"Les banques devraient se regrouper pour créer un Linux de la gestion du risque" - Don Tapscott, auteur et professeur auxiliaire à la Rotman School of Management

Publié le 01/10/2011 à 00:00

"Les banques devraient se regrouper pour créer un Linux de la gestion du risque" - Don Tapscott, auteur et professeur auxiliaire à la Rotman School of Management

Publié le 01/10/2011 à 00:00

Par Diane Bérard

Le Canadien Don Tapscott a écrit 14 livres, dont les succès de librairie Paradigm Shift, The Digital Economy, Wikinomics et Macrowikinomics. Il est aussi consultant, membre du Forum économique mondial et professeur auxiliaire à la Rotman School of Management. Sa spécialité : les impacts sociaux de la technologie. Il plaide pour une intensification de la collaboration dans le secteur financier.

DIANE BÉRARD - Vous affirmez que le crédit n'est plus la chasse gardée des banques. Comment expliquez-vous cela ?.

DON TAPSCOTT - On dénombre 35 banques sociales dans le monde. Celles-ci sont présentes dans 20 pays. Nous en avons une au Canada, elle se nomme CommunityLend (communitylend.com). À partir de ce site, vous pouvez obtenir un prêt ou devenir prêteur. Les prêteurs sont des particuliers ou des entreprises venus du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni. C'est un système de banque entre pairs (peer-to-peer banking, en anglais) qui se présente comme une solution de remplacement au système financier traditionnel. Les banques sociales sont une solution à meilleur coût et au fonctionnement plus transparent.

D.B. - Pourquoi parle-t-on de "prêts sociaux" maintenant ?

D.T. - Nous assistons à une conjugaison parfaite entre l'offre et la demande. D'abord, la pression de la demande. La crise économique et financière rend les banques très frileuses. Elles prêtent de moins en moins aux particuliers et aux PME. Certains pays le vivent plus durement que d'autres. Aux États-Unis, par exemple, les bilans des banques sont alourdis par un billion de dollars d'actifs toxiques. Ce boulet les incite à resserrer l'accès au crédit. De ce resserrement est né le besoin d'un autre système de prêts. Au même moment, la technologie permet aux citoyens de s'organiser entre eux pour créer de la valeur à l'extérieur des organisations traditionnelles. Je ne parle pas de sites Web, mais bien de plateformes de collaboration. Les technologies réduisent de manière draconienne le coût des transactions. Combinez la demande de crédit et l'offre technologique et vous obtenez le "prêt social".

D.B. - Les mots "prêt" et "social" ne semblent pas faits pour aller ensemble...

D.T. - Plusieurs ont affirmé la même chose à propos des mots "encyclopédie" et "participative". Parmi eux, les éditeurs de l'Encyclopædia Britannica... avant la création de Wikipédia. Même fermeture d'esprit de la part de Microsoft lorsque les créateurs de Linux ont employé "système d'exploitation" et "gratuit" dans la même phrase.

D.B. - Le prêt est-il la seule activité financière traditionnelle investie par les communautés Internet ?

D.T. - Non. Il y a eu des tentatives du côté des fonds communs de placement. Ces derniers ont affiché des performances honnêtes, mais pas équivalentes à celles des fonds communs de placement "traditionnels". Par contre, en ce qui a trait au capital de risque, on enregistre nombre de succès. Les plateformes d'investissements entre pairs fonctionnent bien. Même chose pour le microcrédit, un autre système de prêt entre homologues. Le microcrédit compte de très grands acteurs, comme Kiva (kiva.org). Mais les banques continuent à considérer ce créneau comme de la philanthropie...

D.B. - Le prêt social ne peut-il être qu'une activité en marge du secteur financier traditionnel, ou peut-on l'imaginer comme étant une division au sein d'une banque ?

D.T. - Pour l'instant, les banques considèrent le prêt social comme un mouvement marginal. Elles l'ignorent. Y prêter attention serait plus sage. Depuis la crise, on constate que plusieurs institutions, dont les banques, nous servent de moins en moins bien. En fait, le fonctionnement traditionnel du secteur financier a atteint ses limites. Il est temps de modifier l'ADN des banques. Et je crois que la mécanique et les principes du prêt social - la collaboration et le partage - pourraient contribuer à sortir le secteur financier de l'impasse.

D.B. - Pourquoi les institutions financières devraient-elles s'intéresser au prêt social ?

D.T. - Parce qu'il repose sur la collaboration et que les banques doivent apprendre à collaborer. D'autres secteurs traditionnels s'y sont convertis. Prenez l'aéronautique. Le président de Boeing, Jim McNerney, a affirmé récemment que tous les futurs avions de l'entreprise seraient le fruit de collaborations avec les fournisseurs plutôt que de commandes coulées dans le béton. Le 787 Dreamliner est le premier appareil issu de cet esprit. En Chine, l'industrie de la moto est composée d'une douzaine de fabricants qui créent ensemble. Il n'y a pas de Harley-Davidson.

D.B. - Vous proposez que les institutions financières se regroupent pour créer le "Linux de la gestion du risque". Expliquez.

D.T. - On peut aussi parler de "génome de la gestion du risque"... La situation est simple : chaque institution financière garde jalousement pour elle son système de gestion du risque. Elles en font chacune un outil de concurrence, une pseudoarme stratégique. Or, la crise nous a démontré que les systèmes de gestion du risque des institutions financières sont tous aussi inefficaces les uns que les autres ! Chaque institution a cru que son système lui conférait un avantage. C'est plutôt ce qui les a fait sombrer. Puisque personne n'a trouvé la bonne formule, pourquoi ne pas travailler ensemble à un "Linux de la gestion du risque" ? Libérées de cet épineux dossier, que personne ne maîtrise de toute façon, les institutions financières pourront se concurrencer sur d'autres terrains qu'elles maîtrisent davantage. Et, surtout, faire preuve de créativité, se différencier les unes des autres, se réinventer pour l'après-crise, etc.

D.B. - Vous demandez aux institutions financières d'effectuer un changement culturel important. Pouvez-vous les aider un peu ? Par où devraient-elles commencer pour intégrer les principes de la collaboration dans leur organisation ?

D.T. - Je leur suggère de commencer par entrer en relation autrement avec leurs clients. Pas pour leur vendre des services, mais simplement pour les écouter. Et pour profiter de leurs lumières. Transformez vos clients en producteurs, c'est ce que j'appelle "prosumption", [mot-valise combinant les termes anglais production et consumption, qu'on pourrait traduire par "prosommation"].

D.B. - Verrons-nous le jour où les banques offriront des prêts sociaux ?

D.T. - À défaut de développer une banque sociale, les institutions financières traditionnelles pourraient en acheter une. Il serait intéressant de voir ce qu'elle en ferait ensuite.

"Il est temps de modifier l'ADN des banques. Et je crois que la mécanique et les principes du prêt social - la collaboration et le partage - pourraient contribuer à dénouer en partie l'impasse que connaît le secteur financier."

LE CONTEXTE

Malmenées par la crise, les institutions financières peinent à retrouver leur rythme de croisière et leur crédibilité. Leur modèle d'entreprise est peut-être à revoir.

SAVIEZ-VOUS QUE

À Davos, Don Tapscott s'est entretenu avec le premier ministre Jean Charest de démocratie 2.0, un nouveau modèle d'engagement citoyen.

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