Ils sortent le grand jeu pour les Y

Publié le 12/05/2012 à 00:00

Ils sortent le grand jeu pour les Y

Publié le 12/05/2012 à 00:00

Un mur d'escalade, des bols de fruits, une glissade, un poteau de pompier, un gymnase, une clinique, des vacances illimitées... Certains employeurs se surpassent afin d'offrir un cadre de travail attrayant pour la génération Y. Est-ce vraiment nécessaire ? En font-ils trop ?

Quand Google a inauguré ses nouveaux bureaux montréalais, à la mi-mars, même la présence du premier ministre Jean Charest n'a pu détourner l'attention médiatique de la nouvelle attraction : un mur d'escalade.

À n'en pas douter, ce genre d'installations attire l'attention et donne une image flatteuse d'une entreprise.

«Google a une image, rappelle Stéphane Simard, conseiller en ressources humaines indépendant. S'ils avaient ouvert un bureau à Montréal avec des cubicules bien straight, on aurait été déçus.» D'autant que les employés de Google à Montréal ont en moyenne 30 ans.

C'est aussi grâce à des initiatives du genre que la firme de logiciels de ressources humaines DLGL, de Blainville, a déjà remporté de nombreux prix pour la qualité de son milieu de travail. Son pdg, Jacques Guénette, fait tous les efforts pour rendre son entreprise accueillante. Ses employés (âgés en moyenne de 41 ans), profitent notamment d'un gymnase avec entraîneur personnel et de vacances à volonté. Et ce n'est certainement pas pour attirer des employés. DLGL n'en a embauché aucun depuis six ans, même si elle a doublé ses revenus.

Mais elle n'en perd pas non plus, ce qui est très important pour M. Guénette. «Peu importe le type de dépenses, si ça permet de garder nos employés, pour nous, c'est bon, juge-t-il. Le niveau d'expertise de nos employés en poste depuis longtemps a une valeur inestimable.»

Dans le cas précis de DLGL, les clients peuvent eux aussi bénéficier des installations. «Parfois, nos clients doivent passer une, deux ou trois semaines chez nous pour tester une nouvelle version de logiciel. Ils participent aux activités eux aussi. Souvent, ils retournent chez eux avec un programme d'entraînement personnalisé. Ou ils organisent un match de volleyball contre le groupe d'employés qui s'occupe de leur dossier. Et ils prennent une bière tous ensemble après au bistro. C'est précieux comme moments. C'est formidable, ce que ça fait.»

La faute aux Y

Ce n'est pas un hasard si la montée en popularité de ce genre de mesures correspond à l'arrivée sur le marché du travail des jeunes de la génération Y, nés entre 1980 et 1995, croit Stéphane Simard.

«Ils ont un rapport au travail totalement différent, et les entreprises ont parfois de la difficulté à le comprendre. Elles cherchent donc par tous les moyens à répondre à leurs besoins. C'est une façon de montrer qu'on s'intéresse à eux non seulement en tant qu'employés, mais aussi comme individu.»

L'ennui, c'est que leurs prédécesseurs, les X (nés entre 1960 et 1979), peuvent en être beaucoup moins friands.

«Il m'arrive de constater une certaine frustration chez les gens de la génération X, poursuit M. Simard, à l'égard de toutes les "chouchouteries" que l'on peut offrir aux nouveaux employés. Eux ont connu les statuts précaires et le travail à temps partiel à leur arrivée. À l'époque, tu ne te demandais pas ce que l'entreprise pouvait faire pour toi. Tu te donnais corps et âme au travail. Maintenant, ils sont parfois en position d'autorité et trouvent ça difficile d'avoir à concéder ce qu'ils n'ont pas eu.»

Retenir, plutôt qu'attirer

Par ailleurs, l'utilité de tous ces efforts en laisse certains sceptiques.

«Vous parlez à un scientifique et je ne connais pas d'étude qui fasse le lien entre l'installation d'un mur d'escalade et l'attraction des employés», prévient Jacques Forest, psychologue organisationnel et CRHA, professeur en ressources humaines à l'UQAM.

Cela ne signifie pas pour autant que de telles installations soient inutiles, reconnaît-il. «Mais c'est très rare que les organisations évaluent les effets de l'implantation de tels services. Souvent, on demande aux gestionnaires, et ils répondent que c'est «ben l'fun», mais ça n'a jamais été véritablement mesuré.»

«Personne n'aura envie de venir travailler chez Google à cause du mur d'escalade, convient Shibl Mourad, directeur de l'ingénierie au bureau de Montréal. Ils le seront plutôt par la possibilité de travailler avec des gens du plus haut calibre technique. L'objectif n'est pas d'attirer. C'est de créer un environnement qui satisfasse les gens qui y sont déjà.»

Même son de cloche chez Ubisoft Montréal, qui offre elle aussi une panoplie d'avantages hors de l'ordinaire à ses employés (moyenne d'âge de 33 ans), notamment une clinique médicale. «Les gens viennent d'abord chez nous pour travailler sur nos projets, estime le pdg, Yannis Mallat. Ensuite, ils peuvent rester parce qu'ils aiment le studio.»

Une arme à double tranchant

Investir dans des installations excentriques peut toutefois être une arme à double tranchant, estiment certains spécialistes.

Jacques Guénette, de DLGL, met en garde contre certaines extravagances : «Il y a des entreprises qui fournissent des services de concierge pour aller porter les vêtements des employés chez le nettoyeur ou pour aller faire l'épicerie à leur place. Mais elles font ça pour que les gens soient au bureau plus longtemps, pas pour qu'ils soient à la maison. C'est une façon détournée de les garder au bureau.»

Jacques, Forest, de l'UQAM, abonde dans le même sens : «Si on bâtit un gymnase, mais que le but est de forcer les employés à y aller, que vous surveillez l'accès et que vous espérez que ça vous fera économiser sur les assurances, ça ne fonctionnera pas.»

Selon lui, si l'employé détecte que la motivation sous-jacente à une telle offre est purement monétaire ou artificielle, c'est fichu.

Il y a aussi, selon Stéphane Simard, le risque d'attirer certains indésirables : «Si tu es pris avec un groupe d'employés qui accordent énormément d'importance à l'aspect matériel, comme les salaires ou les avantages, c'est peut-être parce que c'est tout ce qu'ils viennent chercher chez toi. On risque d'attirer des employés qui ne sont là que pour ça.»

«Parfois, des dirigeants me disent qu'il y a beaucoup de chicane au sein de leur personnel et qu'ils pensent à construire une salle avec une table de billard et des divans pour régler cela. C'est de la pensée magique.» - Jacques Forest, UQAM

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