Stabilité et incertitude dans la Chine de Xi Jinping

Publié le 17/03/2018 à 06:30

Stabilité et incertitude dans la Chine de Xi Jinping

Publié le 17/03/2018 à 06:30

Le président de la Chine Xi Jinping

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Le président de la Chine Xi Jinping devenu en mars 2018 le leader chinois le plus puissant depuis Mao Tsé-toung (1893-1976) avec la suppression de la limite des mandats présidentiels. Un geste qui assure une plus grande stabilité à moyen terme, mais qui insuffle une dose massive d’incertitude à long terme, affirment les spécialistes.

Sans surprise, le parlement chinois a voté le 11 mars en faveur de ce changement constitutionnel (la limitation à deux mandats de 5 ans) par 2 958 voix pour, deux contre et trois abstentions. Xi Jinping, qui amorce son deuxième mandat, peut donc demeurer président à vie de la deuxième économie mondiale et de LA puissance militaire montante.

Le leader chinois de 64 ans devient non seulement président à vie, mais il cumule aussi de plus en plus de pouvoirs aux niveaux politique, économique et militaire. Une situation qui inquiète les spécialistes de la Chine tels que Willy Lam, politologue à l’université chinoise de Hong Kong, dans un entretien à l’Agence France-Presse.

«Nous assistons au retour de l’ère de Mao Tsé-toung, lorsqu’une seule personne décidait pour des centaines de millions. Il n’y a pas de contre-pouvoirs. C’est très dangereux, car Xi Jinping risque de commettre des erreurs parce que personne n’osera s’opposer à lui.»

C’est l’ancien leader chinois Deng Xiaoping -le père de l’ouverture de la Chine communiste au capitalisme et au commerce international- qui avait imposé la limite de deux mandats dans la constitution de 1982.

Lui-même une victime des purges de Mao durant la révolution culturelle lancée en 1966, Deng Xiaoping a voulu ainsi éviter un retour à un régime dictatorial de l’ère du fondateur de la Chine communiste.

De plus, cette limite de deux mandats permettait un renouvellement de l’élite dirigeante chinoise, avec un changement de garde à tous les dix ans. Ainsi, avant Xi Jinping, Jiang Zemin et Hu Jintao avaient notamment dirigé la Chine.

Pourquoi Xi Jinping veut-il être président à vie?

Plusieurs facteurs expliquent pourquoi Xi Jinping a voulu faire sauter la limite des deux mandats présidentiels, selon les spécialistes de la Chine.

Il veut d’abord avoir les coudées franches et tout le temps nécessaire pour mener à terme les réformes qu’il a amorcées dans son premier mandat, selon la firme américaine d’analyse du risque politique Eurasia Group.

Le président a quatre priorités : la stabilisation du système financier chinois, la réduction de la pauvreté, la protection de l’environnement et le développement des industries de haute technologie.

Ces réformes sont amorcées dans un contexte où la croissance économique chinoise a ralenti ces dernières années.

Sur le plan politique, Xi Jinping veut aussi poursuivre sa politique étrangère afin que la Chine reprenne sa place au sommet en Asie et dans le monde. Or, une telle stratégie prend beaucoup de temps, bien au-delà de deux mandats de 10 ans, soulignent les analystes.

Cette stratégie passe principalement par le déploiement de la marine chinoise en Asie-Pacifique, et par la construction de bases militaires à l’étranger -la première a été inaugurée dans la corne de l’Afrique, à Djibouti, en 2017.

Enfin, en devenant président à vie, le président Xi veut sans doute aussi garantir sa propre sécurité, estime Lun Zhang, un spécialiste de la Chine.

«La campagne de lutte anticorruption extrêmement violente qu’il a menée pour éliminer ses adversaires l’a placé dans une situation très dangereuse. Supprimer la limite des mandats est par conséquent une garantie institutionnelle pour sa survie politique et physique», écrit-il dans une tribune publiée Le Monde.

Stabilité et incertitude

Quelle seront les conséquences de la fin de la limite des deux mandats présidentiels sur la Chine?

À court terme, il n’y aura pas de changement, car Xi Jinping amorce ces jours-ci son deuxième mandat de cinq ans qui se termine en 2023.

À moyen terme, la politique chinoise sera plus prévisible, font valoir certains analystes.

Le président poursuivra ses réformes économiques, qui visent notamment à développer un marché domestique. Il veut aussi faire de la Chine à terme une puissance manufacturière de qualité comme l’Allemagne et les États-Unis avec la politique du Made in China 2025.

Xi Jinping pourra aussi poursuivre la lutte à la corruption en Chine (qui est aussi, dans le même temps, une lutte contre ses opposants politiques).

Aussi, ceux qui avaient pensé s’en tirer en gardant un profil bas d’ici 2023 devront déchanter : la lutte anticorruption pourrait durer très longtemps, voire des décennies.

À long terme, la fin de la limite des mandats présidentiels crée beaucoup d’incertitude. Et les raisons sont nombreuses, selon les spécialistes.

Qui succédera à Xi Jinping s’il décide un jour de céder volontairement le pouvoir ou s’il décède? C’est la grande inconnue. L’ancien système aboli le 11 mars permettait justement de planifier cette transition à partir de la fin du premier mandat d’un président chinois.

La fin de la limite des deux mandats enlève aussi la «valve de pression politique» qui garantissait une certaine stabilité à long terme en Chine, souligne la chaîne CNN.

Dans l’ancien système, les factions au sein du parti communiste chinois (PCC) qui n’étaient pas au pouvoir pouvaient prendre leur mal en patience et attendre un changement de garde tous les 10 ans. Aujourd’hui, ces factions seront écartées du pouvoir pour très longtemps.

Ce qui crée un nouveau risque politique en Chine : le renversement violent de la faction au pouvoir par une autre faction au sein du PCC. Et le président Xi en est certainement conscient. Par conséquent, la répression politique en Chine pourrait s’accentuer.

Enfin, la fin de la limite des mandats présidentiels crée un risque géopolitique majeur, dont il est très difficile d’évaluer aujourd’hui l’ampleur, disent les analystes.

Xi Jinping deviendra de plus en plus puissant et incontesté dans les prochaines années. Or, dans ce contexte, personne n’osera remettre en question ses décisions ou ses orientations politiques si elles s’avèrent désastreuses pour la Chine, l’Asie-Pacifique et le reste du monde.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand