Le virage high-tech de la forêt québécoise

Publié le 02/04/2011 à 00:00

Le virage high-tech de la forêt québécoise

Publié le 02/04/2011 à 00:00

Qu'ont en commun le vinaigre blanc dans lequel baignent vos cornichons, la chemise en rayonne que vous portez et le béton sur lequel vous marchez ? La fibre de bois entre dans leur composition ! Depuis la crise du secteur forestier de 2006, l'industrie est plus motivée que jamais à diversifier ses activités. Et bientôt, ce sont des pièces d'avion et des pneus qui remplaceront les 2 X 4.

" L'industrie forestière est en évolution, pas en crise ", soutient Tatjana Stevanovic, directrice du programme de génie du bois à l'Université Laval. La chercheuse fait plus que constater cette évolution, elle y participe.

Mme Stevanovic s'intéresse aux substances biochimiques présentes dans l'écorce et la structure du bois qui entrent dans la formulation de produits pharmaceutiques à haute valeur ajoutée.

Grâce à ses recherches, une molécule extraite de l'épinette noire pourrait être commercialisée à moyen terme. Déjà, en Suisse, le laboratoire Linnea, une coentreprise à laquelle participe le géant pharmacologique français Ipsen, distribue un supplément alimentaire à base d'épinette de Norvège apte à diminuer les risques de cancer du sein et de la prostate.

Selon une étude clinique réalisée aux États-Unis, ce produit issu du bioraffinage réduit la fréquence des bouffées de chaleur de moitié chez les femmes ménopausées.

Un peu comme on raffine le pétrole brut, le bioraffinage consiste à transformer la fibre de bois en une variété de produits commercialisables. En plus de leurs applications pharmaceutiques, les bioproduits peuvent servir à fabriquer des additifs alimentaires (comme l'essence artificielle de vanille), de l'éthanol ou des barquettes en bioplastique. Ces polymères sont utilisés comme les plastiques traditionnels, à la différence qu'ils sont issus de ressources renouvelables, telles que la fibre de bois.

Les bioplastiques en forte croissance

La foresterie canadienne a bien saisi l'énorme potentiel de ces technologies. En février, l'Association des produits forestiers du Canada (APFC) a publié une étude intitulée " Le nouveau visage de l'industrie forestière canadienne : une biorévolution en devenir ".

Selon cette étude, le secteur des bioplastiques, qui peuvent être produits à partir de la pâte de bois, connaîtra une croissance annuelle de 24 %, de 2009 à 2015.

De quoi encourager l'industrie à prendre rapidement position sur le marché international des bioproduits.

Valoriser les résidus

Précision de taille : la production de biomatériaux doit se faire en complément aux activités traditionnelles, car elle n'est pas toujours rentable lorsqu'elle est effectuée de façon autonome. " Il s'agit de tirer le maximum de la ressource. Les résidus doivent être mis en valeur ", explique Avrim Lazar, président de l'APFC.

Depuis 1991, Tembec procède à l'extraction de produits chimiques à partir de copeaux résiduels. Cette activité génère 23 millions de dollars (M$), soit plus de 5 % du chiffre d'affaires de l'entreprise en 2010. À l'usine de Témiscaming, en Abitibi-Témiscamingue, 12 millions de litres d'alcool éthylique sont produits chaque année à partir de la fermentation de sucre de bois.

Tembec est ainsi le premier fournisseur d'alcool pour les producteurs de marinades et de vinaigre blanc alimentaire de l'est du Canada.

Un autre produit chimique, nommé lignosulfonate, est obtenu à partir des résidus de sciage. Il sert d'additif au béton ou remplace le noir de carbone des pneus. " Ce sont des produits secondaires. Lorsque la scierie ferme pour des considérations économiques, l'usine de produits chimiques ferme aussi, car elle manque de matière première ", explique Randy Fournier, vice-président principal, Produits chimiques et Pâtes Kraft, de Tembec.

Après avoir percé le secret des produits chimiques présents dans la pâte de bois, les chercheurs québécois s'affairent maintenant à en extraire des nanocristaux de cellulose.

Ces molécules, 20 fois plus petites qu'un cheveu, sont présentes dans l'arbre et lui permettent de se tenir debout. Elles agissent comme les tiges métalliques dans le béton armé.

" Une faible quantité de cette nanocellulose cristalline ajoutée à un produit lui confère une résistance impressionnante ", explique Jean Moreau, pdg d'une coentreprise de Domtar et FPInnovations, l'institut canadien de recherche forestière.

Selon M. Moreau, ce projet innovateur s'inscrit dans la stratégie de diversification de la papetière Domtar, qui investira 20,1 M$ sur cinq ans dans cette aventure.

La molécule pourrait entrer, à moyen terme, dans la composition de pièces d'avion plutôt que dans la fabrication de papier. Dispersée dans un matériau composite, la nanocellulose renforce la nouvelle structure, permettant ainsi une réduction de poids. Et qui dit légèreté dit économie de carburant. Intéressant pour les applications automobiles ou aéronautiques.

La nanocellulose ne fait pas que de la résistance. Elle réfléchit... les rayons infrarouges. Une mince couche de nanocellulose cristalline appliquée sur des fenêtres maintient leur transparence tout en empêchant les rayons infrarouges d'entrer et de réchauffer le bâtiment. Résultat : plus besoin de dépenser des fortunes en climatisation. Cette propriété tient au fait que la nanocellulose cristalline est iridescente, c'est-à-dire qu'elle prend toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, selon l'angle sous lequel on la regarde.

Une longueur d'avance

Le Québec est un pionnier dans la recherche sur la nanocellulose cristalline. Notre longueur d'avance tient au travail des chercheurs de FPInnovations, qui ont fait breveter une technique d'extraction fiable permettant d'isoler les nanocristaux.

" Le père de la technologie, Richard Berry, s'est rendu au Japon en février pour assister à une conférence. Les participants ont été étonnés de voir à quel point nous sommes en avance sur le reste du monde ", juge le pdg de la coentreprise formée de Domtar et de FPInovations.

Dans le laboratoire sécurisé de FPInnovations, à Pointe-Claire, les chercheurs produisent un kilogramme de nanocellulose cristalline par semaine.

Bien que le produit suscite beaucoup d'intérêt, il est impératif de le produire en quantité industrielle pour que des clients potentiels puissent le tester. Les travaux de construction de la plus importante usine de nanocellulose cristalline du monde à Windsor, en Estrie, sont déjà très avancés.

À partir de janvier 2012, l'usine québécoise, issue d'une collaboration de FPInnovations et de la papetière Domtar, produira une tonne de nanocellulose cristalline par jour. C'est 10 fois plus que ce qui sort de la plus grosse des usines suédoises. Bien que l'industrie mette l'épaule à la roue, cette réussite aurait été impossible sans l'élan donné par le soutien financier gouvernemental. Pour le projet de l'usine de Windsor, les deux ordres de gouvernement versent chacun 10 millions de dollars (M$) sur un investissement total de 40 M$.

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