Ce projet de loi affectera toutes les entreprises

Publié le 24/05/2024 à 18:00

Ce projet de loi affectera toutes les entreprises

Publié le 24/05/2024 à 18:00

Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, lors d'une récente entrevue éditoriale à Les Affaires. (Photo: Simon Prelle)

ANALYSE ÉCONOMIQUE. Tous les projets de loi sont importants, mais certains sont plus importants que d’autres, pour paraphraser George Orwell, l’auteur de La ferme des animaux. L’ambitieux projet de loi sur l'énergie que s’apprête à déposer le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, en est un bel exemple. Toutes les entreprises ou presque seront touchées de près ou de loin, et ce, pour le meilleur et pour le pire.

Selon diverses sources, le ministre pourrait présenter son projet de loi le 5 ou le 6 juin, soit juste avant la fin de la présente session parlementaire. Il doit auparavant avoir l’approbation du conseil des ministres, et ce, au début de la semaine du 3 juin.

Rarement un projet de loi aura suscité autant d’attentes, voire d’inquiétudes, et ce, aussi bien du côté du monde affaires, des citoyens que des groupes environnementaux.

Et on peut comprendre aisément pourquoi étant donné les problématiques auxquelles le Québec est confronté à court, moyen et à long terme.

On parle ici de l’accélération des changements climatiques, de la nécessité de décarboner l’économie, du manque d’électricité pour les entreprises, sans parler des projets énergétiques qu’Hydro-Québec veut réaliser d’ici 2035 et des prix de l’électricité qui seront probablement appelés à augmenter.

Voici ce qui devrait se retrouver dans le projet de loi ainsi que les éléments qui seraient souhaitables qu’on y retouve, selon quatre intervenants que nous avons interviewés.

Il s’agit de Pierre-Olivier Pineau, spécialiste en énergie à HEC Montréal, de Jocelyn B. Allard, président de l’Association québécoise des consommateurs industriels d’électricité (AQCIÉ), de François Vincent, vice-président Québec de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), et Mathieu Lavigne, directeur des affaires publiques et économiques à la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ).

 

Plan de gestion intégrée des ressources

Ainsi, le projet de loi de Pierre Fitzgibbon devrait contenir un plan intégré des ressources énergétiques (PIRE), comme on retrouve au Manitoba, en Colombie-Britannique ou en Nouvelle-Écosse.

Pour l’essentiel, selon le gouvernement du Québec, il s’agit d’un processus structuré «qui aide à comprendre comment l’avenir énergétique peut se dessiner et qui vise à identifier les actions nécessaires pour s’y préparer».

Par conséquent, un tel plan permet au gouvernement d’évaluer les ressources énergétiques nécessaires (incluant les mesures d’efficacité énergétique) ainsi que les répercussions sur l’environnement et la société afin de répondre aux besoins énergétiques à long terme.

Par exemple, le Québec veut être carboneutre en 2050. Or, on ne sait pas vraiment comment on peut espérer y arriver. Certes, il faudra décarboner, mais où, de quelle manière, sur quelle temporalité?

Bref, nous avons la stratégie (il faut décarboner), mais pas la tactique (comment) pour y arriver.

Pour les entreprises manufacturières et industrielles, le PIRE est capital: il les aidera à mieux planifier leurs investissements en capital de production, et ce, en fonction de l’énergie disponible à terme dans certaines régions du Québec.

Car, si le PIRE est fait selon les règles de l’art, il pourrait par exemple permettre d’anticiper quelles régions du Québec disposeront le plus de nouvelles sources d’énergie.

 

Ventes d’électricité gré à gré

Sans grande surprise, le projet de loi du ministre Fitzgibbon contiendra aussi des dispositions afin de permettre la vente d’électricité gré à gré, c’est-à-dire entre un producteur privé d’électricité et une entreprise manufacturière ou industrielle.

Actuellement, la loi interdit la vente d’électricité entre entreprises privées au Québec, à l’exception d’une condition: un producteur privé d’électricité peut en vendre à une société privée si cette dernière est située à l’extérieur de la province, en Ontario ou aux États-Unis, par exemple.

Cela dit, l’autoproduction est déjà permise au Québec. Par exemple, Rio Tinto Aluminium (RTA) produit en partie sa propre électricité au Saguenay–Lac-Saint-Jean.

En revanche, RTA ne peut pas vendre ses surplus à une autre entreprise privée.

Pour le secteur privé, cet élément est crucial alors qu’une entreprise manufacturière et industrielle sur trois (35%) manque d’électricité, ce qui limite leur potentiel de croissance, selon un récent sondage réalisé par Manufacturiers et exportateurs du Québec et l’AQCÉI.

La vente d’électricité gré à gré ne constitue pas une privatisation, même partielle, d’Hydro-Québec.

Premièrement, la société d’État ne vendra pas d’actifs de production, de transport ou de distribution d’électricité.

Deuxièmement, des entreprises privées produisent déjà de l’électricité depuis une vingtaine d’années au Québec, et ce, des parcs d’éoliennes aux minicentrales hydroélectriques, avec les Boralex, Kruger Énergie et autres Innergex de ce monde. En revanche, ces producteurs peuvent uniquement vendre cette énergie à Hydro-Québec.

Cela dit, les entreprises manufacturières et industrielles feraient face à trois défis de taille pour la vente d’électricité gré à gré: le prix, l’intermittence et la congestion du réseau d’Hydro-Québec — si des producteurs privés veulent s’en servir moyennant une redevance à la société d’État.

 

Tarifs d’électricité et rôle de la Régie de l’énergie

Avec la multiplication des projets énergétiques au Québec — la société investira de 155 à 185 milliards de dollars d’ici 2035 pour rajouter de 8000 à 9000 mégawatts de nouvelles capacités — et la hausse des coûts des projets, on voit mal comment les tarifs d’électricité ne pourront pas augmenter dans les prochaines années et décennies.

Selon la théorie économique, c’est une logique implacable: une demande plus forte en capital pour financer des projets exerce une pression à la hausse sur les taux d’intérêt, forçant les producteurs à augmenter leurs tarifs afin de réaliser le rendement sur le capital espéré.

Même le patron d’Hydro-Québec, Michael Sabia, a dit que ce scénario était inévitable l’automne dernier.

Reste à voir qui paiera la note qui s’annonce d’ores et déjà salée.

Les entreprises? Les particuliers? Les deux groupes?

Actuellement, les clients résidentiels d’Hydro-Québec ne paient pas le vrai coût de leur approvisionnement en électricité.

Comme l’a déjà dit si bien Sophie Brochu, ex-patronne d’Hydro-Québec et d’Énergir, on se vend le pain au prix de la farine…

Par conséquent, ce sont les entreprises qui assument cette différence dans la formule de l’interfinancement, sans parler que les hausses de tarifs des particuliers sont plafonnées à 3% par année — un plafond fixé par le gouvernement de François Legault.

Si rien n’est fait pour corriger la situation, la FCEI estime que les PME du Québec verront leurs tarifs d’électricité multipliés par 2,5 entre 2025 et 2035.

C’est pourquoi la FCEI et d’autres organismes souhaitent qu’on dépolitise la fixation des tarifs au Québec, et que la Régie de l’énergie revienne à son mandat d’origine, c’est-à-dire de fixer les tarifs d’électricité sur une base annuelle pour toutes les clientèles.

Et qu’on mette fin à la politique de l’interfinancement, de sorte qu’on fasse payer à une classe de consommateurs (les entreprises) des tarifs plus élevés afin de financer des tarifs plus bas pour une autre catégorie de clients (les particuliers).

Reste à voir si Pierre Fitzgibbon répondra à cette demande dans le projet de loi qu’il présentera à l’Assemblée nationale d’ici le 7 juin.

Plusieurs défis énergétiques attendent le Québec dans les prochaines années et décennies, et ce, pour décarboner complètement son économie tout en poursuivant son développement, en plus de répondre à la demande énergétique.

Le projet de loi du ministre devra poser le premier jalon de cet arbitrage pour le moins compliqué.

 

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À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Dans la mire, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Canada, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle ainsi que la gestion de l’énergie et des ressources naturelles. Journaliste à «Les Affaires» depuis 2000 (il était au «Devoir» auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières, et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke.

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