La vie après la crise forestière

Publié le 01/02/2009 à 00:00

La vie après la crise forestière

Publié le 01/02/2009 à 00:00

L'industrie forestière de la Colombie-Britannique est en crise. Le gouvernement mise sur la biomasse pour la relancer. Est-ce une solution réaliste ? Le Québec peut-il s'en inspirer ?

La ville de Mackenzie, à 190 kilomètres au nord de Prince George, doit son essor à l'industrie forestière. C'est aussi à l'industrie forestière qu'elle doit la période sombre qu'elle traverse actuellement. Depuis 18 mois, la fermeture des scieries et des usines de pâtes et papiers en raison de la crise forestière a mis en chomâge 1 300 personnes dans cette municipalité de 4 600 habitants. Il y a eu d'abord la fermeture de deux scieries et de l'usine de papier d'AbitibiBowater, en novembre 2007, puis celle de Canfor, quelques semaines plus tard. En mai dernier, Pope and Talbot cessait ses activités, après avoir déclaré faillite en octobre 2007.

Malgré ces malheurs, la mairesse, Stephanie Killam, tient bon : " Cette ville n'est pas morte. Elle a eu des problèmes, elle en a en ce moment, et comme toutes les autres villes, elle en aura encore. Mais il y aura toujours des gens qui voudront vivre ici. " Établie à Mackenzie depuis 1972, conseillère municipale depuis 1996 et mairesse depuis 2005, Stephanie Killam se débat pour diversifier l'économie de sa ville.

Il n'empêche que la crise qui touche Mackenzie est l'une des pires depuis sa fondation, en 1966. Et les Jeux du Nord de la Colombie-Britannique, qui se tiendront du 12 au 15 février et qui sont décrits comme un moteur économique pour les villes qui les accueillent, n'offrent qu'un baume temporaire.

Ces temps-ci, les espoirs de Mackenzie se tournent plutôt vers la construction d'une petite usine de biomasse dont les activités doivent débuter en 2011. Ce projet de 225 millions de dollars doit éventuellement produire 59 mégawatts thermiques (MWth) et créer 200 emplois durant sa phase de construction et 28 pendant sa période d'activité, dont la durée prévue est de 30 ans. Le cas de Mackenzie n'est pas unique. C'est d'ailleurs vers la biomasse que se tourne le gouvernement de la Colombie-Britannique pour aider ses régions ressources à traverser la crise actuelle. Les problèmes de l'industrie forestière en Colombie-Britannique ont commencé à la fin de 2006, quand le nombre de chantiers de construction a diminué au sud de la frontière. Cette année-là, la construction de maisons avait atteint un sommet de 2,1 millions, et l'industrie avait accéléré la production pour répondre à la demande.

Face à des surplus de production, le prix du bois a alors été revu à la baisse. L'année suivante, la crise hypothécaire américaine force les scieries de la province à réduire leur production. Selon le Syndicat des métallos, les fermetures ont entraîné la perte de 10 000 emplois au cours des deux dernières années. Plus d'une trentaine d'usines ont fermé leurs portes de façon temporaire ou définitive.

Aux problèmes économiques s'ajoute le dendoctrone du pin, un insecte qui décime les forêts. En 2012, on s'attend à ce qu'il ait détruit jusqu'à 70 % des forêts de pins de la province, l'équivalent d'un milliard de mètres cubes de bois. Dans les localités du Nord comme Mackenzie, où la production d'énergie n'a pas encore débuté, certains, comme le ministère de l'Énergie et celui des Forêts, y voient une occasion de relancer l'économie.

L'appel du bois

" L'appel à la production de bioénergie aidera la Colombie-Britannique à atteindre l'objectif de réduire ses émissions à zéro, à renforcer sa compétitivité à long terme et à diversifier ses économies régionales ", annonçait le ministre de l'Énergie, Richard Neufeld, en février 2008, lors du lancement de l'appel à la bioénergie de BC Hydro, l'un des nombreux moyens mis en oeuvre par cette société d'État pour devenir autosuffisante en 2016, elle qui importe 10 % de son énergie à l'heure actuelle.

Lancée le 26 février 2008, la première phase de l'appel à la production de bioénergie s'est concentrée sur la production d'électricité et a pris fin le 8 décembre dernier avec l'octroi de quatre contrats de biomasse. La deuxième phase, elle, doit se concentrer sur de nouvelles technologies, comme l'éthanol produit à partir de résidus du bois. Une stratégie qui, de l'avis même du ministre Neufeld et du ministre des Forêts, Pat Bell, vise à minimiser les effets du dendoctrone du pin sur l'économie des collectivités rurales.

L'idée de promouvoir la biomasse n'est pas nouvelle. " C'était un des plus importants secteurs d'énergie dans les années 1990, mais la baisse des coûts du gaz naturel a fait en sorte que celui-ci a supplanté la biomasse. Et aujourd'hui, on en est à l'énergie éolienne et aux mini-centrales ", note Steve Davis, président de l'Association des producteurs indépendants de Colombie-Britannique (IPPBC).

Selon l'IPPBC, le virage vert amorcé en 2007, le besoin urgent d'énergie de BC Hydro et la crise du bois pourraient raviver l'intérêt pour la biomasse. Les résidus forestiers pourraient contribuer à produire 300 MWth d'énergie verte. Les résidus sur les bords des routes, les branches et les souches d'arbres pourraient créer 1 200 MWth d'énergie supplémentaire.

Harvie Campbell est un des partisans de cette solution. Le vice-président de Pristine Powers oeuvre de concert avec la société Nexterra au BioEnergy Network, un réseau de 10 à 15 centrales biomasse de l'ordre de 30 à 40 millions de dollars. Son entreprise travaille à l'élaboration du projet de biomasse de Mackenzie, censé donner un nouveau souffle à l'économie de la région. " Nous avons obtenu toutes les autorisations gouvernementales. Il ne nous reste plus qu'à trouver un fournisseur de copeaux de bois. " Harvie Campbell admet que la crise de l'industrie forestière rend les choses un peu plus difficiles : " Obtenir notre combustible est un peu plus long que prévu, mais cela ne nous empêchera pas d'aller de l'avant ".

Les fermetures d'usines privent les producteurs de résidus, et ces derniers doivent se tourner vers les débris qui se trouvent le long des routes ou vers les arbres atteints par le dendoctrone du pin. Si, en théorie, cette solution peut s'avérer rentable, en pratique, elle n'est pas fiable.

Cette opération relève presque de la charité, selon l'économiste Cornelius Van Kooten, de l'Université de Victoria. " Ça ne paie pas. S'il n'y avait pas qu'un acheteur [BC Hydro] en Colombie-Britannique, ce marché ne serait jamais concurrentiel ", explique-t-il.

L'économiste a évalué l'intérêt économique d'utiliser le bois touché par le dendoctrone du pin pour produire de l'énergie. " À certains endroits, on met neuf heures à transporter le bois mort à une usine de transformation. Ça n'a aucun sens ! " dit-il. Selon l'étude qu'il a faite pour la région de l'île de Vancouver, les coûts de transport et de main-d'oeuvre annulent tous les avantages liés à la production d'énergie à partir de bois mort.

Pour Harvie Campbell, utiliser les résidus laissés par le dendoctrone du pin constitue aussi un casse-tête. " Nous aurons des résidus provenant du dendoctrone du pin pendant 10 ans, mais les centrales de biomasse ont une durée de vie de 30 ans. Nous devons nous assurer qu'un autre combustible pourra remplacer le bois. Ça augmente les coûts ", ajoute-t-il.

Ces contraintes n'ont pas empêché BC Hydro d'annoncer, le 8 décembre dernier, la signature de quatre contrats pour produire plus de 60 MWth d'énergie biomasse. Les projets qui ont été acceptés seront réalisés à Prince George, à Kamloops et à Castlegar, au coeur des régions touchées par la crise. Le Québec emboîte lui aussi le pas. En octobre, Hydro-Québec était autorisée à lancer un appel d'offres pour la production de 125 MWth à partir de la biomasse forestière. Le manque de matières premières cause toutefois des maux de tête aux producteurs des centrales thermiques à biomasse déjà existantes et force l'arrêt temporaire de la production.

Perspectives d'avenir

Malgré les difficultés, Harvie Campbell voit éventuellement un moyen de relancer l'industrie forestière si producteurs d'énergie et producteurs forestiers, qui dépendent les uns des autres, parviennent à établir de bonnes relations. " Une industrie forestière forte est importante pour assurer la réussite de la bioénergie. Les copeaux qui viennent de la coupe du bois coûtent beaucoup moins cher que ceux d'autres sources, comme les débris sur la route ou les arbres tués par le dendoctrone du pin, et leur vente permet aux entreprises forestières de diminuer leurs coûts de production ", explique-t-il.

Pour Cornelius Van Kooten, malgré les emplois créés par la biomasse, les régions doivent faire face à la réalité. " Il faut que l'industrie soit plus efficace, et plus d'efficacité signifie moins d'emplois ", dit-il.

Pour Stephanie Killam, l'avenir de Mackenzie ne doit pas seulement reposer sur la biomasse. " Si nous travaillons aux projets en cours, à la mine, au tourisme et avec nos partenaires des Premières Nations, nous continuerons d'exister. Mais il faut nous diversifier. Nous ne pouvons pas dépendre d'une seule industrie pour assurer notre survie. "

L'INDUSTRIE FORESTIÈRE EN COLOMBIE-BRITANNIQUE : QUELQUES CHIFFRES

Pourcentage du PIB de la province

13 %

Emplois directs et indirects

200 000

Collectivités qui dépendent de l'industrie :

100 collectivités réparties dans 24 régions

Redevances de l'industrie au gouvernement :

plus de 3,5 G$ par an

Source : Council of Forest Industries

LA SOLUTION CHINOISE

Environ 80 % du bois produit en Colombie-Britannique est destiné à l'exportation. Faute de trouver un marché en Amérique du Nord, les producteurs de bois se tournent maintenant vers l'Asie pour vendre leur bois d'oeuvre.

Selon PricewaterhouseCoopers, des ventes de plus de 20 milliards de dollars américains par an font de la Chine le deuxième marché en importance au monde pour les produits du papier, tout de suite après les États-Unis. C'est vers les pays émergents que l'entreprise de service-conseils suggère aux entreprises forestières de se tourner pour limiter les conséquences négatives de la baisse du marché en Amérique du Nord. Le gouvernement de la Colombie-Britannique s'est d'ailleurs rendu en novembre dernier à Shanghai, Beijing, Chengdu, Deyang, Mianyang et Dujiangyan pour promouvoir sa propre industrie dans l'empire du Milieu.

francisplourde@me.com

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