Le mythe du carcan

Publié le 20/10/2012 à 00:00

Le mythe du carcan

Publié le 20/10/2012 à 00:00

La gouvernance n'est pas la préoccupation des seules entreprises cotées en Bourse. De plus en plus d'entrepreneurs s'entourent de conseillers pour tracer les grandes orientations de leur organisation.

Malgré sa tenue décontractée, Charles Desjardins a des airs de jeune premier hyper actif. L'entrepreneur de 35 ans, associé et vice-président, Ventes et marketing, chez Absolunet, a troqué la cravate pour un t-shirt. Pour notre entretien, il a choisi le bureau de son mentor, Marcel Choquette, l'ancien PDG du Fonds d'investissement de la culture et des communications (FICC). Charles Desjardins raconte leur première rencontre, en 2007, alors qu'il avait assisté à une de ses conférences : «J'ai tout de suite apprécié son franc-parler. Il est quelqu'un de direct et sans détour... un peu comme moi».

Le courant a si bien passé entre les deux hommes que Marcel Choquette, aujourd'hui consultant, s'est installé dans les bureaux de l'agence montréalaise en stratégies Internet. S'il ne participe pas directement aux décisions de l'entreprise, il n'en exerce pas moins un fort ascendant sur le jeune entrepreneur, dont il est la boussole professionnelle.

Si les dirigeants sont les seuls à prendre les décisions, les conseils, eux, doivent venir de partout, croit Charles Desjardins. «Ça ouvre les horizons, et ça permet de considérer des aspects qu'on n'aurait pas envisagés autrement. La plupart du temps, Marcel n'est pas là pour apporter des solutions, mais bien pour soulever des questions», explique-t-il.

Cette façon de faire est fréquente chez les dirigeants de moins de 40 ans, note Marcel Choquette. «C'est une génération qui pige des conseils à droite et à gauche, et qui souvent teste les décisions avant de les appliquer», ajoute-t-il. Une façon de faire qui contraste avec celle de sa propre génération, quand les dirigeants croyaient que la force résidait dans le fait de prendre les décisions seul.

«La gouvernance, c'est avant tout l'ensemble des mécanismes et des fonctionnements qui assurent une gestion plus efficace», rappelle Daniel St-Onge, directeur de projets au Collège des administrateurs de sociétés de l'Université Laval. Ils prennent diverses formes : coaching, mentorat, conseils d'administration (CA), comités consultatifs (CC). Bien ancrés au sein des grandes entreprises, ces mécanismes gagnent depuis peu les PME qui ont compris que le pire danger est de centraliser les décisions entre les mains d'une seule et même personne. «Il faut briser l'isolement», résume-t-il.

LA BONNE GOUVERNANCE COMMENCE PAR LES EMPLOYÉS

«Une entreprise est destinée à croître ou à mourir», affirme Daniel St-Onge. Sa survie dépend avant tout de la capacité d'un dirigeant de se rendre le moins indispensable possible en s'entourant des éléments les plus efficaces de son organisation. Première étape : dès la création de l'entreprise, malgré des ressources extrêmement limitées, l'entrepreneur doit être en mesure de cibler les piliers de son organisation. «S'il y a un supercontremaître, on doit lui octroyer des responsabilités à la hauteur de ses capacités», dit-il.

Déléguer pour s'octroyer le temps nécessaire à la réflexion des grandes orientations de l'organisation et développer de nouvelles stratégies, voilà la clé de la réussite. «Il faut qu'il puisse passer des activités quotidiennes à une perspective de croissance qui, elle, s'étale sur les moyen et long termes», dit Daniel St-Onge.

Chez Absolunet, la direction et les employés se rencontrent chaque mois pour discuter du développement et des objectifs. Ensemble, ils rajustent le tir. C'est aussi l'occasion de sonder les employés, baromètres de ce qui se passe sur le terrain. L'initiative permet de cristalliser le sentiment d'appartenance, que Charles Desjardins présente comme le noyau de l'entreprise. Ces consultations sont particulièrement importantes avec un personnel formé en bonne partie d'Y, souligne Charles Desjardins. «Ils veulent avoir leur mot à dire. À première vue, le processus peut paraître plus long, mais en fin de compte, on gagne du temps.»

COMITÉ CONSULTATIF : L'OUTIL LE MIEUX ADAPTÉ AUX PME

Si consulter ses employés est un premier pas, cela reste insuffisant, indique Robert Laurier. Ce consultant, qui a été pendant près d'une décennie directeur du bureau de Montréal chez Arthur Andersen & Cie, accompagne aujourd'hui des PME dans la mise en place de structures de gouvernance. La mission qu'il s'est donnée : reprendre le modèle de gouvernance des grandes entreprises et l'adapter à la réalité des PME.

