Mesdames, voici pourquoi vos carrières sont au point mort!

Publié le 06/03/2020 à 14:10

Mesdames, voici pourquoi vos carrières sont au point mort!

Publié le 06/03/2020 à 14:10

Le phénomène du «boys' club» joue toujours... (Photo: Austin Distel/Unsplash)

BLOGUE. Aujourd’hui, j’ai quatre chiffres à vous communiquer. Quatre chiffres qui font froid dans le dos…

Une étude du cabinet-conseil McKinsey & Company qui date de 2019 montre qu’en Amérique du Nord:

  • 48% des employés sont des femmes;
  • 38% des gestionnaires sont des femmes;
  • 22% des membres de la haute-direction sont des femmes;
  • 5% des PDG sont des femmes.

Ainsi, plus un poste est élevé sur le plan hiérarchique, moins il est accessible à une femme. Dit autrement, plus une femme entend faire progresser sa carrière, plus elle sera en butte à la discrimination. C’est aussi simple et radical que ça.

Bon. Je vois d’ici plus d’un lecteur masculin en train de sourciller à la lecture de ces chiffres et de cette conclusion: «Ben là, c’est vite dit qu’elles souffrent de discrimination. C’était peut-être vrai il y a un certain temps, mais plus de nos jours. D’ailleurs, chez nous, y en a pas de discrimination…», pensent-ils sûrement.

OK. Permettez-moi, donc, de vous éclairer sur ce point. Grâce à une étude intitulée The old boys’ club : Schmoozing and the gender gap et signée par Zoë Cullen, professeure de management à la Harvard Business School; et Ricardo Perez-Truglia, professeur d’économie à l’École de management Anderson de l’Université de Californie à Los Angeles (États-Unis).

En regardant les chiffres que je vous ai donnés, les deux chercheurs se sont demandé si la difficulté des femmes à obtenir des promotions ne venait pas d’un phénomène appelé «boys’ club», lequel désigne la solidarité – consciente ou inconsciente – des hommes entre eux. Le principe est simple: vous comme moi (si vous êtes un gars), nous avons le réflexe de nous entourer de chums qu’on apprécie, et par suite, d’avoir un geste de recul lorsqu’un inconnu tente de se joindre à notre «gang»; et il se trouverait que, comme à l’école, si l’inconnu en question est une fille, le geste spontané de recul est encore plus prononcé. Pourquoi ça? Parce que la «différence» est plus prononcée si c’est une fille que si c’est un gars.

Le boys’ club était clairement affiché et assumé dans les milieux d’affaires, il n’y a pas si longtemps. Et il est encore très présent dans certains milieux professionnels que l’on présente classiquement comme «des métiers de gars». Mais se pose tout de même la question de savoir s’il joue encore un vrai rôle, de nos jours, dans le blocage des femmes pour l’accession à des postes à responsabilités.

Pour s’en faire une idée, Mme Cullen et M. Perez-Truglia se sont plongé dans les données internes d’un grande banque dont l’identité n’a pas été dévoilée dans l’étude, sachant que son profil est:

  • 75% des employés sont des femmes;
  • 61% des gestionnaires sont des femmes;
  • 25% des membres de la haute-direction sont des femmes;
  • 0% des membres du conseil d’administration et 0% du PDG sont des femmes.

Ils ont considéré l’évolution professionnelle des 14 736 employés, dont 1 269 avaient un rôle managérial, entre 2015 et 2018. Et ils ont particulièrement analysé les 10 101 interactions documentées entre 6 536 employés et 751 gestionnaires. Ce qui leur a permis de mettre au jour ceci:

  • Les employés masculins sont nettement plus facilement promus lorsque leur gestionnaire est un homme que lorsque celui-ci est une femme. Mieux, le gain financier qui résulte de cette promotion est 13% plus élevé lorsque le gestionnaire est un homme que lorsque c’est une femme.
  • Les employées, elles, sont tout autant promues, que leur gestionnaire soit un homme ou une femme. En fait, le sexe du gestionnaire ne fait aucune différence, dans ce cas-là.
  • Lorsqu’on tient compte de tous les critères qui amènent un gestionnaire masculin à privilégier – consciemment, ou pas – les employés masculins lors de l’attribution d’une promotion, on note qu’il ne s’agit pas d’une question de performance professionnelle qui serait supérieure. En fait, la performance n’entre pas tant que ça en ligne de compte (contrairement à ce qu’on pourrait croire, ou encore à ce qu’on entend presque toujours dire…). Le principal facteur, c’est le phénomène du boys’ club; et celui-ci explique le tiers (38%) de la différence de rémunérations entre les hommes et les femmes, à poste et compétences égales, selon les calculs des deux chercheurs.

