«97 % des épargnants ne sont pas des psychopathes» - Lynn Stout, auteure et professeure de droit de l'Université Cornell

Publié le 07/07/2012 à 00:00

«97 % des épargnants ne sont pas des psychopathes» - Lynn Stout, auteure et professeure de droit de l'Université Cornell

Publié le 07/07/2012 à 00:00

Professeure de droit à l'Université Cornell, dans l'État de New York, Lynn Stout vient de publier The Shareholder Value Myth: How Putting Shareholders First Harms Investors, Corporations, and the Public. Elle était conférencière au Congrès canadien de l'investissement responsable, tenu à Montréal en juin.

Les Affaires - Vous dites que la philosophie de maximisation des profits aux actionnaires nuit à ces derniers. Expliquez-nous en quoi.

Lynn Stout - S'il n'y avait qu'une raison, ce serait simple. C'est en fait une combinaison de plusieurs facteurs. La raison la plus évidente, et qui a le plus de poids individuellement, est que ça conduit à des comportements axés sur le court terme. Il y a une foule de façons d'accroître de façon temporaire le prix de l'action, décisions qui nuisent aux rendements à long terme. Une telle approche diminue aussi l'intérêt des parties prenantes (les stakeholders) à développer des liens forts avec l'entreprise. Ça diminue la loyauté des clients et des employés, mais aussi le soutien qu'offre de façon générale la société aux corporations. Tout cela a des effets négatifs à long terme.

L.A. - Selon vous, on oublie trop souvent que les actionnaires ont un portefeuille diversifié. En quoi cette réalité est-elle importante ?

L.S. - Les actionnaires ont des intérêts dans plusieurs entreprises. Or, pour maximiser à tout prix la valeur de leur action, les entreprises posent des gestes qui nuisent à ces autres placements. Si vous êtes un actionnaire diversifié, vous devriez vous préoccuper de la valeur de l'ensemble des entreprises, pas seulement de l'une d'entre elles. Une entreprise qui met à pied ses employés verra le prix de son action augmenter. Toutefois, lorsque toutes les entreprises se mettent de la partie, l'économie chancelle. C'est la tragédie des biens communs. [NDLR : Selon ce concept, élaboré par l'écologiste Garrett Hardin, la concurrence par rapport à une ressource limitée mène à la surexploitation de cette ressource.]

L.A. - Mais les actionnaires ne réclament-ils pas un rendement maximal ?

L.S. - L'approche actuelle de maximisation de la valeur pour l'actionnaire ne reflète d'aucune façon le fait que 97 % des épargnants ne sont pas des psychopathes avides de rendement à tout prix. La plupart des gens ont un comportement éthique. Ils souhaitent que, s'ils font des profits, ce soit en contribuant au monde, pas en lui nuisant.

L.A. - Pourquoi alors est-ce devenu l'idéologie dominante ?

L.S. - Parce que cette théorie rendait le monde facile à comprendre. Les universitaires ont monté dans le train et ont commencé à l'enseigner. Évidemment, quand tout le monde affirme que l'empereur a des habits merveilleux, c'est très difficile pour quelqu'un de dire qu'il ne voit rien et que l'empereur est nu... Pourtant, lorsqu'on fouille les données, on constate que ce n'est pas une exigence des lois américaines, contrairement à ce que plusieurs croient, et que ça ne donne pas les résultats économiques attendus.

L.A. - Que devrions-nous faire, selon vous ?

L.S. - Nous devons cesser d'enseigner aux étudiants en économie, en droit et en gestion que le but ultime d'une entreprise est de maximiser la valeur à l'actionnaire. C'est absolument faux ! Il faut aussi regarder la rémunération des dirigeants, qui ne fait que jeter de l'huile sur le feu. Nous avons réussi à rémunérer correctement les dirigeants pendant plus de 50 ans avant que n'apparaissent les options ou autres récompenses liées à la performance. Rappelez-vous comment ça se passait auparavant - et ça se passe encore comme ça pour la plupart des gens : vous recevez un salaire fixe et votre patron vous demande de faire de votre mieux. À la fin de l'année, il détermine si vous méritez ou non une prime ou une augmentation.

L.A. - Vous excluez un encadrement réglementaire pour changer les choses. Pourquoi ?

L.S. - Ça semble ironique, mais je crois qu'on doit arrêter d'essayer de tout réglementer pour régler ce problème. Les autorités ont une feuille de route terriblement mauvaise à ce chapitre, alors que le monde des affaires, lorsqu'il est laissé à ses propres moyens, est assez résilient et intelligent. Je suis donc tout à fait en faveur de la divulgation, mais je crois que les autorités ne devraient pas dicter la rémunération des dirigeants, le fonctionnement des conseils d'administration ou les mécanismes de protection contre les offres d'achat non sollicitées.

L.A. - Qui devrait décider alors ?

L.S. - Les conseils d'administration ! Ils sont là pour ça. Les gens blâment les administrateurs, mais c'est parce qu'ils les confondent avec les dirigeants. Les administrateurs, surtout ceux qui viennent de l'extérieur de l'entreprise, sont réceptifs à ce qu'ont à dire les actionnaires et les parties prenantes. S'ils tendent de plus en plus à prendre des décisions à courte vue, c'est parce que les autorités ont permis aux fonds de couverture d'exercer de la pression s'ils ne performent pas à court terme.

L.A. - Voyez-vous des entreprises adopter votre philosophie ?

L.S. - Oui. Et vous savez comment elles font ? Elles ne vont pas en Bourse. Les entreprises à capital fermé n'ont jamais adhéré à la philosophie de la rémunération liée à la performance. C'est un monde différent.

L.A. - Devrait-on y voir un problème ? Après tout, si ça leur permet de gérer à long terme...

L.S. - Ce n'est pas un problème pour les entreprises, mais c'est très dommage pour les petits épargnants. Je crois même que ça contribue aux inégalités croissantes. Les Mitt Romney de ce monde sont les seuls à profiter de la croissance des entreprises à capital fermé. Les gestionnaires de fonds et les investisseurs individuels ont un carré de sable plus petit, souvent moins attrayant.

L.A. - Êtes-vous positive face à l'avenir ?

L.S. - Je crois que les choses vont changer. Si j'avais écrit ce livre il y a 15 ans, les gens m'auraient discréditée en me traitant de gauchiste cinglée. Mais le monde des affaires d'aujourd'hui le reçoit très bien, tout comme les investisseurs institutionnels et individuels. Les seuls qui me détestent sont les partisans des fonds de couverture (rires).

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