Quel est le bilan de votre travail à Montréal ?
J'ai réussi à mettre en réseau plusieurs infrastructures de recherche. J'ai formé une trentaine d'étudiants au doctorat. Mais il n'y a pas de financement ici pour faire des recherches avancées chez l'humain. Le Centre de biologie expérimentale que j'ai ouvert à l'Institut Armand-Frappier est sous-utilisé, faute d'argent. J'ai un tas de brevets que je suis obligé de vendre à bas prix, parce qu'ils n'ont pas franchi la phase 1 de la recherche. On s'appauvrit de cette façon, car si j'avais eu du financement pour aller plus loin, la vente de brevets rapporterait 10 fois plus. En revanche, aux États-Unis, on me donnera entre 5 et 10 fois plus d'argent pour chaque recherche et, en plus, on me garantit le financement pendant 10 ans. Cela me permettra de réaliser de grands projets et de conserver mon équipe.
Qu'est-ce qui ne va pas dans le financement de la recherche au Canada ?
Notre système d'examen par les pairs fonctionne très bien. Tellement bien qu'on est en train de le copier en France. Le chercheur canadien est tout aussi productif que le chercheur américain. Mais il me paraît clair qu'il n'y a pas de stratégie en matière de recherche au Canada. La main droite ignore ce que fait la main gauche : on finance les infrastructures de recherche, mais pas la recherche. Chercher des fonds équivaut à jouer à la loterie. Et c'est d'ailleurs pourquoi il y a de moins en moins de jeunes qui entrent en recherche. Le dernier budget fédéral a compté dans ma décision d'aller travailler en Floride, mais cela fait cinq ans que les fonds publics pour la recherche diminuent. Les chercheurs canadiens méritent mieux que cela.
Ce n'est donc qu'une question de volonté et d'argent ?
Oui. Il y a certes des projets que seuls les très grands, comme les États-Unis ou les consortiums européens, peuvent réaliser. Cela étant dit, la première chose qu'Ottawa doit faire, c'est d'injecter plus de ressources dans la recherche fondamentale, sinon on perdra nos jeunes chercheurs. Il faut pouvoir faire de la recherche chez l'humain au Canada, mais cela coûte cher. Dans mon laboratoire, j'avais besoin de 20 primates, mais à 25 000 $ le primate, il me fallait un demi-million de dollars, que je n'avais pas.
(CV )
Nom : Rafick-Pierre Sékaly
Âge : 58 ans
Fonction : Directeur
Organisation : Laboratoire d'immunologie, Université de Montréal
Le Dr Sékaly vient d'accepter le poste de directeur scientifique du Vaccine and Gene Therapy Institute en Floride. Il emmènera avec lui une vingtaine de chercheurs. Il poursuivra toutefois des activités au laboratoire de l'Université de Montréal.
suzanne.dansereau@transcontinental.ca