Lolë, vers une marque mondiale

Publié le 03/08/2013 à 00:00, mis à jour le 14/08/2013 à 10:18

Lolë, vers une marque mondiale

Publié le 03/08/2013 à 00:00, mis à jour le 14/08/2013 à 10:18

Lorsqu'il a pris la barre du fabricant de vêtements de sport Coalision (Lolë, Orage et Paradox) en septembre 2009, Bernard Mariette a proposé un plan de croissance tellement ambitieux que Kilmer Capital Partners, l'actionnaire majoritaire, était à la fois enthousiaste et un peu sceptique. Quatre ans plus tard, le dirigeant a atteint la cible : de 37 millions de dollars en 2009, les ventes de Lolë grimperont à 97 M$ en 2014, «à 1 M$ près». Et ce n'est pas fini. L'ancien président de Quiksilver, qui vient de revendre la marque Orage à son fondateur, compte faire doubler les ventes de l'entreprise de Longueuil à 190 M$ d'ici 2017.

En jeans et t-shirt, Bernard Mariette a des airs de pdg cool avec son teint hâlé et ses bracelets. Il a pourtant beaucoup plus versé dans la réflexion stratégique que le surf dernièrement - de toute façon, il surfe «très mal». À peine est-il installé à l'immense table de bois massif lui servant de bureau qu'il cherche en riant ses lunettes et montre fièrement son plan quinquennal tout frais.

«Les gens se disent "tiens, c'est super, ils ont de la chance", mais nous préparons nos projets deux à trois ans d'avance !» s'exclame ce Basque d'origine, déménagé au Québec en 2009 pour diriger le fabricant de vêtements de sport Lolë.

Des projets, il lui en faudra pour réaliser la croissance «agressive et exponentielle» qu'il a promis noir sur blanc dans son volumineux document. Mais ça ne lui fait pas peur. «J'ai la chance d'avoir déjà fait ça trois fois», dit-il, faisant référence à ses passages chez Timberland (1992-1994), L'Oréal (1989-1992) et, surtout, Quiksilver. Dans les années 1990, c'est lui qui a bâti la division européenne de ce spécialiste du surf et des sports d'hiver. Lui également qui a présidé le groupe mondial de 2001 à 2008, période durant laquelle les ventes de la multinationale californienne sont passées de 600 millions à 2,4 milliards de dollars américains. Sa présidence a toutefois été entachée par l'achat du fabricant de skis français Rossignol, payé 360 millions d'euros en 2005 et revendu pour un total de 132 millions d'euros en 2007 et 2008.

Cet épisode n'a pas empêché les actionnaires de Coalision de faire confiance à Bernard Mariette. «Nous avions besoin de quelqu'un qui savait comment développer la vente au détail, qui l'avait déjà fait. Bernard était exactement celui qu'il nous fallait», raconte Éric d'Anjou, qui a cofondé en 1989 l'entreprise établie à Longueuil.

Quatre ans plus tard, les résultats sont clairement à la hauteur, juge Marie-Claude Boisvert, associée chez Kilmer Capital. «Honnêtement, je ne vois pas qui aurait pu faire mieux. C'est un magicien, Bernard. Il a pris une marque bien aimée, avec de bons produits, et a transformé son ADN en quelque chose d'unique.» D'une réunion à l'autre, raconte-t-elle, les administrateurs sont agréablement surpris de tout ce qui a été accompli.

Pour Bernard Mariette, il ne fait aucun doute que Lolë a le potentiel d'aller loin. Très loin. «Je vois exactement ce que j'ai vu chez Quiksilver et Timberland», dit-il avec assurance. Feuilletant son plan quinquennal, il glisse, sourire aux lèvres, un doigt sur un «graphique rigolo» : la courbe de croissance récente de Lolë y épouse presque parfaitement celle de Quiksilver Europe lorsqu'il la dirigeait. «Les outils sont différents, mais l'énergie des gens est la même.»

Le dirigeant de 51 ans mise ainsi sur l'authenticité et la passion pour que les deux courbes continuent de s'entrelacer. Selon lui, ce sont les clés pour se démarquer dans une industrie devenue «la poule aux oeufs d'or»... avec tout ce que ça comporte de nouveaux acteurs et de «copieurs».

Marie-Claude Boisvert a pleinement confiance. «Bernard ne fait pas de plan farfelu. Il maîtrise très bien ses chiffres - c'est un comptable, même s'il n'en a pas l'air. La croissance qu'il prévoit est réalisable.»

Grossir le gâteau

Pour vendre ses pantalons, maillots, manteaux et autres, Bernard Mariette veut d'abord «développer un style de vie et le partager avec le plus grand nombre». En gros, il s'agit de convaincre la «femme moderne» des bienfaits du sport et l'amener à «vivre dehors en ville». Âgée de 32 ans et plus, la «femme Lolë» prend soin d'elle, sans être une prima donna. Elle est active et pratique divers sports, comme le yoga, la course ou le tennis.

Afin de transformer la «femme moderne» en «femme Lolë», l'entreprise de 195 employés boude les publicités traditionnelles et organise plutôt des événements.

Certains sont petits, comme des séances de formation dans les boutiques. D'autres sont gigantesques. Organisées pour la première fois à Paris en 2011, les White Yoga Sessions (WYS) réunissent chaque été des milliers de participants, débutants comme avancés. Tout de blanc vêtus - «un hommage à la paix» -, ils sont installés sur des tapis jaune soleil fournis par l'entreprise. Les 2 000 places de l'édition montréalaise, tenue au Stade olympique le 27 juillet, se sont envolées tellement vite que Lolë a ajouté une deuxième séance dans la journée. Elle pourrait faire de même en septembre à Paris, où la WYS se tiendra pour la première fois au Grand Palais, puisque 3 000 des 4 000 places ont déjà trouvé preneur.

«L'idée des WYS est très innovatrice», apprécie Ying Gao, designer et professeure à l'École supérieure de mode de Montréal. Normalement, les gens assistent à des défilés ou visitent des salles d'exposition. Avec les WYS, ils jouent un rôle actif. «L'événement est très rassembleur, communautaire.»

Les WYS, explique Bernard Mariette, positionnent Lolë comme une marque authentique. Un attribut que revendique également Lululemon, le plus grand acteur dans l'industrie du yoga. «Nous avons le même ADN pour notre catégorie de vêtements athlétiques, c'est sûr», reconnaît M. Mariette, qui précise être «très copain avec Chip Wilson [le fondateur de Lululemon]». Mais même si les deux entreprises ont les mêmes positionnements, prix et types de produits, le pdg assure que ce n'est pas un souci. «Il faut que nous fassions grossir ensemble le gâteau. S'il grossit plus vite que les entreprises entrent dedans, il n'y a pas de problème.»

De la féminité

Évidemment, Bernard Mariette cherche quand même à différencier Lolë de Lululemon. Pour y arriver, il table sur des vêtements qui, en plus d'être bien conçus techniquement, mettent le corps des femmes en valeur. Sa carte maîtresse : le designer de renom Andy Thê-Anh, installé dans un grand bureau vitré donnant sur l'équipe de design, qu'il dirige depuis janvier 2011. «Andy connaît le corps des femmes. Il sait comment les faire se sentir féminines.»

C'est un atout majeur lorsqu'on ne croit pas à la segmentation. Selon Bernard Mariette, les produits doivent servir à plusieurs usages, plutôt que de créer des besoins supplémentaires. Lolë focalise ainsi sur des vêtements pouvant être portés autant pour l'exercice que pour une sortie à la plage ou un verre entre amis. «Il faut fusionner les fonctionnalités, la mode [classique] et la qualité», résume le pdg.

64 boutiques en 2017

Actuellement, Lolë vend principalement par l'intermédiaire de détaillants. Seulement 8 % de ses ventes proviennent de ses magasins en propre... pour le moment. De 13 ateliers-boutiques, Bernard Mariette compte passer à 64 en 2017, un peu partout dans le monde. «Ce n'est pas beaucoup ! se défend-il vigoureusement. On a l'impression que oui, parce qu'on raisonne comme des Occidentaux, mais les Chinois peuvent ouvrir 500 boutiques par année.»

Et il sait exactement de quoi auront l'air ces futurs ateliers-boutiques : de celui de la rue Saint-Denis, à Montréal. Ouvert en septembre 2010, cet atelier a servi à tester des idées neuves en matière de vente au détail. Plutôt qu'une vitrine de verre, Lolë a opté pour un mur végétal «qui permet de se sentir chez soi». Il n'y a pas de caisses enregistreuses visibles, une table de cuisine trône au milieu de la pièce et des tablettes électroniques sont à disposition. L'intérieur peut par ailleurs être rapidement réaménagé selon les sessions de formation et autres activités.

«Réel incubateur», l'atelier de la rue Saint-Denis a permis de valider la bonne compréhension de ces concepts pour les clients et leur viabilité économique. «Or, c'est de loin le meilleur de nos ateliers», affirme en souriant M. Mariette. Il faut dire que ce père de trois garçons, âgés de 9, 21 et 23 ans, a puisé dans ses propres expériences de magasinage. «Je vis avec la femme Lolë et quand je fais du shopping avec elle, j'ai envie de me mettre une balle dans la tête ! J'ai décidé de faire un magasin où le mari et les enfants feront plaisir à la femme sans s'ennuyer.»

Ying Gao, de l'École supérieure de mode de Montréal, y voit un des rares exemples récents de boutiques vraiment originales. «Les yeux ne sont pas sollicités outre mesure, ce qui est cohérent avec leur philosophie axée sur la tranquillité et le bien-être. Et la vitrine est impressionnante, rafraichissante.»

Viser le monde

Lolë réalise 38 % de ses ventes aux États-Unis et 7 % en Europe. Bernard Mariette n'entend pas en rester là. Il vise une croissance de 25 à 30 % par année à l'international, par rapport à 10 à 15 % au Canada. Les États-Unis resteront toujours «un gros moteur» de cette croissance, grâce entre autres à l'ouverture de boutiques californiennes en 2014 et 2015, mais l'Europe, où les choses «marchent très bien malgré la crise», sera également un marché «très fort» en 2017. Lolë s'y déploiera avec sa propre filiale, qui vend à des détaillants, exploite des boutiques et vend en ligne.

L'entreprise vise également la Russie et l'Amérique du Sud en 2014-2015, ainsi que le Japon et l'Asie du Sud-Est en 2016-2017. Pour tous ces marchés, Bernard Mariette prévoit créer des coentreprises avec des partenaires locaux, qu'il choisira avec soin. «C'est toujours pareil : pour aller vite, il faut aller doucement.»

Cette stratégie accroît les chances de succès, croit Naoufel Remili, chargé de cours à l'École supérieure de mode de Montréal. Pour s'internationaliser, il faut trouver l'équilibre entre le global et les éléments locaux, ce qui n'est pas trop difficile en Europe, mais nécessite des partenaires en Asie ou au Moyen-Orient. «Avoir quelqu'un comme Bernard Mariette à sa tête donne de la crédibilité à Lolë à l'échelle internationale et lui ouvre des portes», ajoute le chercheur.

Une carte cachée

Nulle part dans son plan quinquennal Bernard Mariette ne parle des hommes. Pourtant, c'est «énorme» dans sa stratégie. «J'aime bien avoir des plans B pour battre les chiffres présentés», avoue-t-il en riant. Il sait déjà très bien quelle gamme de produits il souhaite offrir aux hommes : des vêtements modernes, qu'ils pourront porter autant durant l'exercice que pendant une fin de semaine entre copains - comme pour les femmes, quoi. Déjà dessinés, les premiers produits seront en vente à Noël 2014. Un plus gros lancement est prévu en 2015. Le dirigeant ne s'attend qu'à de faibles ventes, «peut-être un million de dollars», la première saison. «Mais très vite, ça va monter fort», ajoute-t-il.

Il reste à déterminer si cette gamme affichera le nom de Lolë ou si, comme Roxy, la gamme féminine développée par M. Mariette chez Quiksilver, elle utilisera un nom différent, avec un logo l'associant à la marque principale. «C'est la grande question et je ne sais toujours pas !» À voir son air, le dilemme l'amuse beaucoup plus qu'il ne l'embête. À l'image de tous ses projets pour Lolë.

23 %

Le fonds d'investissement Pélican, dont Bernard Mariette est un des actionnaires principaux, détient 23 % de Coalision ; y participent également un membre de la famille Hermès et d'autres dirigeants de Lolë. Kilmer Capital Partners possède 63 % de l'entreprise et les fondateurs Évelyn Trempe et Éric D'Anjou, 14 %.

8,5 %

Lolë réalise un bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements de 8,5 %, comparativement à 5 % il y a trois ans. L'objectif est de 14 % en 2017.

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