La relance du capital de risque, oasis ou mirage ?

Publié le 23/05/2009 à 00:00

La relance du capital de risque, oasis ou mirage ?

Publié le 23/05/2009 à 00:00

Dans son budget de mars, le gouvernement du Québec a mis le paquet pour relancer le système de financement d'entreprises technologiques, qui souffre d'un étranglement aggravé par la crise du crédit. Il a annoncé la création d'un Fonds de fonds de plus de 825 millions de dollars (M$), baptisé Teralys Capital, destiné à investir dans des fonds privés qui, eux, financeront des entreprises de leur démarrage jusqu'à leur premier appel public à l'épargne ou à leur premier placement privé.

Le capital de risque est souvent décrit comme une chaîne à quatre maillons : l'amorçage, le démarrage, l'expansion et la sortie. Le défi est de soutenir tous ces maillons, car si l'un d'eux est faible, l'ensemble pourrait s'effondrer.

Ainsi, Québec a aussi annoncé la création de trois fonds de 42 M$ spécialisés dans l'amorçage d'entreprises, cette étape située entre la conception de la technologie et l'entrée des premiers revenus. À ces fonds s'ajoutent 60 nouveaux millions de dollars accordés aux Fonds d'intervention économique régionale (FIER).

La stratégie est ambitieuse et l'intervention, puissante.

L'enjeu est de taille : la moitié des entreprises technologiques au Canada sont financées par le capital de risque. Elles créent 150 000 emplois au pays, dont 40 000 au Québec, et comptent pour 1 % du PIB national.

Si on coupe les vivres à l'industrie du capital de risque, on pourrait perdre non seulement les entreprises et leurs technologies, mais aussi les avancées de leur R-D, les anges investisseurs, et l'expertise de gestion du capital de risque bâtie dans la province, avertit Réseau Capital, un OSBL québécois qui regroupe 250 entreprises et des gestionnaires de fonds.

Un soutien sans égal

Le Québec n'est pas la seule province à avoir décidé de relancer cette industrie vitale. L'Alberta, la Colombie-Britannique et l'Ontario ont fait la même chose. La veille du budget québécois, Queen's Park annonçait la création du Ontario Venture Capital Fund (OVCF), doté de 250 M$, dont la gestion a été confiée à la financière TD Capital.

Mais l'ampleur du soutien québécois est sans égal au pays, si bien que tous les acteurs d'ici claironnent que le Québec deviendra un leader mondial, capable de jouer dans les platebandes de grands capital-risqueurs américains, israéliens et britanniques.

Le ministre responsable Raymond Bachand a consulté l'industrie pendant un an avant d'accoucher de cette stratégie. Tous ont applaudi la création de Teralys, qualifiée de " brillante " par l'Association canadienne du capital de risque et d'investissement (ACCR), de " très porteuse " par le réseau Anges Québec, et de " la meilleure décision que le gouvernement pouvait prendre " par le président du fonds privé iNovia 2, Chris Arsenault, qui fait figure de vedette montante dans l'industrie.

Enfin, dit-on, Québec réalise qu'il faut investir des capitaux plus importants dans les entreprises technologiques et les soutenir plus longtemps dans leurs étapes de financement. Le fonds de fonds devrait donc servir de catalyseur.

Toutefois, la tâche sera herculéenne pour le président de Teralys, Jacques Bernier, un ancien entrepreneur et gestionnaire au Fonds de solidarité FTQ : il devra intéresser les investisseurs institutionnels au capital de risque à une période où leurs avoirs sont déjà surpondérés par rapport aux placements privés (à cause de la crise financière qui a fait baisser la valeur de leurs investissements en Bourse).

L'idée derrière ce poids lourd de 825 M$ : il sera mieux équipé qu'une myriade de petits fonds pour attirer de nouveaux joueurs institutionnels et des fonds étrangers, sans lesquels l'avenir d'une entreprise technologique est limité.

Amorçage : la preuve reste à faire

Quant à la stratégie derrière la création des trois fonds spécialisés de capital d'amorçage, elle suscite des réserves.

Les 42 millions de chaque fonds seront-ils suffisants, compte tenu qu'il faut financer 15 ou 30 amorçages pour qu'un seul réussisse.

" Chose certaine, dit Jacques Bernier, il faudra trouver des moyens de réduire les coûts d'exploitation de ces fonds. " Le gouvernement prévoit deux fonds en technologie de l'information et un en sciences de la vie. Bien, sauf que l'eldorado pourrait être dans d'autres industries, comme celle des technologies vertes.

Des doutes planent aussi sur le principe d'y faire participer le privé. Dans le passé, l'État lui a déjà demandé de soutenir l'amorçage, mais il ne l'a pas fait - ou si peu -, préférant miser plus en aval, sur l'étape de démarrage.

C'est que l'amorçage est fort risqué. " Souvent, à cette étape, l'entreprise ne sait pas comment elle va gagner de l'argent avec sa technologie ", témoigne l'entrepreneur et ange financier montréalais Martin-Luc Archambault, qui vient de lancer un incubateur privé soutenant cinq entreprises en amorçage.

Comme l'explique Serge Bourassa, du Centre d'innovation en entreprise de Montréal (CEIM), l'entrepreneur voudra poursuivre la recherche, mais le financier cherchera à gagner de l'argent au plus vite.

C'est pourquoi certains concluent que la présence de financiers privés dans l'amorçage mène à un échec et que le financement de cette étape revient à l'État.

Sauf que si l'État est seul, il lui manquera l'expérience des entrepreneurs en série du privé, qui savent faire des " investissements intelligents ", font valoir d'autres acteurs dans l'industrie. " C'est le mélange des deux qui fonctionne, résume Charles Sirois, un des entrepreneurs en série les plus connus du Québec, maintenant ange financier : le privé ne fera pas d'amorçage seul, car il n'aura pas assez d'eau pour traverser le désert. Mais si l'État est seul, il ne saura pas qui financer. Si les deux sont ensemble, l'État fournira la gourde qui permettra au privé d'avoir assez d'eau dans le désert. "

Pour Martin-Luc Archambault, le problème de l'amorçage risque d'être moins aigu dans les technologies de l'information que dans les biotechnologies : " Sur Internet, les coûts d'amorçage sont de moins en moins élevés et la phase est plus courte : il est possible d'amorcer une entreprise avec 15 000 $ de love money [capital de proximité] et d'atteindre la rentabilité en trois mois. "

Une question de gouvernance

Une partie de la solution résidera dans la gouvernance des nouveaux fonds. Québec doit nommer sous peu un comité de sélection pour choisir les trois gestionnaires, tandis qu'Investissement Québec devra émettre des règles et des critères d'investissement. Ce qu'on craint le plus est que les fonds d'amorçage soient gérés par les mêmes équipes que celles qui financeront le démarrage. Il pourrait alors y avoir des conflits d'intérêts et des dérapages à cause d'un effet de vases communicants, avance Serge Bourassa. La concentration du pouvoir décisionnel pourrait être pratique, mais l'entrepreneur risque de se faire plumer et les investisseurs, de passer à côté d'une innovation majeure.

Il faudra pourtant que les fonds d'amorçage soient intégrés au reste de la chaîne de financement. Car s'il y a une leçon à retenir de la genèse du capital de risque, c'est qu'il ne faut pas briser la chaîne.

( CHIFFRES CLÉS )

Teralys Capital : 825 millions de dollars

Teralys est financé par le gouvernement québécois par l'intermédiaire d'Investissement Québec (à hauteur de 200 M$), du fonds de la FTQ et de la Caisse de dépôt et placement (250 M$ chacun). Le reste devra être collecté auprès d'investisseurs institutionnels et de fonds de retraite. Objectif : regrouper les fonds privés de capital de risque et élargir le bassin d'investisseurs en leur offrant une diversification et une expertise pour réduire leurs risques.

Trois fonds d'amorçage de 42 millions de dollars chacun :

Québec fournira 50 M$ et les fonds fiscalisés (FTQ, Fondaction de la CSN et Desjardins Capital), autant. Le reste proviendra de fonds privés. Ces fonds d'amorçage seront gérés par Investissement Québec.

suzanne.dansereau@transcontinental.ca

À la une

Cuivre: le «roi des métaux verts» dépasse 10 000$US la tonne

Il y a 35 minutes | AFP

Le métal rouge est sous le feu des projecteurs depuis l’offre de rachat du géant BHP sur son rival Anglo American.

Le géant BHP fait une proposition de 31 milliards de livres pour Anglo American

Cet accord créerait le plus grand mineur de cuivre au monde.

Teck Resources a vu sa production de cuivre augmenter au 1T

Mis à jour le 25/04/2024 | La Presse Canadienne

L'offre de BHP est une validation de l'approche de Teck Resources, dit le PDG