Maintenant, par quel mécanisme se produit ce phénomène, toujours présent de nos jours, comme on vient de le voir? C’est là tout le sel de cette étude, d’après moi…

Les deux chercheurs ont en effet noté que le phénomène ne s’exprimait pas spontanément, mais au bout d’un certain laps de temps («en général, au bout d’un an ou deux») de travail ensemble: ce n’est qu’à partir du moment où le gestionnaire et l’employé masculin ont appris à se connaître – et à s’apprécier – que ce dernier bénéficie d’une promotion.

«Le phénomène ne se produit que lorsque les deux jouissent d’une proximité quotidienne au travail. À plus forte raison lorsqu’ils socialisent ensemble, en-dehors du travail: 5@7, activité sportive commune, partage d’un même hobby, etc.», indiquent Mme Cullen et M. Perez-Truglia.

Bref, le problème provient de la sympathie que l’on peut éprouver pour quelqu’un d’autre au travail. Quand un gestionnaire éprouve de la sympathie pour un collègue, il n’y a aucun problème particulier à faire des 5@7 ensemble, ou encore à aller voir un match des Canadiens ensemble; et le jour venu, à proposer une promotion à son ‘chum’ plutôt qu’à un autre collègue tout aussi compétent (c’est le petit plus qui fait toute la différence).

En revanche, la sympathie devient épineuse, pour ne pas dire ambiguë, lorsque le gestionnaire est un gars et la collègue, une femme. Sortir souvent ensemble à des 5@7? Proposer une promenade en ski de fond? Oui, c’est envisageable, mais disons que c’est un peu plus ‘complexe’ que si c’était un gars. Si bien que la sympathie est plus difficile à nouer, au point d’empêcher les femmes de bénéficier de ce petit plus qui fait toute la différence lors de l’attribution d’une promotion.

Voilà. Comme les gestionnaires et les membres de la haute direction sont aujourd’hui majoritairement des hommes, leur sympathie va naturellement à leurs collègues masculins. Au détriment des femmes. Et de leurs carrières. CQFD.

La question saute aux yeux: y a-t-il moyen de corriger le tir? D’empêcher que la sympathie joue systématiquement en faveur des gars? Et donc, de débloquer la carrière des femmes de votre organisation?

La bonne nouvelle, c’est que les deux chercheurs fournissent dans leur étude trois voies à explorer en ce sens. À vous de voir laquelle serait la plus appropriée pour votre organisation:

 

1. Changer le mode d’attribution des promotions. Le favoritisme – conscient, ou pas – peut être contrecarré si chaque promotion est accordée non plus par un gestionnaire, mais par un trio de personnes, dont le gestionnaire. Certes, ce dernier pourra toujours faire valoir qu’il ressent une plus grande affinité avec un candidat – son ‘chum’ – qu’avec les autres, mais les deux autres ‘juges’ pourront contrebalancer ce biais.

2. Standardiser l’attribution des promotions. L’organisation peut établir une liste de critères précis et objectifs à remplir pour pouvoir bénéficier d’une promotion. Et si possible, des critères mesurables.

3. Organiser des événements de socialisation. L’entreprise peut organiser elle-même des événements permettant aux employés de socialiser ensemble, et ce faisant, veiller à ce que ceux-ci soient «asexués». L’idée est simple : favoriser l’émergence de la sympathie entre les uns et les autres, sans distinction de sexe. Par exemple, il peut être bon – en ce sens – d’organiser une soirée karaoké, mais pas une soirée lancés de hache.

 

En passant, l’écrivain japonais Kōbō Abe a dit dans La Face d’un autre : «Une haute sympathie pour les autres provient d’un grand degré d’adhérence à soi-même».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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