Adieu banquiers et autres comptables ?


Édition du 15 Septembre 2018

Adieu banquiers et autres comptables ?


Édition du 15 Septembre 2018

[Photo : 123RF]

Lorsque Nordea a publié ses résultats financiers du deuxième trimestre, de nombreux analystes sont tombés de leur chaise. La plus importante banque de Suède a en effet vu son bénéfice d'exploitation bondir de 31%, à 2 milliards de dollars, loin, très loin devant ses concurrentes (Swedbank : + 23% ; Handelsbanken : + 18% ; SEB : + 9%), et ce, alors qu'en 2017, celui-ci avait carrément chuté de moitié.

Que s'est-il passé en seulement six mois ? D'une part, Nordea a sabré ses coûts à hauteur de 11 %, à la suite du licenciement de 8 % de sa main-d'oeuvre, laquelle compte 29 300 employés. D'autre part, elle a remplacé les principaux d'entre eux par... des robots intelligents !

«Nous sommes tellement satisfaits de la performance enregistrée grâce à cette opération que la prochaine étape va être le licenciement de 6 000 employés supplémentaires», a lancé sans ambages Casper von Koskull, le PDG de Nordea, lors du dévoilement des résultats. Et d'expliquer : «Le secteur bancaire est irrémédiablement appelé à une mutation profonde en raison de l'avènement de l'intelligence artificielle, et, comme toujours, les précurseurs sont nécessairement les mieux placés pour tirer leur épingle du jeu.»

Un temps réluctantes par rapport à la robotisation de leurs activités, les concurrentes de Nordea ont fini par lui emboîter le pas. «Nous allons bientôt automatiser tout ce qui pourra être automatisé», a dit Johan Torgeby, le PDG de la SEB. «J'ai demandé à mon équipe de direction de regarder tout ce qui pouvait être fait pour rendre nos opérations plus efficientes grâce à l'IA», a dévoilé, de son côté, Anders Bouvin, le PDG de la Handelsbanken. Quant à Birgitte Bonnesen, la PDG de la Swedbank, elle vient de donner son feu vert à l'automatisation de certaines activités, comme le traitement des demandes d'hypothèque.

Bref, la «robolution» est en train de frapper de plein fouet les banques. Du moins, en Scandinavie. Le mouvement va-t-il s'étendre à l'échelle de la planète ? Il semble bien que oui...

L'Institut Sapiens, un think tech français qui entend remettre l'humain au coeur du numérique, a mené en août une étude pour le compte du quotidien Le Parisien-Aujourd'hui en France sur les professions menacées par la «robolution». Il en ressort que cinq professions sont franchement à risque de disparaître au cours des prochaines décennies, et parmi elles figurent les métiers de la banque, de l'assurance et de la comptabilité. Ni plus ni moins.

«Les agents de guichet, les téléconseillers, les employés de services techniques, les commerciaux... Tous ces employés de la banque risquent de disparaître de France d'ici 20 ou 30 ans, selon nos estimations, indique Erwann Tison, directeur des études de l'Institut Sapiens. On peut vraiment s'attendre à une extinction prochaine et rapide de ces métiers qui embauchaient encore près de 2 % de la population active il y a 30 ans. D'autant plus que l'hécatombe n'en est pas à ses débuts : entre 1986 et 2016, la main-d'oeuvre du secteur bancaire français a chuté de 39 %, en grande partie à cause de l'évolution technologique.»

Pareillement, les effectifs du secteur comptable ont diminué dans l'Hexagone de 23 % depuis 2004, et «le mouvement va s'amplifier à cause de l'utilisation croissante des logiciels intelligents qui n'ont plus besoin d'aucune intervention humaine».

«Les jeunes qui suivent actuellement un programme de formation en comptabilité ne pourront en aucun cas exercer leur métier toute leur vie, et doivent donc se faire à l'idée de devoir se réorienter à plus ou moins brève échéance», souligne M. Tison.

Ce n'est pas tout. Même les métiers de la finance nécessitant un très haut niveau de compétence sont d'ores et déjà menacés...

Bryan Kelly est professeur de finance à Yale, et Dacheng Xiu, professeur d'économétrie et de statistique à l'École de commerce Booth de l'Université de Chicago. Assistés du doctorant en finance et en économétrie Shihao Gu, ils ont concocté un robot intelligent qui a la capacité d'apprendre par lui-même à mesure qu'il planche sur un problème. Et ils lui ont confié quelque chose de très pointu, à savoir l'épineuse mission d'anticiper l'évolution de la prime de risque liée à un actif sur le marché boursier.

Les trois chercheurs lui ont confié quelque 30 000 portefeuilles qui avaient été gérés par des champions de la gestion d'actifs entre 1957 et 2016, histoire d'apprendre comment bien évaluer les primes de risque. Puis, ils lui ont demandé de déterminer tout seul une méthode permettant d'enregistrer de meilleurs résultats que les leurs.

Résultat ? «Notre robot intelligent affiche une performance nettement plus élevée que celle des humains, surtout en matière d'anticipation du prix, de la liquidité et de la volatilité», notent-ils dans leur étude. Un exemple frappant : les portefeuilles composés de titres issus du S&P 500 qui ont été gérés par le robot intelligent ont affiché un rendement mensuel systématiquement supérieur de 1,39 % à 1,80 %, ce qui, mine de rien, est énorme.

Et de conclure, sobrement : «De toute évidence, l'intelligence artificielle est appelée à un bel avenir dans la finance...»

*****

Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

Découvrez les précédents billets d'Espressonomie

La page Facebook d'Espressonomie

Et mon dernier livre : 11 choses que Mark Zuckerberg fait autrement