Et le nouveau leader de l'Europe est…


Édition du 12 Mai 2021

Et le nouveau leader de l'Europe est…


Édition du 12 Mai 2021

(Photo: 123RF)

ZOOM SUR LE MONDE. Depuis le début de la construction européenne, de grands leaders ont porté à bout de bras ce projet collectif, et ce, du chancelier ouest-allemand Konrad Adenauer au président français François Mitterrand. Or, depuis la récession de 2008-2009, l’Union européenne (UE) manque cruellement de figures inspirantes pour relancer une certaine idée de l’Europe. L’Italien Mario Draghi pourrait être ce nouveau leader dont le continent a tant besoin actuellement.

Cet ancien gouverneur de la Banque centrale européenne (BCE) est le président du Conseil italien (l’équivalent d’un premier ministre) depuis le 13 février. Il incarne un nouveau leadership pour relancer l’UE qui bat de l’aile depuis le Brexit, sans parler de la campagne de vaccination chaotique contre la COVID-19, alors qu’elle allait bon train au Royaume-Uni. Une honte continentale.

Dans son discours d’investiture, Mario Draghi a réaffirmé avec force l’ancrage européen et atlantiste de l’Italie, « un retour au répertoire fondamental de la politique étrangère de l’après-guerre », analyse le quotidien français « Le Figaro ».

C’est de bon augure pour les entreprises et les investisseurs québécois en Europe qui préfèrent la stabilité et la prévisibilité de la politique européenne, à commencer dans les principaux pays, comme l’Italie.

L’homme de 73 ans est conscient de son aura de « sauveur de l’euro » — acquise lors de la crise de la dette dans la zone euro au début des années 2010, lorsqu’il dirigeait la BCE — et il l’utilise déjà pour exercer son influence à Bruxelles.

Récemment, la Commission européenne a donné son feu vert au plan de relance italien de 221 milliards d’euros (327 milliards de dollars canadiens), dont 191 milliards proviennent de l’Europe. Par contre, pendant des semaines, Bruxelles a tergiversé en demandant plus de détails à Rome.

L’impasse s’est dénouée quand Mario Draghi a téléphoné directement à la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, pour lui dire qu’il se portait personnellement « garant » du plan italien, rapporte le quotidien italien « Corriere della Sera ». Influent, vous dites ?

 

Faiblesse du leadership en Allemagne et en France

L’arrivée de Mario Draghi à la tête de l’Italie — la troisième économie de la zone euro — arrive à un moment charnière sur le Vieux Continent, et ce, en raison de la conjoncture politique en Allemagne et en France.

La chancelière allemande Angela Merkel, au pouvoir depuis 2005, a perdu de son influence, puisqu’elle quittera ses fonctions en septembre, lors des élections législatives. Leader influente et respectée pendant des années, elle a par contre surtout adopté des politiques pour défendre les intérêts de l’Allemagne, sans trop pousser pour une plus grande intégration européenne. Malgré tout, son départ créera un vacuum de leadership en Europe.

Pour sa part, le président français Emmanuel Macron — un partisan de l’Union européenne — tentera de se faire réélire dans un an, sur fond de tensions sociales. Les sondages montrent qu’il battrait probablement au second tour la chef du Rassemblement national, Marine Le Pen — le 24 avril, un sondage Ipsos-Sopra publié par le quotidien « Le Monde » lui créditait 57 % des voix contre 43 % pour son adversaire.

Par contre, selon certains analystes, cette dernière pourrait créer une surprise, un peu comme Donald Trump aux États-Unis, à la présidentielle de novembre 2016.

D’une part, parce qu’un sondage publié le 8 mars (Harris Interactive pour Commstrat et publié dans le quotidien « L’Opinion ») montre qu’une majorité d’électeurs se refuserait à faire « barrage » à Marine Le Pen en se reportant sur le président sortant.

D’autre part, parce que le climat d’insécurité provoqué par la multiplication d’attaques terroristes islamistes au fil des ans pourrait inciter une majorité d’électeurs à se tourner vers l’extrême droite et Marine Le Pen, qui prône davantage la loi et l’ordre.

Advenant la victoire probable d’Emmanuel Macron, ce dernier en aurait plein les bras avec la politique française, et aurait aussi sans doute un intérêt limité pour les affaires européennes.

La tribune signée le 21 avril dans le magazine « Valeurs actuelles » (classé à droite ou à l’extrême droite) par une vingtaine de généraux, une centaine de hauts gradés et plus d’un millier de militaires à la retraite, appelant le président à défendre le patriotisme et à s’opposer au « délitement » de la France, témoigne d’un climat pour le moins tendu dans le pays.

Dans ce contexte, Mario Draghi deviendra « de facto » le leader et l’une des voix européennes les plus écoutés à Bruxelles, mais aussi à Washington.

 

Doctorat du MIT en économie

Mario Draghi détient un doctorat en économie du Massachusetts Institute of Technology (MIT), en plus d’avoir déjà travaillé au siège de la Banque mondiale, à Washington.

Il est aussi de la même génération que Joe Biden, en plus de partager un franc-parler qui ne déplaira sans doute pas au président américain. Récemment, Mario Draghi n’a pas hésité à qualifier le président turc Recep Tayyip Erdogan de « dictateur » après un incident protocolaire humiliant pour Ursula von der Leyen — parce qu’elle était une femme.

Pour autant, le président du Conseil italien n’est pas un messie. Aussi talentueux soit-il, les défis qui l’attendent sont énormes : réformer et relancer l’économie italienne, tout en continuant à promouvoir la construction européenne. Il a toutefois bien résumé sa vision dans un discours qu’il a prononcé devant le Sénat italien, en février.

« Sans l’Italie, il n’y a pas d’Europe », a-t-il dit. Tout en ajoutant du même souffle : « Mais en dehors de l’Europe, il y a moins d’Italie. Il n’y a pas de souveraineté dans la solitude. »

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand