Des entrepreneurs, même en Bourse !

Publié le 12/01/2013 à 00:00, mis à jour le 10/01/2013 à 10:03

Des entrepreneurs, même en Bourse !

Publié le 12/01/2013 à 00:00, mis à jour le 10/01/2013 à 10:03

Difficile d'être pdg sans être minimalement entrepreneur. Mis à part les gestionnaires purement axés sur le court terme, la plupart des dirigeants le sont au moins un peu. Certains, toutefois, le sont vraiment. Ils respirent, mangent et dorment en pensant à leur entreprise. Pour les investisseurs, détecter cette flamme équivaut à déterrer de petits joyaux en Bourse.

«Beaucoup d'investisseurs font l'erreur de porter peu d'attention au côté humain lorsqu'ils considèrent l'achat d'un titre boursier. Pourtant, il s'agit d'un des critères les plus importants», souligne d'emblée Jean-Philippe Bouchard, vice-président et gestionnaire de portefeuille chez Giverny Capital. Pour lui, le lien entre la qualité des dirigeants et le succès d'une entreprise ne fait pas de doute. Un peu comme un cheval de course peinerait à gagner sans un bon jockey.

Philippe Le Blanc, président de Cote 100, partage cet avis, ajoutant que cela est encore plus vrai dans les petites sociétés. «Une entreprise, au début, ce n'est souvent que ça : un fondateur et quelques autres dirigeants.» Ce n'est pas pour rien que le gain potentiel est plus élevé dans les sociétés de petite capitalisation : elles sont plus risquées. Heureusement, l'investisseur peut en partie réduire son risque en évaluant bien les qualités entrepreneuriales des dirigeants.

On n'a qu'à regarder l'histoire pour constater qu'il y a toujours de réels entrepreneurs derrière des sociétés à succès comme Wal-Mart et Apple, argue pour sa part Michael Shearn, fondateur de la firme de gestion privée Time Value of Money et auteur de The Investment Checklist. «Ces dirigeants entrepreneurs sont ceux qui créent le plus de valeur parce qu'ils ont une vision à long terme», dit le Texan. En plus, comme ils ont bâti l'entreprise, ils sont à même de résoudre les problèmes lorsqu'ils se présentent. Sans compter qu'ils risquent peu de se sauver s'ils détiennent beaucoup d'actions. «Comme investisseur, vous dormez tout simplement mieux la nuit avec ce type de gens aux commandes !» s'exclame-t-il en riant.

Une ligne bien floue

Après avoir essayé différents critères objectifs pour définir un entrepreneur en Bourse, force est de constater que la ligne entre les «vrais» et les autres est plutôt grise. L'idée du pdg fondateur revient le plus souvent, pour être rapidement nuancée avec des contre-exemples comme Richard Lord (Quincaillerie Richelieu) et Brian McManus (Stella-Jones), qui ont pris les rênes d'entreprises existantes.

«L'entrepreneur, c'est celui qui a modelé une entreprise, l'a amené ailleurs», résume Christian Godin, vice-président principal chez Montrusco Bolton. Fondateur ou non, ajoute le portefeuilliste, cette personne a doté l'entreprise d'une vision et l'a fait progresser, l'amenant à de nouveaux sommets de parts de marché ou, ce qui est encore plus intéressant, de bénéfices.

Un savant mélange d'ingrédients

Les descriptions diffèrent d'un observateur à l'autre, mais un élément revient sans cesse : la passion. Une caractéristique qui se perçoit plus qu'elle ne se comptabilise. Elle se voit à la flamme dans les yeux, aux années passées à bâtir l'entreprise contre vents et marées, au désir de continuer malgré un compte en banque bien garni... Peu importe la personnalité du dirigeant, il se doit d'être passionné pour être considéré comme un vrai entrepreneur.

De plus, les portefeuillistes prêtent beaucoup attention à l'actionnariat dans l'entreprise. Comme le pourcentage de «participation importante» dépend de la taille de la société, ils regardent surtout le poids des actions dans l'ensemble des avoirs du dirigeant. «Pour certains, 250 000 $ sera un montant significatif, alors que pour d'autres, ce sera plutôt 2 M$», illustre Philippe Le Blanc, qui préfère de loin les actions aux options pour ce calcul.

En plus d'être passionné et engagé financièrement, le dirigeant entrepreneur sait gérer sainement ses employés comme ses clients. «Il doit avoir appris à respecter et à motiver ses employés pour en faire des partenaires dynamiques», explique Pierre Lussier, président de Sipar, qui inclut à sa grille d'analyse les succès passés, la clarté des objectifs (croissance, rentabilité et niveau d'endettement) et l'engagement à long terme.

Tout n'est pas parfait

Investir dans des entrepreneurs demande une certaine ouverture d'esprit, puisqu'il s'agit souvent de gens plus émotifs que les gestionnaires professionnels, prévient Nicolas Chevalier, gestionnaire chez Pembroke. «Les entrepreneurs prennent des décisions très vite, en se servant de leur intuition. Ça permet de réagir rapidement, mais ça donne un parcours plus sinueux. Il faut accepter que le plan stratégique puisse changer vite.»

Par ailleurs, M. Chevalier, qui se consacre à ce type de placements, surveille de près l'enjeu de la relève. «Quand un individu retire ses billes, il y a de bonnes chances que nous fassions de même, puisque c'est pour lui que nous sommes actionnaires. Parfois, il se retire progressivement, ce qui est bien.»

Cependant, même pour des investisseurs d'expérience, trouver de vrais entrepreneurs à succès est très difficile, soutient Michael Shearn, de la firme Time Value of Money.

«Un entrepreneur est comme un plat cuisiné : si un seul ingrédient est mauvais, c'est l'ensemble qui est raté.»

«Richard Lord (Quincaillerie Richelieu), Michael Roach (CGI), Stanley Ma (Groupe MTY), Alain Bédard (TransForce) et André Gaumond (Mines Virginia) sont de cette classe à part d'entrepreneurs à succès.» - Pierre Lussier, président de Sipar

VÊTEMENTS DE SPORT GILDAN (TOR., GIL, 36,68 $)

Le choix de Nicolas Chevalier, Pembroke

TECHNOLOGIES INTERACTIVES MEDIAGRIF (TOR., MDF, 18,95 $)

Le choix de Philippe Le Blanc, Cote 100

GROUPE MTY (TOR., MTY, 22,27 $)

Le choix de Jean-Philippe Bouchard, Giverny Capital

GROUPE OPMEDIC (TOR., OMG, 2,71 $)

Le choix de Christian Godin, Montrusco Bolton

WHOLE FOODS MARKET (NASDAQ, WFM, 91,22 $ US)

Le choix de Michael Shearn, Time Value of Money

CINQ ENTREPRISES MENÉES PAR DES ENTREPRENEURS

Glenn Chamandy a cofondé Gildan avec son frère Greg en 1984, à partir d'une entreprise héritée de leur grand-père. C'est en grande partie grâce au pdg actuel que l'entreprise est devenue le géant mondial du t-shirt et de la chaussette, avec des ventes annuelles frôlant maintenant les deux milliards de dollars. Pour Nicolas Chevalier, portefeuilliste chez Pembroke, ça ne fait aucun doute : «Gildan, c'est tout un succès !»

Le gestionnaire dit avoir été surpris, lors de visites d'usines, de constater à quel point le pdg connaissait les opérations «sur le bout des doigts». «En plus, il a une passion assez exceptionnelle et contagieuse.»

M. Chevalier aime également le fait que M. Chamandy sache déléguer et s'entourer, en recrutant notamment des cadres chez les concurrents. «Le fait que ces gens de calibre acceptent de déménager à Montréal afin de travailler pour Gildan indique que l'entreprise va bien et qu'elle leur confie de réelles responsabilités», observe M. Chevalier.

Comme Glenn Chamandy n'a que 51 ans, la question de la relève ne préoccupe pas le portefeuilliste. «Il est encore là pour plusieurs années, et de toute façon, on sent qu'il offre de la visibilité et de la latitude à son équipe.»

Philippe Le Blanc détient des actions de Mediagrif depuis plusieurs années, mais quand il a vu Claude Roy s'installer dans le fauteuil de pdg, il s'est empressé d'en racheter. «L'entreprise n'en est plus à ses débuts, mais elle présente encore beaucoup de potentiel de croissance, surtout avec Claude Roy aux commandes.»

L'homme a fondé puis dirigé pendant près de 30 ans le spécialiste des logiciels de gestion pour hôpitaux Logibec, avant de le vendre pour 231 M$ au régime de retraite des employés municipaux de l'Ontario, OMERS, en mai 2010.

En plus de cette feuille de route enviable, M. Le Blanc apprécie le fait que Claude Roy a acheté beaucoup d'actions de Mediagrif, avec ses fonds personnels. Sa participation se situe maintenant à 21 %. «Je crois qu'il a vu la possibilité d'améliorer la rentabilité et de réaliser des acquisitions», dit M. Le Blanc.

D'ailleurs, Claude Roy s'est affairé dès son arrivée à recentrer les activités de la société, tout en procédant à l'achat du site Web de petites annonces LesPAC.com. Selon M. Le Blanc, l'émission d'actions de 35 M$ complétée en décembre signale un désir d'être prêt à passer à l'action dès qu'une occasion d'acquisition se concrétisera.

Même si le franchiseur de restaurants à service rapide MTY est coté en Bourse, son fondateur, Stanley Ma, continue de se comporter comme un véritable entrepreneur, juge Jean-Philippe Bouchard, de Giverny Capital. Selon lui, on peut sentir cette philosophie dans la rémunération du pdg (436 666 $ en 2011), l'absence d'options, la gestion rigoureuse des capitaux ainsi que la prudence et la discipline observées lorsque l'entreprise réalise des acquisitions.

Cette discipline est probablement attribuable en partie à la participation de 26 % que détient toujours le fondateur dans le capital-actions du Groupe MTY. Même si l'actionnariat ne constitue pas un gage de succès en soi, il assure à tout le moins un alignement des intérêts du pdg et de ceux des investisseurs, apprécie Jean-Philippe Bouchard.

Quant au fait que le succès de l'entreprise repose largement sur les épaules de M. Ma, il n'y a pas lieu de s'en inquiéter, croit le gestionnaire. L'entreprise a récemment recruté un nouveau directeur des finances, ce qui peut signaler un plan de relève. En plus, Stanley Ma ne semble pas envisager de retraite à court terme. «Certains dirigeants peuvent rester actifs très longtemps dans leur entreprise quand ils sont passionnés par ce qu'ils font.» Et passionné, Stanley Ma l'est.

Spécialisé dans les traitements de fertilité (les cliniques Procrea), le groupe Opmedic est dirigé par deux médecins, Pierre St-Michel et Marc Villeneuve. Il s'agit d'entrepreneurs, dit Christian Godin, de Montrusco Bolton. «Ils ont fondé leur entreprise alors qu'ils auraient eu un emploi garanti et bien payé dans le système public.»

Précurseurs dans le créneau de la fécondation in vitro, les deux hommes ont joué les diplomates afin que la procédure soit remboursée par le gouvernement. «Ils ne baissent pas les bras, même devant la machine gouvernementale», apprécie M. Godin, confiant quant à l'expansion à venir au Québec et en Ontario. «On voit que les dirigeants ont vraiment envie d'amener leur projet plus loin et de prouver que, sans abolir le système public, il y a moyen de faire de la place au privé.»

MM. St-Michel et Villeneuve détiennent respectivement 28 % et 29 % des actions du Groupe Opmedic, ce qui plaît beaucoup à M. Godin. «Ils ont utilisé leur propre argent pour mettre en place les activités, puis ont recueilli des capitaux en Bourse pour poursuivre la croissance.» Des médecins, donc, qui sont devenus des hommes d'affaires accomplis.

Le succès de la chaîne de supermarchés bio Whole Foods auprès des consommateurs comme des investisseurs s'explique très simplement, croit Michael Shearn, de Time Value of Money. «Les dirigeants ne se concentrent pas sur les profits, mais sur les clients et les employés. Les profits, se disent-ils avec justesse, sont une conséquence.»

Il en résulte une organisation agréable pour ses employés, dans les magasins comme au siège social d'Austin, au Texas - l'équipe de direction travaille ensemble depuis plus de 15 ans ! Cette culture particulière est protégée par John Mackey, cofondateur et co-pdg, qui a édicté plusieurs règles. Malgré la croissance de l'entreprise, il veille à ce que ces règles soient maintenues.

Que ferait donc M. Shearn, si John Mackey quittait l'entreprise ou mourait ? «Je vendrais mes actions immédiatement», répond le gestionnaire sans ambages. L'homme parti, plusieurs règles ne survivraient pas, croit-il, à commencer par le plafonnement de la rémunération des dirigeants (le salaire et les primes en argent ne peuvent dépasser 19 fois le salaire moyen, de 38 000 $ US en 2011). D'ici là, Whole Foods représente un investissement de choix à ses yeux. «Ils ont leurs problèmes, comme toutes les entreprises, sauf que dans leur cas, ce sont en général des problèmes très mineurs.»

marie-claude.morin@tc.tc

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