Il faut sauver le soldat Démocratie

Publié le 15/10/2016 à 09:36

Il faut sauver le soldat Démocratie

Publié le 15/10/2016 à 09:36

ANALYSE DU RISQUE - La démocratie libérale est en crise. Après avoir connu une croissance fulgurante à partir des années 1970, elle est en déclin depuis une décennie sur la planète, incluant en Occident, révèlent plusieurs études. Et la situation pourrait se dégrader encore si les citoyens ne se battent pas pour la sauvegarder.

En août, le Financial Times parlait même d'une «récession démocratique mondiale» (The global democratic recession).

Au début des années 1990, les politiciens inspirants étaient des démocrates comme Nelson Mandela, Vaclav Havel en Tchécoslovaquie ou des réformateurs tels que Mikhaïl Gorbatchev en URSS (aujourd'hui la Russie).

Or, aujourd'hui, les leaders qui semblent frapper l'imaginaire sont plutôt des autocrates ayant peu de respect pour la démocratie comme Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan, les présidents de la Russie et de la Turquie, souligne le quotidien britannique.

La popularité du candidat républicain Donald Trump aux États-Unis et la montée des partis d'extrême gauche et d'extrême droite en Europe témoignent aussi de cette crise.

Mais avant d'aller plus loin, un retour en arrière s'impose afin d'avoir une bonne perspective historique.

On l'oublie souvent, mais la démocratie est un régime politique récent dans l'histoire humaine. Certes, il y a eu de rares expériences - très imparfaites - durant l'Antiquité, à Athènes et à Rome (avant la création de l'Empire romain), par exemple.

Ce sont toutefois des exceptions qui confirment la règle, affirment les historiens.

Pour l'essentiel, les démocraties libérales et modernes sont nées en Amérique du Nord et en Europe occidentale au 18e siècle. Mais elles étaient aussi bien imparfaites à l'époque.

Elles n'accordaient pas par exemple le droit de vote aux femmes, sans parler de l'esclavage, aux États-Unis.

La définition même de démocratie est sujette à débat - que nous ne trancherons pas dans cette analyse - et à interprétation.

Par exemple, le site Our World in Data - développé à l'Université Oxford, au Royaume-Uni - estime que la première démocratie moderne est née aux États-Unis au début du 19e siècle, comme on peut le voir sur ce graphique.



Il a fallu attendre les années 1920 pour atteindre le cap de 20 démocraties dans le monde. Toutefois, la montée du fascisme et des régimes autoritaires en Europe dans les années 1930 a fait fondre ce nombre de moitié.

Ainsi, en 1942, à l'apogée de l'Allemagne nazie, on ne comptait que 9 démocraties dans le monde, incluant le Canada. Mais depuis 1945, leur nombre est en croissance. C'est par contre à partir des 1970 que l'on note une explosion des régimes démocratiques.

Dans les années 1970 et 1980, on assiste à la fin des dictatures en Amérique latine, mais aussi en Europe méridionale, en Espagne et au Portugal par exemple.

Quelques années plus tard, la chute du mur du Berlin (en 1989) et du communisme en Europe a aussi contribué à l'expansion des démocraties libérales.

Cette carte animée de l'Université Oxford montre bien leur évolution depuis deux siècles.

On y voit l'évolution de plusieurs types de régimes, incluant les «anocracy». Il s'agit d'un régime qui n'est ni entièrement démocratique ni entièrement autocratique, comme la Russie.

Actuellement, on compte 79 régimes démocratiques dans le monde, selon le Democracy Index 2015 publié par l'Economist Intelligence Unit, une division du groupe The Economist.

De ce nombre, 20 États sont des démocraties complètes (full démocracies, en anglais). Ce sont des pays où les libertés politiques et civiles de base sont respectées, sans parler de la présence d'une vitalité démocratique.

Le Canada et les États-Unis en font partie, tout comme la plupart des pays d'Europe occidentale.

Par contre, les 59 autres régimes démocratiques sont considérés comme des démocraties imparfaites (flawed democracies, en anglais). Ce sont des États où il y a des élections libres et justes, mais qui affichent plusieurs faiblesses importantes, au premier chef au chapitre de la gouvernance.

On y retrouve des pays comme le Japon, Israël, la France, la Belgique et le Brésil.

Un recul inquiétant

Après la chute du mur de Berlin, plusieurs spécialistes ont prédit un grand avenir à la démocratie libérale. Le politologue américain Francis Fukuyama est le plus célèbre d'entre eux, avec son essai La fin de l'histoire et le dernier homme, publié en 1989.

Avec le naufrage du communisme, il affirmait que nous assistions peut-être «au point final de l'évolution idéologique de l'humanité et [à] l'universalisation de la démocratie libérale comme forme finale de gouvernement humain».

Or, face au renforcement de l'autoritarisme chinois, à l'évolution de la Russie en un régime aux tendances dictatoriales, à la montée de l'islam radical, «la grande victoire du libéralisme occidental paraît moins évidente et ses valeurs semblent menacées au sein même des sociétés occidentales», écrivait le New York Times en novembre 2015.

Les données confirment l'impression générale que le contexte politique dans le monde est difficile pour les démocrates.

Le dernier rapport de Freedom HouseAnxious Dictators, Wavering Democracies: Global Freedom under Pressure»), une organisation américaine étudiant l'évolution de la démocratie dans le monde, est très éloquent.

Par exemple, en 2015, la liberté politique a reculé dans 72 pays, soit le nombre le plus élevé depuis 2006, année où Freedom House a commencé à mesurer différents indicateurs.

La part des pays dits libres dans le monde - c'est-à-dire là où les droits politiques et les libertés civiles sont respectés - a aussi décliné depuis 10 ans.

L'an dernier, 44% des États étaient libres comparativement à 46% en 2005 (un sommet historique), comme on peut le constater sur ce graphique.

Source: Freedom House (https://freedomhouse.org/report/freedom-world-2016/maps-graphics)

Cela dit, tout n'est pas sombre pour les démocrates et la démocratie libérale.

Par exemple, la situation s'est améliorée au Nigeria (le pays le plus populeux d'Afrique) et en Birmanie, souligne Freedom House. La Tunisie est aussi devenue un modèle de démocratie pour les sociétés musulmanes.

Il y a donc de l'espoir.

Par contre, force est de constater qu'après avoir progressé pendant des décennies, la démocratie libérale a commencé à reculer sur la planète.

Est-ce un phénomène conjoncturel ou une tendance lourde? Difficile de trancher avec certitude, disent les spécialistes.

Chose certaine, la présente élection aux États-Unis n'a rien pour redorer le blason de la démocratie libérale dans le monde. Durant la Deuxième Guerre mondiale et la guerre froide, les Américains étaient les leaders incontestés du «monde libre».

Ils le sont moins aujourd'hui.

Et la probable élection d'Hillary Clinton en novembre ne corrigera pas cette perception du jour au lendemain. Le prestige de la démocrarie américaine est affaiblie.

«Aujourd'hui, et comme cela l'a toujours été, la démocratie est une fleur fragile», nous rappelle le politologue américain Robert Kagan dans le Journal of Democracy, une revue académique américaine fondée en 1990.

Bref, si nous ne prenons pas soin de cette fleur, si nous ne l'arrosons pas, si nous ne l'aidons pas à respirer et à grandir, elle risque tout simplement de s'assécher et de se faner.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand