Vue de l'intérieur

Publié le 01/05/2009 à 00:00

Vue de l'intérieur

Publié le 01/05/2009 à 00:00

Un lobbyiste, un médecin, un commissaire et un gestionnaire racontent comment ils composent avec les questions d'éthique au quotidien.

GUY CHEVRETTE

Président du Conseil de l'industrie forestière du Québec

En prenant la tête du Conseil de l'industrie forestière du Québec (CIFQ) en 2004 - après plus de 20 ans de vie politique -, Guy Chevrette savait que son nouveau poste ne serait pas de tout repos. L'homme fort de l'industrie forestière québécoise compte non seulement essuyer la tempête économique qui souffle sur son secteur, mais également redorer l'image d'une industrie souvent montrée du doigt sur le plan de l'éthique pour les impacts négatifs de ses activités sur l'environnement.

Une industrie en manque d'éthique ? Au-cunement, répond catégoriquement Guy Chevrette. "Avoir de l'éthique, c'est avant tout agir avec transparence et jouer franc-jeu. C'est faire les choses sans entourloupettes ni hypocrisie", lance-t-il, assurant que les membres du CIFQ travaillent ainsi. Il admet toutefois qu'il y a eu des dérapages, mais qu'ils étaient isolés. "Notre plus grand défi réside dans le fait qu'il y a toujours un mouton noir dans nos rangs et que celui-ci peut salir notre image. Mais en fin de compte, la presque totalité des membres de cette industrie respectent les règles du jeu et les normes environnementales ; c'est pourquoi je suis tout à fait à l'aise d'en être le porte-parole."

Il n'en reste pas moins que l'ancien ministre navigue quotidiennement entre con-sidérations commerciales et considérations environnementales. Comment concilier et défendre des intérêts parfois contradictoires ? Peut-on à la fois ménager la chèvre et le chou ? Et pourquoi pas, répond-il. "Partons du fait qu'aucun membre n'a intérêt à ce que nous épuisions nos ressources. Moi, mon rôle est de réussir à faire la part des choses", dit-il, soutenant qu'il a ses valeurs et sa propre conception de ce qu'il faut faire pour protéger l'industrie forestière. "Et la bonne santé de la ressource y tient le rôle central. Parfois, cela me mène à adopter des positions qui ne font pas l'unanimité au sein même du Conseil. Mais je ne crois pas qu'on s'attende à ce que je sois complaisant", lance-t-il.

L'éthique, pour Guy Chevrette, c'est aussi et surtout "faire preuve d'honnêteté intellectuelle lorsqu'on fait valoir ses opinions et ses arguments" lors de débats sociaux. Un leitmotiv qui encadre ses prises de décisions : "On ne doit pas être hypocrite dans nos analyses". À ce moment précis de l'entrevue, Guy Chevrette passe en mode attaque. Selon lui, les questions d'éthique ne sont pas la chasse gardée de l'industrie. Elles s'étendent aussi à ceux qui la critiquent. On le sait, la lutte qui oppose les forestières aux environnementalistes est un véritable bras de fer. Et dans la guerre d'informations qui oppose les deux protagonistes, l'éthique est trop souvent oubliée, selon lui. "On doit passer du mode de la confrontation à un véritable dialogue", laisse-t-il finalement tomber.

LAURENT-DIDIER JACOBS

Vice -président aux Affaires médicales, Sanofi-Aventis

Est-il moralement acceptable qu'une entreprise tire profit de la maladie ? Cette question,leDrLaurent-DidierJacobs, vice-président aux Affaires médicales chez Sanofi-Aventis, l'entend chaque semaine. "Toutes nos activités sont liées à des questions d'éthique."

Pour ce médecin, l'éthique est avant tout un "cadre de réglementation des plus stricts" qui balise l'industrie. Laurent-Didier Jacobs est responsable de tout ce qui touche de près ou de loin à la réglementation du secteur, et de ce qui est lié à la pharmacovigilance, soit les procédures qui servent à évaluer les risques que comportent les médicaments.

À l'instar des autres pharmaceutiques, Sanofi-Aventis détient des centres d'activité dans le monde entier. Admettant que le degré d'éthique diffère selon les pays, Laurent-Didier Jacobs précise : "Nous avons notre propre encadrement, et l'ensemble de nos employés doivent le respecter, quel que soit le pays où ils se trouvent. Si un pays a des règles encore plus strictes que les nôtres, nous les respectons."

Autre défi : la date d'expiration des brevets de médicaments vedettes, principaux revenus des grandes pharmaceutiques, pousse celles-ci à investir davantage dans la publicisation de leurs produits. Une guerre d'image et de communication se déroule à l'heure actuelle. Dès lors, de sérieuses questions d'éthique font surface. Toutefois, rappelle Laurent-Didier Jacobs, "nous devons respecter des paramètres très stricts lorsque vient le moment de publiciser leurs produits. Nous n'avons aucun intérêt à cacher quoi que ce soit, car une erreur peut entacher l'image de l'entreprise".

Dans un univers où les considérations commerciales sont étroitement liées à celles de la santé des patients, comment un médecin délimite-t-il ce qu'il doit faire et ce qu'il ne doit pas faire ? "Je travaille dans l'industrie pharmaceutique depuis vingt ans et je n'ai pas l'impression d'être moins médecin que quelqu'un qui pratique. Je suis médecin avant tout et ce que je garde en tête, c'est la santé des patients." Il rejoint ainsi le Serment de Genève de l'Association Médicale Mondiale : "Mon premier souci sera la santé de mon patient". Dans la même veine, le Code international d'éthique édicte que "le médecin devra agir uniquement dans l'intérêt de son patient lorsqu'il lui procure des soins qui peuvent avoir pour conséquence un affaiblissement de sa condition physique ou mentale".

À ce sujet, il précise : "Je porte deux chapeaux à la fois. Et je vous assure qu'à l'occasion, c'est le médecin qui prend la parole lors de réunions pour expliquer certains aspects éthiques d'un acte que nous posons. Pour cette raison, je crois que c'est un atout qu'un médecin soit responsable des Affaires médicales."

JEAN PRONOVOST

Président de la Commission sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire

12 février 2008. Jean Pronovost dépose un rapport très attendu sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire au Québec dans lequel il recommande de mettre fin au monopole syndical de l'Union des producteursagricoles (UPA). L'effet est instantané. L'unique syndicat de la province dénonce lesrecommandations, tandis que des groupes environnementaux les applaudissent. Le président de la Commission doit s'expliquer.

"Ça vient avec le poste. Le président d'une commission est imputable de tout ce qui est écrit dans le rapport", dit-il d'une voix posée. Jean Pronovost n'en est pas à sa première commission. Il est un des "inébranlables" que les gouvernements engagent pour passer à la loupe les dossiers les plus délicats. En 2003, par exemple, il a présidé la Commission des normes du travail.

"Dès le début d'une commission, nous encadrons celle-ci de paramètres qui découlent d'une vision éthique." Cette vision gravite autour de deux éléments qui serviront de lignes directrices pour l'ensemble de l'exercice : la transparence et le respect.

La transparence, "parce que toutes les informations que nous apportons doivent être publiques". Le respect, parce qu'une commission est l'occasion d'exposer des idées et des opinions très souvent divergentes. "Si nous ne parvenons pas à imposer un respect entre les différents intervenants, aussi bien dire que nous avons échoué."

Tout rapport de commission se divise en deux sections, rappelle Jean Pronovost. D'abord, le diagnostic. "C'est la partie la plus facile à exécuter", note-t-il. Il s'agit d'écouter l'ensemble des opinions et des propositions, et d'en faire un résumé. Là où le travail se complique, "c'est quand le moment vient de faire des recommandations". Les commissaires marchent sur des oeufs. "Mais il ne s'agit pas d'évacuer nos valeurs." Plus encore, elles sont essentielles. Cependant, il ne faut pas confondre valeurs et préjugés, ajoute-t-il. Ceux-là, il faut savoir les mettre de côté.

"De nos jours, l'éthique est malmenée, dit le commissaire. On le constate, entre autres, dans le secteur financier, à la suite des scandales des dernières années. Les gens se sentent floués et la confiance envers les gestionnaires dégringole." Comment remédier à la situation ? L'État doit-il renforcer son encadrement ? Non, croit Jean Pronovost. "Il faut que les gens prennent conscience que leurcomportement a un impact autour d'eux !"

"Il faut que les gens prennent conscience que leur comportement a un impact autour d'eux !"

DANIEL BUREAU

Directeur, éthique et conformité, Bombardier

Bombardier est présente dans plus de 60 pays répartis sur cinq continents. Un défi éthique en soi, admet Daniel Bureau, directeur, éthique et conformité, mieux connu au sein de l'entreprise comme "Monsieur éthique". C'est à lui et à sa "grande équipe de deux personnes" que revient la lourde tâche d'assurer le respect du cadre éthique mis en place par le géant de l'aéronautique. "Entre autres choses, j'administre les plaintes en matière de conformité et je m'assure que le comportement que nous avons respecte les normes que nous nous sommes fixées."

Créé au cours des années 1970, le Code d'éthique et de conduite de l'entreprise, aujourd'hui traduit en 13 langues, dénote essentiellement un souci de transparence et d'intégrité. Pas toujours évident pour une entreprise qui regroupe des employés de diverses cultures qui vivent dans diverses régions du globe, avoue Daniel Bureau. Même son cloche lorsqu'il est question du comportement des partenaires de Bombardier. À ce sujet, il précise : "Les fournisseurs doivent adhérer à notre code d'éthique. Nous leur demandons de la transparence et de l'intégrité." Il parcourt les différentes régions où Bombardier possède des installations afin de s'assurer que les paramètres éthiques y sont respectés.

Le défi en est avant tout un de communication. "L'éthique, c'est un peu comme la sécurité au travail. Il faut en parler pour réussir à rejoindre les employés. Et, évidemment, se répéter en cas de besoin." Pour y parvenir, Daniel Bureau et son équipe ont développé une armada de programmes de communication avec les employés et de formations.

Depuis cinq ans, les questions éthiques ont pris de l'importance chez Bombardier, admet-il. Comme dans plusieurs grandes entreprises, d'ailleurs. Les scandales liés à la gestion de certaines sociétés ont projeté à l'avant-scène la nécessité de se doter de "règles du jeu bien définies". Et l'enjeu est de taille. Non seulement le comportement éthique d'une entreprise favorise de saines pratiques et contribue à un milieu de travail positif, souligne Daniel Bureau, mais il assure aussi la confiance de ses employés, des clients, des actionnaires, des fournisseurs et des sociétés où elle oeuvre. "Lorsqu'on parlait d'éthique, il y a dix ans, cela n'avait rien de comparable à l'importance qu'on accorde aujourd'hui à cet enjeu."

Dans cet esprit, Bombardier a jugé bon "de resserrer le processus de certifica-tion" pour certains postes de gestionnaires. "L'idée qui sous-tend cette démarche et plusieurs autres du même ordre, c'est de conscientiser les employés à l'importance de prendre des décisions en tenant compte des aspects éthiques."

ulysse.bergeron@transcontinental.ca

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