" Les magazines se meurent, assassinés par les éditeurs, non par les lecteurs "

Publié le 25/09/2010 à 00:00

" Les magazines se meurent, assassinés par les éditeurs, non par les lecteurs "

Publié le 25/09/2010 à 00:00

Par Diane Bérard

S' il n'avait pas été blessé en couvrant la guerre en Afghanistan pour la BBC, Tyler Brûlé n'aurait pas lancé Wallpaper* ni Monocle. " Le jour de l'accident, je ne contrôlais rien. Ni le volant du camion ni la route que nous avions empruntée. Cette expérience m'a laissé un violent désir de maîtriser ma destinée ", explique-t-il. Ainsi sont nés deux magazines atypiques dont la réussite fait des envieux : Wallpaper*, en 1996, et Monocle, en 2007.

Ce Canadien, né à Winnipeg, est devenu l'emblème du luxe et de la belle vie. Il a développé la marque Tyler Brûlé : une façon de s'habiller, de consommer, de voyager. Ardent défenseur des magazines, il estime que le prochain combat se joue chez les détaillants, " qui n'offrent que les titres à fort tirage, boudant les autres, même s'ils contribuent à enrichir l'expérience du kiosque en offrant une possibilité de découverte. " Nous l'avons joint entre deux vols, à ses bureaux londoniens.

Diane Bérard - Tout le monde pense Web et vous investissez dans le papier. Êtes-vous suicidaire ou visionnaire ?

Tyler Brûlé - Ni l'un ni l'autre. Je fais simplement du magazine comme il doit être fait pour être rentable. Les magazines papier se meurent, assassinés par les éditeurs et non par les lecteurs. À force de réduire leurs coûts pour investir dans le Web, les éditeurs publient des brochures bas de gamme au lieu de vrais magazines. Évidemment, les lecteurs n'ont plus envie de les acheter. Et, comme il n'y a pas assez d'argent pour soutenir un magazine et un site Internet, les éditeurs de retrouvent avec deux produits faibles.

D.B. - Vous proposez un produit de luxe dont l'abonnement se vend 15 % plus cher que le prix en kiosque. Comment des produits de masse peuvent-il s'inspirer de votre stratégie ?

T.B. - Wallpaper* et Monocle sont des exceptions, c'est vrai. Le marché ne peut pas en absorber plusieurs. Mais je n'en démordrai pas : la mort du magazine papier est l'oeuvre des médias. Il est temps que les éditeurs posent LA question à leur conseil : désirez-vous continuer à évoluer dans le secteur des médias ? Si oui, il faut réinvestir dans vos contenus et votre contenant et accepter d'encaisser des pertes pendant au moins deux ans.

D.B. - Êtes-vous favorable ou défavorable aux contenus payants ?

T.B. - Payer pour quoi ? Des textes repiqués d'agences de presse et aucun correspondant à l'étranger ? Pour plusieurs magazines, il ne reste plus rien à monnayer.

D.B. - Vous ne débordez pas d'optimisme à l'égard de votre secteur... Par contre, votre magazine Monocle adopte, comme ligne éditoriale, l'optimisme. Est-ce le secret de son succès ?

T.B. - C'est un facteur important. Après deux annus horribilis, plusieurs d'entre nous sont mûrs pour de bonnes nouvelles. Monocle a été lancé avant la crise. Nous ne pouvions pas savoir qu'elle aurait lieu. Par contre, notre intuition nous disait que le marché était prêt pour un autre type de journalisme. Nous ne sommes pas naïfs, nous savons que tout n'est pas rose, mais nous avons choisi de présenter des histoires inspirantes. Notre règle : il faut qu'en terminant nos articles vous ayez envie de rencontrer la personne dont nous avons parlé ou de découvrir la marque présentée.

D.B. - Wallpaper* et Monocle sont des magazines de luxe. Pourriez-vous réussir dans un univers de masse ?

T.B. - Non. Je n'aime pas l'idée de simplifier un message pour le rendre accessible à tous. Et je déteste la manie des médias de niveler par le bas en employant le langage de l'homme de la rue. C'est insultant pour le lecteur.

D.B. - Qu'est-ce que ces deux magazines à succès ont en commun qui les différencie de leurs concurrents ?

T.B. - Ce sont deux produits globaux, il n'y pas plusieurs éditions selon le pays. Très peu de magazines sont globaux, c'est un art que les Américains maîtrisent mal. Mais ni Wallpaper* ni Monocle ne sont américains; dans les deux cas, le siège social se trouve à Londres. Ce qui explique la façon différente qu'ont Wallpaper* et Monocle de voir le monde et de le présenter. De plus, les deux magazines s'adressent aux hommes aussi bien qu'aux femmes. Et puis, ce sont des publications " aspirationnelles " aussi bien qu'" inspirationnelles ". Monocle, par exemple, intéresse autant ceux qui voyagent que ceux qui rêvent de voyager.

D.B. - Dix ans se sont écoulés entre le lancement de Wallpaper* et celui de Monocle. Qu'avez-vous appris entre les deux ?

T.B. - En 1996, j'étais un éditeur. Aujourd'hui, je suis un homme d'affaires. Wallpaper* était un canapé et Monocle, le plat de résistance.

D.B. - Qu'est-ce que l'homme d'affaires que vous êtes aurait enseigné à l'éditeur que vous étiez ?

T.B. - De lever plus de capitaux avant le lancement de Wallpaper* pour ne pas vendre le magazine si rapidement [N.D.L.R. en 1997, à Time Warner]. Ainsi, j'aurais pu prendre le temps de bâtir ma marque davantage et obtenir un meilleur prix au moment de la vente.

D.B. - Le gouvernement de Taïwan vous a confié le mandat de rénover l'image de marque de ce pays. La ville de Québec avait embauché un consultant étranger [N.D.L.R. le Français Clotaire Rapaille] pour faire de même, et cela s'est mal terminé. Pourquoi croyez-vous à cette approche ?

T.B. - Les villes, les régions et les États doivent développer leur marque pour attirer les investissements, les touristes et les cerveaux dont ils ont besoin. Cependant, il faut fuir les clichés et les slogans faciles.

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