Au fil du temps, Robert Laurier s'est spécialisé dans la formation de Comités consultatifs (CC). L'idée du CC est de réunir de trois à six individus aux compétences différentes, mais stratégiques pour l'entreprise, pour orienter l'organisation. Il se réunit idéalement chaque trimestre. «On peut aussi bien recruter un spécialiste en finance qu'un conseiller financier. Le comité permet aux dirigeants de PME d'obtenir le point de vue d'experts d'un secteur particulier», explique Robert Laurier.

Une solution qui est adaptée à la réalité québécoise, renchérit Louis-Jacques Filion, professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire d'entrepreneuriat Rogers - J.-A.-Bombardier. «Les dirigeants d'ici passent plus ou moins l'équivalent d'une journée et demie de formation par an pour acquérir ou peaufiner leurs connaissances.» Par comparaison, au Japon, certains dirigeants y consacrent le même temps chaque semaine ! Le CC permet à l'entrepreneur de combler ses lacunes.

Même si les comités consultatifs ont gagné en popularité depuis près de dix ans, la pratique est loin d'être généralisée. C'est ce que soulignait en 2008 le Groupe de travail sur la gouvernance des PME dirigé par l'ancien ministre des Finances du Québec Michel Audet, dont le rapport avançait que 37 % des chefs de PME interviewés admettaient n'avoir ni CA, ni CC. Le rapport recommandait que les PME qui comptent plus de 50 employés et qui ne sont pas inscrites en Bourse envisagent sérieusement la création d'un CC.

LES MÉCANISMES DE GOUVERNANCE FONT-ILS PERDRE DE L'AGILITÉ ?

La perte de flexibilité dans la prise de décision est un des mythes qui ralentit le plus l'adoption des mécanismes de gouvernance. «Pourtant, au contraire, la présence de comités consultatifs ou de coachs n'enlève aucun pouvoir aux dirigeants, ces experts ne font que leur offrir des outils de réflexion», affirme Jean-Yves Sarazin. Celui qui est PDG de Groupe Delom depuis près de 30 ans connaît ces inquiétudes pour avoir surmonté les résistances de son père.

C'était en 1975. Après ses études à HEC, Jean-Yves Sarazin propose à son père de mettre en place un CA. Le propriétaire-fondateur de l'entreprise refuse, craignant qu'un CA ne le restreigne dans ses prises de décision. Ce n'est que dix ans plus tard, en 1986, lorsqu'il devient président, que Jean-Yves Sarazin pourra mettre sur pied un CA. Il revient à la charge et convainc son père d'assister à la première rencontre. «Il restait sceptique, et se demandait ce que quatre personnes qui ne connaissaient rien au domaine des moteurs feraient pour nous», relate-t-il. Raymond Sarazin sera rapidement convaincu : dès la première rencontre, le CA propose un réaménagement des prêts hypothécaires qui permettra à l'entreprise d'économiser... 40 000 dollars !

CHOISIR ENTRE UN CC ET UN CA

Quatre ans plus tard, le Groupe Delom remplace son CA par un CC - dix membres, dont trois membres externes - qui représente aujourd'hui les quatre piliers de l'entreprise : l'aspect social avec les ressources humaines, l'aspect juridique, l'aspect financier et la connaissance du marché. La raison de ce changement est simple : un CC a une structure plus souple, donc mieux adaptée à la réalité d'une PME.

Le CC coûte aussi beaucoup moins cher. La rémunération d'un CC oscille entre 500 et 1 000 dollars par membre, pour chaque rencontre. Une grande entreprise doit débourser annuellement de 15 000 à 30 000 dollars pour chacun des membres d'un CA. «Ce n'est pas comparable», explique-t-il. À cela s'ajoutent les frais liés à l'aspect juridique d'un CA. Les membres d'un CA ont une responsabilité légale à l'égard de l'entreprise, et s'exposent à des poursuites coûteuses. «Nous devons assurer les membres d'un CA au cas où il y aurait poursuite à la suite d'une décision», indique-t-il.

Daniel St-Onge rappelle que la principale différence entre un CC et un CA réside justement dans l'aspect juridique. Les membres d'un CA ont une responsabilité à l'égard de la société et de ses actionnaires. Leur mission est d'abord d'assurer la pérennité de la première, et ensuite, de créer de la valeur pour les seconds. Les administrateurs se situent donc au-dessus de l'équipe de direction, dont le mandat est de s'occuper de la gestion courante de l'entreprise. Le PDG doit leur rendre des comptes.

CA ou CC ? Tout dépend des objectifs. Si la direction ne cherche que des conseils et des avis, un CC suffira, dit Daniel St-Onge. Quant au CA, il est tout indiqué pour le patron qui se sent dépassé par la croissance de son entreprise, ou qui veut tout simplement se laisser dépasser. «Il n'est pas rare de voir des entrepreneurs qui, après un certain temps, ne veulent plus se concentrer uniquement sur l'entreprise - pour des raisons aussi bien professionnelles que personnelles», dit-il. Un CA permet de lâcher prise, tout en gardant les rênes de l'organisation. «Mais encore là, tout est affaire d'objectifs», conclut-il.

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