Pourquoi le changement climatique menace les investisseurs

Publié le 18/05/2019 à 09:06

Pourquoi le changement climatique menace les investisseurs

Publié le 18/05/2019 à 09:06

Une automobile submergée par les eaux de la crue dans la banlieue montréalaise de Sainte-Marthe-sur-le-Lac, le 29 avril 2019. (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Après la Banque d’Angleterre en 2015, c’est maintenant au tour de la Banque du Canada de mettre en garde les institutions financières et investisseurs contre les risques énormes que représentent les changements climatiques sur leurs activités.

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Pour la première fois de son histoire, la Banque du Canada a fait part ce jeudi de son inquiétude croissante à propos de l’impact des changements climatiques sur l’économie et le système financier au Canada, sans parler des investisseurs.

«Les changements climatiques continuent d’être une source de risques pour l’économie et le système financier, en raison à la fois des risques physiques découlant des phénomènes météorologiques extrêmes et des risques liés à la transition vers une économie mondiale sobre en carbone», écrit l’institution dans sa Revue du système financier – 2019.

L’institution souligne que les coûts des changements climatiques pour l’économie canadienne ont explosé depuis une quarantaine d’années en raison des catastrophes naturelles (les données viennent du Bureau d’assurance du Canada).

  • Entre 1983 et 1992, les dommages assurés (biens et infrastructures) se sont chiffrés en moyenne à 200 millions de dollars par année.
  • Entre 2008 à 2017, les dommages assurés se sont élevés en moyenne à 1,7 milliard de dollars par année.

La transition vers une économie sobre en carbone a commencé au Canada et ailleurs dans le monde, note la Banque du Canada.

Une transition qui se traduit par une «préférence de plus en plus marquée» pour les sources d’énergie et les procédés de production qui émettent moins de gaz à effet de serre (GES).

Dans ce contexte, la Banque du Canada estime que les coûts de cette transition seront particulièrement élevés dans les secteurs qui produisent beaucoup de GES, notamment l’industrie pétrolière et gazière.

Le risque d'avoir des actifs échoués

«Si certaines réserves de combustibles fossiles demeurent inexploitées, les actifs de ce secteur pourraient se transformer en actifs échoués, perdant ainsi une bonne partie de leur valeur.»

Un actif échoué (ou Stranded Asset, en anglais) est un actif qui perd de la valeur en raison de l’évolution des lois, des contraintes environnementales ou des technologies. Par exemple, dans le domaine des télécommunications, l’apparition des réseaux de téléphonie mobile a dévalorisé les investissements réalisés dans les lignes fixes.

Pour leur part, les énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) courent le risque de devenir des actifs échoués, car la décarbonisation de l’économie est une tendance lourde qui est là pour durer.

Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, le Canadien Mark Carney, a soulevé cet enjeu en 2015, lors d’un discours prononcé à Londres devant un parterre d’assureurs -auquel le Financial Times a fait écho.

L’ancien gouverneur de la Banque du Canada a déclaré que la lutte aux changements climatiques risque de marginaliser les énergies fossiles, et entraîner des pertes «potentielles énormes» pour les investisseurs exposés à ce secteur.

Ce discours a créé une onde de choc mondiale dans les secteurs de la finance et des énergies fossiles, car il émanait non pas de scientifiques ou d’environnementalistes, mais de l’un des plus importants banquiers centraux de la planète.

Plusieurs personnes ont dénoncé Mark Carney, dont le président de la firme Lambert Energy Advisory, Philip Lambert, se demandant comment on pouvait ainsi parler de la marginalisation des énergies fossiles alors qu’elles représentent encore la majorité de la demande, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

D’autres observateurs ont par contre salué le discours du gouverneur de la Banque d’Angleterre.

Par exemple, la cheffe de la direction de l’Institutional Investors Group on Climate Change (IIGCC), Stephanie Pfeifer, estime qu’il a fait réaliser aux investisseurs l’importance de bien évaluer le risque climatique sur leurs actifs.

Selon la Banque du Canada, les gestionnaires d’actifs détiennent d’ailleurs des actifs «à forte intensité carbonique» au Canada et à l’étranger.

Plusieurs investisseurs institutionnels sont conscients de risques.

En février, lors de la présentation des résultats financiers de la Caisse de dépôt et placement du Québec, son PDG Michael Sabia a reconnu que le risque associé aux investissements dans les sociétés pétrolières est de plus en plus grand.

«Légèrement, tranquillement, et année, par année, par année, nous allons continuer à réduire notre exposition aux sociétés pétrolières, a-t-il déclaré à RDI Économie. Pas juste au Canada, mais mondialement, pour réaliser un objectif très important qui est le suivant : une réduction d’ici 2025 de 25 % de l’intensité de notre empreinte carbone.»

Les banques sont aussi à risque

D’autres acteurs du système financier courent des risques en raison des changements climatiques, à commencer par les banques, souligne la Banque du Canada.

Pourquoi? Parce qu’elles prêtent de l’argent à des entreprises qui produisent beaucoup d’émissions de GES et à leurs fournisseurs en amont en en aval des chaînes d’approvisionnement.

Les banques font donc face à un risque accru de crédit, c’est-à-dire qu’un emprunteur ne rembourse pas du tout ou une partie ses emprunts aux échéances prévues.

Les investisseurs en général sont aussi à risque, car peu de sociétés communiquent, dans leurs informations financières qu’elles publient, les impacts négatifs des changements climatiques sur leurs actifs et leurs activités, déplore la Banque du Canada.

Autre enjeu : les méthodes utilisées pour déclarer les risques liés au climat varient en fonction des secteurs et des régions.

Les spécialistes sont formels : les changements climatiques représentent le plus grand défi de l’humanité.

Les pays devront décarboniser leur économie afin de limiter le réchauffement du climat de la Terre qui a déjà augmenté de près de 1 degré Celcius depuis le début de l’ère industrielle, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Des secteurs en profiteront et en profitent déjà comme les énergies vertes.

Par contre, d’autres en pâtiront comme les énergies fossiles, même si elles demeurent encore les principales sources d’énergie dans le monde.

Cela dit, leur déclin est commencé, et il pourrait s’accélérer dans les prochaines années et décennies, estiment plusieurs analystes.

Les investisseurs avisés doivent donc tenir compte de cette donne dans leur gestion des risques climatiques.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand