«Le spectre de créativité des pauvres est plus vaste que celui des riches» - Anil K. Kupta, professeur à l'Indian Institute of Management

Publié le 19/05/2012 à 00:00

«Le spectre de créativité des pauvres est plus vaste que celui des riches» - Anil K. Kupta, professeur à l'Indian Institute of Management

Publié le 19/05/2012 à 00:00

Par Diane Bérard

Anil K. Kupta est une sommité de l'innovation frugale, laquelle émane de ceux qui forment la base de la pyramide. Professeur à l'Indian Institute of Management et vice-président principal du National Innovation Council de son pays, il a fondé le Honey Bee Network, en 1984. Cette communauté de bénévoles de 75 pays répertorie et valorise les innovations des communautés rurales.

Diane bérard - Quelle est la différence entre la créativité des designers chez Apple et celle des inventeurs que vous débusquez dans les régions rurales ?

ANIL K. GUPTA - Les deux groupes partagent un point commun : la capacité de connecter des idées disparates pour solutionner un problème. C'est le propre de tous les gens créatifs, qu'ils appartiennent à l'univers formel de l'innovation (les laboratoires de design et de R-D) ou au monde informel (celui des pauvres). Mais toute similarité s'arrête là. Lorsque les riches innovent, ils écartent systématiquement une foule de ressources auxquelles ils attribuent peu de valeur. Ces ressources se trouvent sous leur radar lors de la recherche d'éléments de solution. Les pauvres, eux, ne peuvent rien mettre de côté. C'est un luxe qu'ils ne peuvent se permettre. Le spectre de leur créativité est ainsi probablement plus vaste que celui des riches. Dans le secteur formel, une éolienne à 100 $ est impensable. Chez les pauvres, c'est tout à fait réaliste et réalisable.

D.B. - La créativité informelle jaillit de la nécessité de survivre. Cela signifie- t-il que nous pouvons tous devenir créatifs ?

A.K.G. - Si vous souffrez suffisamment, vous chercherez une façon de réduire votre stress ou votre souffrance. Et, par extension, celle de tous ceux qui se trouvent dans votre situation. Vous connaissez l'innovation déterminée par le marché (market driven). Moi, je vous parle de celle qui est suscitée par l'empathie.

D.B. - La créativité des pauvres ne serait-elle pas plutôt de l'ingéniosité ?

A.K.G. - L'ingéniosité est une forme de créativité. Elle se manifeste lorsque vous recourez à une approche contre-intuitive pour résoudre un problème. Par exemple, vous imaginez un nouvel usage à un produit ou une technique existants. Un de nos innovateurs a transformé une machine destinée à la récolte des arachides au sol en un équipement de nettoyage des plages. Dans les deux cas, il s'agit de soulever et ramasser des objets sur le sol. Des arachides dans un champ ou des bouteilles vides sur la plage, c'est du pareil au même, a conclu notre innovateur. Il avait raison.

D.B. - La créativité formelle et la créativité informelle sont-ils irréconciliables ?

A.K.G. - Non, elles peuvent, et devraient, se nourrir l'une de l'autre. Le réseau Honey Bee, que j'ai mis sur pied, a répertorié 150 000 innovations imaginées avec les moyens du bord par les pauvres de l'univers informel. Certaines méritent d'être poussées plus loin. Elles offrent une solution qui résout le problème de l'innovateur, mais elles ne se révèlent pas toujours optimales. Nous avons alors recours à la créativité plus formelle pour les valoriser en y ajoutant une composante technologique. Dans un autre groupe, la créativité est telle que l'innovation mérite carrément d'être brevetée. Nous entreprenons alors les démarches nécessaires. De leur côté, les créateurs formels auraient avantage à s'inspirer des principes de la créativité frugale. Prenez le cas des médicaments. À la version à 10 $ par semaine efficace dans 80 % des cas, on préférera celle à 1 000 $ par semaine efficace dans 99 % des cas. En fait, au Canada ou aux États-Unis, la version à 10 $ ne verra jamais le jour. Chez les pauvres, on optera pour une solution plus créative qui cherche l'équilibre entre efficacité et accessibilité. Un médicament efficace à 80 % peut contrôler la propagation d'une maladie. Pour le reste, vous laissez votre organisme développer les anticorps nécessaires. Être créatif, c'est aussi puiser des solutions dans la nature.

D.B. - Donnez-nous un exemple de créativité informelle ?

A.K.G. - Nous organisons régulièrement des concours de recettes en milieu rural. C'est une façon de répertorier de nouveaux usages ou propriétés que les femmes ont trouvés pour des plantes laissées-pour- compte qui poussent à l'état sauvage.

D.B. - Le réseau mondial Honey Bee permet à la créativité informelle de sortir de l'ombre. Quelle est votre méthode ?

A.K.G. - Nous marchons ! Depuis 12 ans, j'ai parcouru 4 000 kilomètres. Le 23 mai, nous entamerons une excursion de 10 jours au centre de l'Inde. Nous partons à la recherche des solutions créatives que les populations rurales ont imaginées pour composer avec les situations stressantes du quotidien. Pendant les années 1990, nous nous sommes concentrés sur les innovations liées à l'agriculture et à la gestion des ressources.

Aujourd'hui, nous ratissons plus large, en ajoutant le transport, l'énergie, la transformation alimentaire et les médicaments. Malgré nos efforts, je suis convaincu que nous dénichons à peine 10 % des innovations.

D.B. - Quels critères guident vos choix ?

A.K.G. - Nous cherchons des innovations inspirantes, intrigantes ou intéressantes.

D.B. - Comment ce réseau est-il né ?

A.K.G. - C'est le fruit de ma culpabilité ! Jeune professeur, j'ai passé une année au Bangladesh à collecter des données sur le terrain auprès des communautés rurales. De ces données, j'ai tiré des articles et des connaissances qui m'ont servi pour mes mandats de consultant. J'avais du succès, j'étais bien payé. Mais ceux qui avaient partagé leurs connaissances, eux, demeuraient anonymes et leurs idées, non rémunérées. Pour que cela cesse, j'ai créé le réseau Honey Bee. Il vise à documenter les innovations nées de la nécessité de survivre des plus pauvres. Ce savoir est partagé et, lorsqu'il est vraiment original, nous tentons d'en tirer des revenus pour les innovateurs.

D.B. - À quoi ressemble la formule Honey Bee ?

A.K.G. - Honey Bee repose sur des bénévoles de 75 pays. Nous avons bâti une communauté d'innovateurs, d'universitaires, de décideurs politiques, d'entrepreneurs et d'ONG qui échangent des idées entre eux. Cette communauté communique grâce à des kiosques Internet ruraux. Ensemble, nous tentons de construire une chaîne de valeur pour soutenir la recherche et le développement informel. Cette chaîne comprend des innovateurs, des investisseurs et des entrepreneurs.

D.B. - Un réseau comme Honey Bee serait-il pertinent au Canada ?

A.K.G. - Des innovateurs qui se situent à la marge, on en trouve dans tous les pays. Ils imaginent des solutions durables, puisent leur inspiration dans la nature, croient au partage de l'information. Ils pratiquent la créativité frugale. Il savent que, pour un créatif, le mieux est parfois l'ennemi du bien.

D.B. - Comment peut-on ouvrir les esprits à la créativité informelle ?

A.K.G. - En présentant, dans les manuels scolaires, d'autres types de créatifs que ceux de l'univers formel. Il faut faire connaître les innovateurs en marge et leurs réalisations. Montrer qu'il existe une autre manière de résoudre les problèmes que celle que les laboratoires de R-D pratiquent.

D.B. - À quoi ressemble la créativité chez les jeunes ?

A.K.G. - Ils sont plus impatients et moins tolérants que nous. Notre génération et la suivante ont appris à vivre avec les problèmes quotidiens. Les jeunes, eux, refusent de se résigner. Ils cherchent des solutions, et c'est parfait ainsi.

«Lorsque les riches innovent, ils écartent systématiquement une foule de ressources auxquelles ils attribuent peu de valeur. Ces ressources se trouvent sous leur radar lors de la recherche d'éléments de solution. Les pauvres, eux, ne peuvent rien mettre de côté. C'est un luxe qu'ils ne peuvent se permettre. Dans le secteur formel, une éolienne à 100 $ est impensable. Chez les pauvres, c'est tout à fait réaliste et réalisable.»

LE CONTEXTE

On associe généralement la créativité aux publicitaires, designers et ingénieurs. Or, il existe un autre type de créativité, celle des pauvres qui résolvent les problèmes du quotidien avec les moyens du bord. À l'heure où les entreprises rationalisent et cherchent à économiser, la créativité frugale peut venir à la rescousse de la créativité formelle.

Suivez Diane Bérard sur...

twitter.com/ diane_berard

www.lesaffaires.com/blogues/diane-berard

diane.berard@tc.tc

À la une

À surveiller: Cargojet, Agnico Eagle et Ag Growth

Il y a 23 minutes | Catherine Charron

Que faire avec les titres de Cargojet, Agnico Eagle et Ag Growth? Voici des recommandations d'analystes.

Envirologie poursuit sa lancée et vise de nouveaux marchés

Mis à jour il y a 35 minutes | Trium Médias

La PME située au Saguenay se spécialise dans la collecte des déchets ainsi que des matières recyclables et organiques.

Bourse: Wall Street commence en baisse, le coût de l'emploi pèse

Mis à jour à 09:51 | lesaffaires.com, AFP et Presse canadienne

REVUE DES MARCHÉS. La Bourse de Toronto ouvre en baisse.