L'Union des producteurs agricoles à la recherche d'un second souffle

Publié le 06/12/2008 à 00:00

L'Union des producteurs agricoles à la recherche d'un second souffle

Publié le 06/12/2008 à 00:00

Par Alain Duhamel

Écorchée par la commission Pronovost sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire québécois, l'Union des producteurs agricoles cherche à retrouver son influence.

En pleine campagne électorale, elle a convoqué les chefs des trois principaux partis politiques pour leur soumettre ses doléances et obtenir l'assurance qu'elle aura leur écoute lorsque seront débattues les politiques agricoles, en particulier les politiques sur la sécurité du revenu des agriculteurs.

Cet automne, le gouvernement québécois a réduit le poids de l'UPA dans la gouvernance de la Financière agricole, suivant une recommandation de la commission Pronovost. Le syndicat a toujours droit à cinq sièges, mais le nombre total des administrateurs est passé de 11 à 15; en outre, la présidence du conseil n'échoit plus désormais au président de l'UPA. Le gouvernement québécois a nommé à ce poste un ancien cadre supérieur de la Fédération des caisses Desjardins, Rénald Boucher.

" Nous avions bien apprécié les sept premières années de la Financière, mais pourrons vivre avec cette nouvelle gouvernance, dit Pierre Lemieux, premier vice-président de l'UPA. Nous espérons que ces gens-là respecterons les agriculteurs. "

La commission Pronovost a remis en cause la domination de l'UPA. Cette dernière lui était apparue peu disposée à favoriser un modèle d'agriculture plurielle, ouverte à la diversité, et la Commission est même allée jusqu'à contester son monopole syndical.

Toutefois, " l'UPA n'a pas eu à défendre son monopole très longtemps puisque le gouvernement a indiqué tout de suite qu'il ne voulait pas s'engager sur ce terrain ", remarque Michel Morisset, du Groupe de rercherche en économie et en politiques agricoles, de l'Université Laval. " L'impression que nous avons, c'est que la tempête est terminée et que l'Union est passée à autre chose. "

Depuis, cependant, l'Union des producteurs agricoles multiplie les initiatives rassembleuses. " Ce n'est pas parce que nous sommes au banc des accusés qu'il ne s'est rien fait ", dit Pierre Lemieux. L'UPA est ainsi au coeur de la coalition sur la souveraineté alimentaire qui regroupe 57 organismes de production, la transformation et la consommation qui soutiennent l'achat local et s'opposent aux projets de libre marché des produits agroalimentaires de l'Organisation mondiale du commerce.

DÉFI 1

Le renouvellement des programmes d'assurance

Les accords conclus entre l'Union des producteurs agricoles et le gouvernement du Québec au sujet de la sécurité du revenu des agriculteurs expirent en mars. L'UPA réclame un processus de négociations directes et bilatérales avec le gouvernement du Québec en vue de les renouveler.

Depuis le printemps, un mandataire du gouvernement, Michel R. Saint-Pierre, ancien sous-ministre à l'agriculture, élabore le nouveau cadre financier du filet de sécurité des agriculteurs.

Les milieux agricoles s'inquiètent. " Nous n'aimons pas comment les choses se passent, dit Pierre Lemieux, premier vice-président de l'UPA. Il faut restaurer l'esprit de partenariat entre l'État et les producteurs. Dans tous les programmes, les agriculteurs paient une partie des primes; il serait donc normal qu'ils participent aux discussions. "

C'est la Financière agricole du Québec, telle une banque de l'État, qui administre à la fois les programmes de crédit et d'assurances agricoles, notamment l'assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA). Cette assurance à primes partagées (un tiers par l'agriculteur assuré, deux tiers par la Financière agricole) garantit un revenu annuel aux agriculteurs en compensant leur manque à gagner lorsque les prix du marché sont inférieurs à leurs coûts de production.

L'an dernier, la Financière agricole a versé 632,1 millions de dollars d'indemnités, dont plus de 80 % aux producteurs céréaliers et aux éleveurs porcins et bovins. Ces débours dépassent largement les 485 millions de dollars qu'elle reçoit en contributions au fonds de l'ASRA.

Énorme déficit

Si bien que le déficit accumulé de ce fonds s'élevait à 779,7 millions de dollars au 31 mars 2008. En dix ans, de 1997 à 2006, les indemnités au titre de la stabilisation du revenu ont coûté 5,5 milliards de dollars.

" C'est énorme, dit Guy Dubailleuil, professeur en économie agroalimentaire à l'Université Laval. Quelqu'un devra payer la note, et je ne pense pas qu'on puisse demander aux producteurs de payer un tiers de ce déficit. Donc il sera à la charge de l'État et, à ce moment-là, nous ne sommes plus dans un régime d'assurance, mais dans un programme de subventions. Je ne serais pas étonné que le gouvernement travaille dans ce sens. "

C'est l'orientation retenue par la commission Pronovost : transformer progressivement l'ASRA en un programme de soutien du revenu universel plafonné à 150 000 $ par année et par ferme.

Une solution qui ne satisfait pas l'UPA. " Des améliorations sont possibles, mais il n'est pas nécessaire de déstructurer les mécanismes de sécurité du revenu que nous nous sommes donnés ", dit Pierre Lemieux.

AU QUÉBEC, L'AGRICULTURE C'EST...

30 643 fermes

43 000 agriculteurs et agricultrices

65 100 emplois directs

6,2 milliards de dollars de ventes annuelles

Source : UPA

DÉFI 2

La collaboration entre agriculteurs et transformateurs

La tension s'apaise entre les producteurs agricoles et les transformateurs alimentaires.

" La commission Pronovost a provoqué une prise de conscience chez tous les intervenants. L'Union des producteurs agricoles a senti le besoin de s'ouvrir et d'être moins directive de façon à ce qu'on travaille ensemble d'une façon plus cohérente ", dit Jacques Légaré, pdg du Conseil de la transformation agroalimentaire, le plus important regroupement d'industriels des aliments et boissons, dont les quelque 400 membres réalisent un chiffre d'affaires de plus de 14 milliards de dollars par an.

Au Québec, l'industrie transforme plus de 70 % de la production agricole et constitue son premier débouché commercial. Mais, solidement installés aux commandes de leurs systèmes de mise en marché collective, les producteurs exercent un monopole sur l'offre de leurs produits. Une situation qui peut devenir conflictuelle : l'an dernier, la Régie des marchés agricoles et alimentaires a été saisie de 152 litiges.

Le Conseil de la transformation agroalimentaire et l'UPA se rapprochent sur deux terrains : la résolution des différends ailleurs qu'au tribunal, et la collaboration dans le développement d'occasions d'affaires.

La négociation raisonnée

Depuis trois ans, la Régie des marchés agricoles et alimentaires, organisme chargé de la régulation et de l'arbitrage de la mise en marché des produits agricoles, invite les parties à résoudre leurs litiges par la conciliation et la négociation raisonnée.

Les producteurs et les transformateurs ont convenu il y a quelques mois de relancer leur réflexion commune à ce sujet avec l'aide de la Régie des marchés agricoles et alimentaires. Un accord pourrait être scellé dès le début de 2009.

" C'est de bon augure, dit M. Légaré. Il y a une volonté partagée d'instaurer une table de conciliation et de travailler à la résolution des conflits avant qu'ils ne se rendent à la Régie. "

L'UPA et le Conseil de la transformation agroalimentaire, les deux premiers maillons de la chaîne alimentaire, viennent de constituer leur premier comité de liaison. Objectif : analyser l'évolution de la consommation et cibler les actions où leur collaboration permettrait de saisir de nouvelles occasions d'affaires.

Comme, par exemple, la production de haricots verts extra-fins au Québec. L'été dernier, une trentaine de fermes de la région de Lanaudière, connue autrefois pour la culture du tabac, ont commencé à cultiver ce légume, une première en Amérique du Nord. Ces haricots seront préparés dans les usines québécoises de Bonduelle, premier transformateur de légumes en conserve et surgelés au Canada.

" L'offre de produits alimentaires changera, parce que le profil démographique des consommateurs change, dit Jacques Légaré. Les consommateurs ont des attentes spécifiques, il y a des nouveaux marchés à prendre. "

AU QUÉBEC, LA TRANSFORMATION ALIMENTAIRE C'EST...

1 400 entreprises

19,6 milliards de dollars de livraisons

71 996 emplois directs

3,2 milliards de dollars d'exportations

Source : Transaq, CTAC

DÉFI 3

Le maintien du système de gestion de l'offre

" En agriculture, le libre-échange est un leurre, affirme Marcel Groleau, président de la Fédération des producteurs laitiers du Québec, qui plaide en faveur de la reconnaissance de l'exception agricole. L'agriculture n'est pas un secteur économique comme les autres. Les gouvernements doivent continuer à la soutenir. "

Réunis à Washington à la mi- novembre, les dirigeants des pays du G-20 ont souhaité au contraire la conclusion, d'ici la fin de l'année, d'un accord contre toute résurgence de mesures protectionnistes.

" C'est l'antidote dont on pourrait avoir besoin ", croit Sylvain Charlebois, professeur à l'Université de Regina et chercheur associé à l'Institut économique de Montréal. Il faut absolument encourager le commerce international. La crise est mondiale, et il faudra la concertation de plusieurs pays, y compris le Canada, pour en sortir. "

En se cramponnant à la gestion de l'offre, le Canada risque de s'isoler du commerce mondial, une situation insoutenable pour un pays exportateur qui doit accroître ses échanges avec les pays émergents.

De leur côté, les agriculteurs du Québec craignent que le Canada ne puisse défendre auprès de l'OMC les systèmes de gestion de l'offre dans les productions de lait, de volailles et d'oeufs, qui comptent pour plus de 40 % de leurs recettes agricoles.

Cet été, les pays de l'OMC ont bien failli s'entendre. L'accord envisagé n'aurait pas permis au Canada de continuer à protéger toutes les productions sous gestion de l'offre par un dispositif de barrières tarifaires élevées. " Si le Canada déréglementait la gestion de l'offre, il devrait alors subventionner les producteurs de lait, d'oeufs ou de volailles, alors que le système nous permet en ce moment de vivre des recettes du marché. " Dans le cas des producteurs laitiers, une subvention de stabilisation de leurs revenus pourrait coûter jusqu'à un milliard de dollars, selon M. Groleau.

La Fédérée dans la coalition

L'UPA a rallié à sa cause quelque 57 organismes, formant une coalition de la souveraineté alimentaire : des associations et des syndicats agricoles du Québec et du Canada, des organismes de consommation, comme Équiterre, et au moins un transformateur et exportateur alimentaire, la Coopérative fédérée du Québec.

" Nous appuyons les orientations de la coalition. Pour l'instant elles ne nous mettent pas en contradiction avec nos propres opérations ", dit Martin Scallon, directeur des communications à la Coop fédérée. Elle marque ainsi son appui au système de la gestion de l'offre qui la sert bien puisqu'il lui assure un approvisionnement continu en bêtes à abattre et freine les importations de produits concurrents dans le marché canadien.

Avec un chiffre de plus de 3,2 milliards de dollars, en 2005, la Coop fédérée est un des plus importants transformateur canadien. " Il n'est pas contradictoire d'être en accord avec la souveraineté alimentaire même si une bonne partie de nos activités sont dédiées à l'exportation ", affirme M. Scallon.

AU QUÉBEC, LA GESTION DE L'OFFRE C'EST...

La filière du lait

6 822 fermes

2,85 milliards de litres de lait produits par année

2,11 milliards de dollars de recettes

38 % de la production canadienne

La filière oeufs de consommation

106 fermes

89 823 566 douzaines d'oeufs produites par an

126 millions de dollars de recettes

17,6 % de la production canadienne

La filière oeufs d'incubation

42 fermes

16 millions de douzaines d'oeufs produites par an

55,4 millions de dollars de recettes

26,30 % de la production canadienne

La filière volailles

821 fermes

170,4 millions de têtes produites par an

532,3 millions de dollars de recettes

25,7 % de la production canadienne

Source : Fédérations de producteurs, 2007

alain.duhamel@transcontinental.ca

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