Tensions au Moyen-Orient: on respire par le nez!


Édition du 12 Février 2020

Tensions au Moyen-Orient: on respire par le nez!


Édition du 12 Février 2020

Une peinture murale sur l'ancien site de l'ambassade américaine à Téhéran.

Les entreprises canadiennes actives dans cette région ne devraient pas changer leur stratégie. (Photo: Getty Images)

CHRONIQUE. Nous surestimons souvent les risques géopolitiques au Moyen-Orient, à commencer par l'impact qu'aurait un Iran se dotant de la bombe atomique. Aussi, les entreprises canadiennes actives dans cette région ne devraient pas changer leur stratégie puisqu'une éventuelle bombe iranienne ne déstabiliserait pas davantage le territoire.

À la fin janvier, les tensions entre Washington et Téhéran provoquées par l'assassinat du général de Qassem Soleimani s'étaient apaisées, après que l'armée iranienne eut abattu en Iran - vraisemblablement par accident - un avion civil, tuant 57 Canadiens.

La crise est toutefois loin d'être terminée. Les tensions américano-iraniennes datent de la révolution islamique de 1979 en Iran, et elles se sont accrues avec la volonté de Téhéran de se doter un jour de la bombe atomique.

Le Canada exporte peu en Iran. En 2018, nos expéditions s'y élevaient à 94,4 millions de dollars canadiens. Le Moyen-Orient est par contre un marché stratégique, les exportations canadiennes y totalisant 7,3 milliards de dollars.

C'est pourquoi la stabilité politique de cette région est vitale pour nos entreprises. Or, non seulement le risque d'une guerre entre les États-Unis et l'Iran est limité, mais une bombe iranienne ne provoquerait pas de guerre dans l'avenir, disent des spécialistes.

Et la raison en est fort simple. Vingt ans après les longues guerres en Afghanistan (en 2001) et en Irak (en 2003), une majorité d'Américains s'opposent à l'implication de leur pays dans des conflits coûteux en vies et en ressources, semblant ne jamais vouloir se terminer, souligne le média Politico.

L'Iran ne souhaite pas non plus guerroyer contre les États-Unis. Le pays croulerait sous les bombes, détruisant ses infrastructures stratégiques, dont son industrie pétrolière essentielle à la survie du régime.

En fait, l'Iran poursuit deux objectifs dans son bras de fer avec Washington. Elle veut d'abord assurer sa sécurité. C'est la grande leçon depuis 1945 : la bombe atomique « sanctuarise » les États, car les puissances nucléaires ne se font pas attaquer par d'autres puissances nucléaires.

Elle veut aussi étendre son influence au Moyen-Orient parce l'ancienne Perse y a toujours été une puissance. L'Iran veut avoir du poids dans sa zone d'influence, comme la Chine en Asie-Pacifique, la Russie en Europe orientale ou les États-Unis dans le monde.

Risque nucléaire exagéré

Le président américain a récemment déclaré sur Twitter que l'« Iran n'aura jamais d'arme nucléaire ». Washington a trois façons d'y arriver : par la diplomatie, les sanctions économiques ou les frappes militaires.

Donald Trump a renoncé à la diplomatie en 2018. Il a retiré les États-Unis de l'accord sur le nucléaire iranien de 2015, qui permettait de retarder, voire d'éviter le développement d'un arsenal atomique contre la levée des sanctions imposées à l'Iran. Washington les a plutôt renforcées, plongeant le pays en récession. Or, les sanctions ne fonctionnent pas, selon Le Monde diplomatique. Elles n'ont pas empêché la Corée du Nord de se doter de la bombe atomique.

Quant aux frappes militaires, elles pourraient retarder le développement d'une bombe iranienne, mais elles ne pourraient pas l'empêcher, à terme, disent des spécialistes. Elles pourraient même accélérer les efforts du régime pour sanctuariser le pays.

Du reste, faut-il craindre une bombe iranienne ? Aujourd'hui, neuf pays ont un arsenal nucléaire : les États-Unis, la Russie, la Chine, la France, le Royaume-Uni, le Pakistan, l'Inde, la Corée du Nord et Israël.

Même si l'Iran se dote d'armes atomiques, elle n'attaquera pas, par exemple, Israël, car la réplique israélienne - et probablement américaine - serait immédiate. Le pays serait ravagé pour des décennies, sans parler des millions de morts.

C'est le fondement de la dissuasion : l'assurance d'une destruction mutuelle empêche les puissances nucléaires de se faire la guerre. C'est pourquoi les États-Unis et l'ex-URSS n'ont pas utilisé leur arsenal durant la guerre froide.

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Et le risque terroriste ? C'est-à-dire qu'une organisation utilise une bombe atomique contre Israël ou les États-Unis, neutralisant ainsi leur force de dissuasion. En effet, qui frapper en guise de représailles ?

Kenneth N. Waltz, un grand penseur de la théorie des relations internationales, a réfléchi à ce risque et a démontré qu'il était très faible.

Un groupe terroriste ne peut pas développer et utiliser une bombe atomique sans le soutien d'un État, et cet État n'est pas certain à 100 % de rester anonyme.

« Même si les dirigeants d'un pays arrivaient à se persuader que les chances de subir des représailles nucléaires sont faibles, qui serait prêt à prendre ce risque ? » écrit M. Waltz dans Realism and Internationl Politics.

Il faut garder bien en tête tous ces éléments quand les Américains et les Iraniens bomberont à nouveau le torse au Moyen-Orient.

Oui, les tensions peuvent être vives dans cette région, accompagnées de tirs de missiles ou de drones. En revanche, une guerre est improbable, et une éventuelle bombe nucléaire iranienne ne devrait surtout pas vous empêcher de dormir.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand