Mort cérébrale de l'esprit du GATT


Édition du 11 Mars 2020

Mort cérébrale de l'esprit du GATT


Édition du 11 Mars 2020

OMC

L'OMC est toujours pertinente, affirment des spécialistes. Par contre, elle est très affaiblie. De plus, il faudra une bonne dose d'énergie, de volonté politique et de réalisme pour réanimer l'esprit du GATT, sans parler du mode de fonctionnement de l'OMC. Sur notre photo, une sculpture devant le siège social de l'OMC à Genève. (Photo: 123RF)

ZOOM SUR LE MONDE. Le président français Emmanuel Macron a lancé un pavé dans la marre en novembre en déclarant que l' Organisation du traité de l'Atlantique Nord était en état de « mort cérébrale ». Les exportateurs canadiens ont fait fi de cette déclaration, mais ils devraient en revanche s'inquiéter de la mort cérébrale de l'esprit de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), car elle réduit leur compétitivité et augmente leurs coûts d'exportation par rapport à leurs concurrents américains.

L'esprit du GATT, entré en vigueur en 1948, est la philosophie économique qui a permis de relancer le commerce international après la Seconde Guerre mondiale.

Pendant la terrible dépression des années 1930, les pays industrialisés ont en effet protégé leur marché domestique en bloquant pratiquement les importations à l'aide de tarifs douaniers très élevés.

Aux États-Unis, la loi Hawley-Smoot a fait passer le tarif moyen sur les importations protégées de 39 % à 53 %. Cette flambée de protectionnisme a été catastrophique, provoquant un effondrement de plus de 50 % du commerce international, peut-on lire dans Principles of Macroeconomics, coécrit par l'ancien président de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke.

À titre de comparaison, le commerce international a chuté de 12 % en 2009 lors de la dernière récession mondiale, selon l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui a succédé au GATT en 1995.

Au sortir de la guerre, les barrières au commerce étaient donc légion. C'est pourquoi les leaders de l'époque ont créé le GATT, qui comptait à l'origine 23 pays, dont le Canada et les États-Unis.

Les deux règles fondamentales du GATT

L'avocat Bernard Colas, spécialiste en droit du commerce international au cabinet CMKZ, souligne que l'esprit du GATT repose sur deux règles : la clause de la nation la plus favorisée et le principe du traitement national.

La première stipule qu'un pays doit offrir aux autres membres du GATT ses meilleures modalités d'accès à son marché. La seconde prévoit qu'une fois passée la douane, la marchandise importée doit être traitée comme un produit fabriqué localement. Ce système multilatéral a livré la marchandise.

De 1945 à 1974, l'économie mondiale a connu une période d'expansion économique continue, en grande partie grâce aux cycles de négociations du GATT (huit au total entre 1948 et 1993).

Or, depuis la création de l'OMC en 1995, la libéralisation du commerce international sur une base multilatérale ne fonctionne plus. Le dernier cycle de négociation, lancé à Doha, au Qatar, en 2001, est d'ailleurs sur la glace.

D'une part, parce que l'augmentation du nombre de pays autour de la table (de 23 en 1948 à 164 en 2020) rend impossible toute forme de consensus. D'autre part, parce que les secteurs à libéraliser sont plus épineux, comme l'agriculture et les services.

Ce blocage des négociations multilatérales a des conséquences depuis 20 ans : la multiplication des accords de libre-échange bilatéraux ou regroupant plusieurs pays comme l'Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (APTGP).

L'élection du président Donald Trump aux États-Unis n'a fait qu'accentuer cette tendance avec son rejet du multilatéralisme politique et économique au profit de sa politique de l'« Amérique d'abord ».

Bref, nous n'arrivons plus à réduire collectivement les barrières au commerce international, comme à l'époque du GATT, alors que tous les pays membres en profitaient en même temps et de manière équitable.

Les entreprises d'ici sont désavantagées

Certes, le Canada a aujourd'hui neuf accords de libre-échange, comme celui avec l'Union européenne. Par contre, nos entreprises ne bénéficient que des avantages qu'Ottawa a pu obtenir auprès des pays avec lesquels il a négocié des traités.

Le meilleur exemple est la guerre commerciale entre les Américains et les Chinois. Les États-Unis ont maintenant un bien meilleur accès à l'immense marché de la Chine, un gain qui ne profitera qu'aux entreprises américaines.

Les exportateurs canadiens qui brassent des affaires en Chine sont donc désavantagés par rapport à leurs concurrents américains, car elles doivent payer des tarifs plus élevés ou se soumettre à une réglementation plus stricte.

L'OMC est toujours pertinente, affirment des spécialistes comme Bernard Colas. Par contre, elle est très affaiblie. De plus, il faudra une bonne dose d'énergie, de volonté politique et de réalisme pour réanimer l'esprit du GATT, sans parler du mode de fonctionnement de l'OMC.

Chose certaine, la formule du consensus n'est plus soutenable, avec 164 pays aux intérêts et au degré de développement très différents. Dans ce contexte, pourquoi ne pas imaginer une formule à la majorité qualifiée avec, par exemple, l'assentiment des deux tiers des membres de l'OMC ?

On pourrait aussi permettre aux pays qui le souhaitent de garder certaines protections si jamais une ouverture accrue au commerce international allait à l'encontre de leurs intérêts économiques, de leur identité, voire de leur stabilité politique.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le multilatéralisme économique a été un formidable outil de prospérité économique dans le monde, ouvrant de nouveaux marchés aux entreprises canadiennes.

Les puissances moyennes comme le Canada ont profité de ce cadre collectif où la loi du plus fort prédomine beaucoup moins. C'est pourquoi nos exportateurs ont tout intérêt à ce qu'on réanime l'esprit du GATT, si c'est du reste encore possible.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand