si bien qu’il figure dans le 97e centile du capital social aux États-Unis (97% de comtés américains ont un capital social inférieur au sien). C’est l’un des comtés les plus fidèles aux Démocrates de la Californie.

En général, chaque fois qu’on assiste à un écart de capital social de 1 point entre deux comtés, on note un gain de 1,48 points de pourcentage pour Trump aux primaires républicaines et de 0,96 point à l’élection présidentielle. Ce qui signifie que là où la connexité - le principe selon lequel les êtres humains n’évoluent sainement que s’ils nouent des liens fructueux entre eux - dépérit, le populisme fleurit.

C’est que le terreau devient dès lors fertile pour les idées extrémistes dont sont si friands les leaders populistes, à l’image des idées xénophobes: «Notre étude montre notamment que les leaders populistes qui mettent le fardeau des dysfonctionnements socioéconomiques sur les épaules des Autres - les immigrés, les étrangers,... - prospèrent dans les lieux où les liens sociaux sont faibles, pour ne pas dire amorphes», soulignent Mme Giuliano et M. Wacziarg, sans prendre la peine, bien entendu, de rappeler les propos de Trump à l’égard, entre autres, des Mexicains, ces «éléments» qui «posent problèmes, apportent avec eux la drogue, apportent le crime, sont des violeurs» (extrait de son discours de candidature du 16 juin 2016, à New York).

La conclusion de tout ça saute aux yeux: qui entend enrayer populisme se doit tout bonnement de raviver les liens entre les gens, c’est-à-dire de soutenir les organisations qui ont des dimensions sociales, culturelles, sportives, civiques ou encore religieuses, d’encourager les rencontres locales entre les gens, de prôner la diversité et ses bienfaits. C’est fort simple, il lui faut redonner de la vigueur à la démocratie, c’est-dire insuffler une toute nouvelle énergie au réseau de connexions existant entre les gens vivant dans un même lieu géographique, pour ne pas dire dans une même communauté. Oui, il suffit de redonner vie à la connexité, et le tour sera joué.

À noter que cela est toujours vrai, quelle que soit la taille du groupe en question. Vous vous inquiétez de l’émergence de «petits chefs» au sein de votre entreprise? Parfait. Voyez cela comme une montée de populisme dans votre organisation, et traitez la comme il se doit, c’est-à-dire en invitant chacun à renforcer ses liens avec les autres (son équipe, les membres d’autres équipes, etc.), voire en mettant en place vous-même des occasions astucieuses de renforcer ceux-ci (ex.: offrir la bière et le jus pour ceux qui voudraient organiser un 4@6 tous les jeudis, installer un baby-foot dans la salle commune, organiser un tournoi de pétanque, etc.). Comme ça, des employés qui ne se connaissaient pas vraiment pourront faire connaissance, ou encore certains verront qu’ils avaient des affinités insoupçonnées entre eux et se mettront à collaborer davantage entre eux. Et par suite, la connexité gagnera en puissance ici et là, si bien que les «petits chefs» perdront de leur emprise, pour le plus grand bien de l’ensemble de l’entreprise. CQFD.

En passant, le dramaturge norvégien Henrik Ibsen a dit dans Un Ennemi du peuple : «La société est comme un navire; tout le monde doit contribuer à la direction du gouvernail».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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