Écoresponsable et prospère

Publié le 02/12/2008 à 00:00, mis à jour le 20/09/2016 à 15:10

Écoresponsable et prospère

Publié le 02/12/2008 à 00:00, mis à jour le 20/09/2016 à 15:10

Le gouvernement du Québec élabore un projet de loi qui rendra plusieurs fabricants responsables de leurs produits jusqu'à la fin de leur vie utile. En Suède, c'est la norme depuis quinze ans et l'économie s'en porte très bien, comme Commerce l'a constaté.

Sony Ericsson lancera prochainement le premier téléphone cellulaire biodégradable, le GreenHeart. Boîtier en bioplastique, touches en plastique recyclé, chargeur consommant à peine 3,5 milliwatts (mW) en mode de veille, manuels électroniques en HTML et emballage écologique : à la fin de sa vie utile, son empreinte écologique sera à peu près nulle. Ce téléphone illustre ce qui se passe en Suède depuis 15 ans. Dans ce pays, les fabricants doivent collecter et recycler les matières résiduelles issues de leurs produits. Les téléphones Ericsson, les laveuses Electrolux et les moteurs Volvo sont la responsabilité de ces fabricants du moment de leur création jusqu'à celui de leur destruction. Ce qui explique pourquoi les entreprises suédoises sont les leaders mondiaux de la création de produits écoresponsables. En matière d'environnement, le Québec a beaucoup à apprendre du modèle suédois de responsabilité sociale.

L'économie suédoise n'a pas cessé de tourner depuis que le gouvernement du conservateur Carl Bildt a responsabilisé ses producteurs. Au contraire, la croissance de ce pays (5,5 %) est presque deux fois supérieure à la moyenne de l'Union européenne, et cela depuis plus de 10 ans. En plus de ne pas avoir nui à l'économie, ce virage écoresponsable s'est fait de façon collégiale. Les poids lourds du monde des affaires - IKEA, Electrolux, Ericsson, SAAB, Volvo et cie - sont à la base même des réglementations que le gouvernement a mises en place.

"Dès le départ, nous faisions partie de la solution", confirme Henrik Sundström, vice-président aux Affaires environnementales chez Electrolux. Nous avons participé à l'élaboration des directives et des lois que développait le gouvernement suédois." Commerce a rencontré cet homme d'affaires au siège social de la multinationale, situé sur une des 14 îles qui forment la ville de Stockholm. Dans cet immeuble au design moderne se succèdent des salles d'exposition bourrées de trouvailles technologiques. "Chez nous, tout est pensé en fonction du cycle de vie des produits et de leur impact sur l'environnement. Comme nous sommes responsables de leur recyclage, nous les concevons en conséquence."

Une question d'équilibre et de jugement

Et il est important qu'il en soit ainsi, précise Henrik Sundström. "Le respect de l'environnement passe par une compréhension de tous les gestes que nous posons." Le modèle suédois d'écoresponsabilité ne se résume pas à une série de lois : il repose sur un équilibre entre différentes considérations, comme le démontre le vice-président en ouvrant la porte de l'un des réfrigérateurs de la salle d'exposition d'Electrolux. "Ce plastique est un excellent isolant qui permet des économies d'énergie, explique-t-il au journaliste. Par contre, il n'est pas récupérable. Nous voilà face à un dilemme : devons-nous opter pour une économie d'énergie afin de protéger l'environnement ou pour un produit facilement recyclable ?"

Ces questions, les entreprises suédoises se les posent quotidiennement. Et elles y répondent. Ainsi, dans ce pays, les géants suédois de l'automobile - SAAB, Volvo et Volvo Trucks - ont ciblé les produits toxiques qu'ils doivent éliminer de leur production, dont le plomb, le cadmium, le mercure et les acides bromhydriques. Mais surtout, l'assemblage des véhicules a été repensé. Le design et la disposition des pièces en facilitent la récupération. "S'il y a des substances dangereuses, nous nous organisons pour les isoler afin de pouvoir les récupérer plus facilement, explique Anders Karrber, directeur Environnement chez Volvo. Parallèlement, nous assemblons les pièces en fonction de leurs matériaux." Depuis 2002, 85 % des composantes des véhicules doivent être soit réutilisées, soit recyclées. Cette proportion devrait atteindre 95 % en 2012.

Là ne s'arrête pas le changement. L'effet domino sur les fournisseurs comme Autoliv est indéniable. Cette société est le premier fabricant mondial de coussins gonflables de sécurité et de ceintures de sécurité. Son siège social se trouve à Stockholm. "Nous suivons ce qui se passe chez les fabricants.

S'ils bannissent certaines substances, nous devons le faire à notre tour, confie Mats Odman, vice-président aux Communications corporatives pour Autoliv. Évidemment, les changements que nous effectuons s'étendent par la suite aux autres fabricants avec lesquels nous faisons affaire, c'est-à-dire l'ensemble des grands joueurs de l'industrie automobile." Autoliv, dont le chiffre d'affaires gravite autour de sept milliards de dollars, est présent dans plus de trente pays.

L'union fait la force

Si, depuis 1994, les producteurs suédois investissent temps et argent pour revoir leurs méthodes de production et d'assemblage, leurs composantes et leur design afin de faciliter la récupération, ce n'est pas l'unique raison du succès de ce modèle écoresponsable. La collaboration entre les différents intervenants y est aussi pour beaucoup. Et les citoyens représentent une partie importante de ce système. On trouve plus de 600 points de récupération sur le territoire suédois. Des conteneurs de déchets à recycler de taille moyenne sont placés dans les stationnements des supermarchés, tandis que des centres de recyclage plus importants, qui disposent d'objets encombrants tels que les électroménagers, sont situés en périphérie des centres-villes.

Selon l'OCDE, ce système de récupération est le plus efficace de la planète. Aujourd'hui, 96 % de l'ensemble des déchets des Suédois sont récupérés. Au cours des dix dernières années, la quantité de matières résiduelles qui aboutit dans des sites d'enfouissement est passée d'un million de tonnes à... 186 000 tonnes. Une réduction de 81,7 % !

"Et les lois qui ont mené à cette réduction ne sont pas des freins pour l'économie, assure Ola Alterå, secrétaire d'État au ministère suédois des Entreprises et de l'Énergie. Lorsqu'on se lance dans ce type d'initiative, il ne faut pas s'attarder aux contraintes, mais plutôt aux occasions que cela crée." Ainsi, une industrie florissante et lucrative s'est créée autour de la gestion des matières résiduelles, particulièrement dans le domaine de la transformation des déchets en énergie (voir l'encadré en page 60).

"Les matières résiduelles sont des ressources inestimables. Il faut cesser de les voir comme des rebuts, car on peut presque tout faire avec des déchets : produire de l'électricité, fabriquer du biogaz, développer de nouveaux matériaux." Celui qui tient ces propos n'a rien du militant environnementaliste : il s'agit plutôt du PDG d'Avfall Sverige, une association regroupant les municipalités et des entreprises qui oeuvrent dans la gestion des matières résiduelles. Pour lui, les déchets, c'est du business. Assis dans le chic restaurant du Sheraton de Stockholm, à quelques mètres de la gare centrale, qui récupère à des fins de chauffage la chaleur dégagée par les 250 000 passagers quotidiens, Wein Wiqvist explique les avantages apportés par le fait de donner une deuxième vie aux produits avec la même conviction qu'un missionnaire répand la bonne nouvelle. Il pointe un tableau qu'il vient tout juste de déposer sur la table : "Vous voyez, à partir de 1994 [année de la mise en vigueur de la première loi responsabilisant les fabricants], on voit clairement que, malgré la croissance économique, la quantité de déchets enfouis diminue. Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène, dont l'émergence du secteur de la gestion des déchets, qui contribue à la fois à la croissance économique, à la réduction des rebuts et au rayonnement international de la Suède.

"C'est clair qu'en élaborant une loi, nous évaluons l'avantage concurrentiel que cela donne à la Suède et à ses entreprises", admet Ola Alterå. Ce jeune politicien représente parfaitement la classe politique suédoise actuelle. Son objectif : utiliser l'environnement comme fer de lance de l'économie suédoise. "Lorsqu'on met en place une nouvelle loi, elle ne fait jamais l'unanimité, admet-il.

Toutefois, avec le temps, on réalise qu'on en tire davantage de bénéfices. C'est un excellent générateur d'innovations."

Les entreprises suédoises de l'industrie de l'environnement exportent leur savoir-faire dans le monde entier. Envac, une société de collecte de matières résiduelles par systèmes pneumatiques souterrains, est de celles-là. Commerce a rencontré son PDG, Jonas Törnblom, dans Hammarby Sjöstad, le "quartier vert" de la capitale. Cette ancienne zone industrielle peut se vanter d'avoir un impact sur l'environnement deux fois moins néfaste que les quartiers résidentiels traditionnels. Tout en marchant à côté du vélo qu'il utilise pour se déplacer dans la ville, Jonas Törnblom déboulonne certains mythes sur la fibre environnementale de ses compatriotes. "Contrairement à la croyance populaire, notre intérêt pour l'environnement ne s'explique pas seulement par notre culture. Notre dépendance face aux énergies provenant de l'étranger nous a fortement nui lors de la crise pétrolière des années 1970. Depuis, notre souci d'optimiser l'efficacité énergétique a évolué en même temps que les considérations environnementales." Des préoccupations qui rapportent : Envac a développé un système qui est aujourd'hui exporté partout dans le monde. D'ailleurs, Montréal songe à l'installer dans son futur Quartier des spectacles.

Même le secteur de l'assurance !

Toute l'économie suédoise s'est adaptée au grand virage écoresponsable. Même le secteur financier s'y est mis. La banque suédoise Länsförsäkringan, qui détient 30 % du marché de l'assurance, a créé rien de moins qu'une "assurance recyclage" ! "En Suède, on ne peut plus concevoir les affaires comme on le faisait il y a quelques années. C'est la fin du business as usual", constate Anders Sverkman, directeur des affaires environnementales chez Ländförsäkringan. Cette banque est la première à offrir ce type d'assurance aux producteurs suédois. "Lorsqu'un fabricant lance un produit, il débourse un supplément qui lui servira à assurer les hausses de coûts potentielles liées au recyclage de celui-ci. " Pour l'essentiel, il s'agit de se constituer un coussin de sécurité. Le montant est fixé selon l'évaluation des risques présents et futurs que présente le produit mis en marché. "Nous pouvons aussi bien estimer le risque lié à la toxicité éventuelle de certains matériaux utilisés que les nouvelles contraintes qui pourraient découler de réglementations plus sévères."

Si le modèle suédois est cité en exemple, il n'est pas sans failles. "Nous sommes sans cesse à cheval entre des décisions qui ont pour effet de stimuler l'innovation et la créativité, et la mise en place d'une bureaucratie environnementale qui est lourde pour les entreprises, souligne Inger Strömdahl, directrice des politiques environnementales à la Confédération des entreprises suédoises. Il y a quelques années, ajoute-t-elle, Volvo a élaboré deux projets d'usine en même temps : l'une en France, l'autre à Gothenburg, dans le Sud-Est de la Suède. "L'usine française a ouvert ses portes il y a deux ans. La suédoise en est encore au stade de projet, en raison de la lourdeur administrative. La solution, ce n'est pas d'être moins environnemental, mais d'adapter les systèmes de surveillance aux réalités du monde des affaires. Là réside le défi actuel."

Toutefois, malgré ses faiblesses, le modèle suédois n'en reste pas moins repris par de nombreux pays européens qui doivent se plier aux nouvelles lois environnementales de l'Union européenne, qui s'inspirent des initiatives suédoises.

"Nous vivons dans un monde global, et les solutions doivent être pensées globalement, confie Elaine Weidman, une Américaine qui occupe le poste de directrice des Affaires environnementales chez Ericsson, à Stockholm. Le défi consiste à réussir à uniformiser les lois mises en place dans les diverses régions du monde. Car cette complexité nous touche." Pour l'instant, les lois et les systèmes de récupération des produits diffèrent d'une région du globe à l'autre. Un réel casse-tête pour les entreprises, ajoute Elaine Weidman. Lorsque Commerce lui confie que le Québec se lance à son tour dans l'aventure, elle sourit et ne peut s'empêcher de donner un bref conseil : "En Amérique du Nord, les acteurs économiques et environnementaux s'affrontent constamment. Dans les pays scandinaves, ils collaborent. C'est une différence énorme qui explique, selon moi, la réussite de la Suède dans ses initiatives. Et c'est ce que vous devez tenter de faire."

POUR EN SAVOIR PLUS :

(Voir les sections en anglais)

Confédération des entreprises suédoises

www.svensktnaringsliv.se

Association de gestion des déchets

www.avjallsverige.se

Entreprise de cueillette des matières résiduelles

www.envac.net

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