Économie 101 pour employés

Publié le 01/04/2009 à 00:00

Économie 101 pour employés

Publié le 01/04/2009 à 00:00

Restrictions budgétaires, licenciements, réaménagements... Pour traverser les périodes difficiles, certaines entreprises ouvrent leurs livres et, avec l'aide du Fonds de Solidarité FTQ, forment leurs employés aux réalités économiques et financières. Car parler le même langage aide à se comprendre.

Dans la salle de réunion de la société Stella-Jones, à Delson, en Montérégie, patron, directeurs, représentants syndicaux et employés discutent des dernières mises à pied. Neuf travailleurs de cette usine de fabrication de poteaux de bois et de traverses de chemins de fer ont perdu temporairement leur emploi. Dans les circonstances, on s'attendrait à ce que l'atmosphère de cette réunion soit tendue. Il n'en est rien. Pourquoi ? "Nos relations sont plus faciles depuis que nous parlons tous le même langage", explique le président du syndicat, Jean-Pierre Lapierre. "Avant, l'économie, c'était du chinois pour moi. Je ne savais pas faire la différence entre des passifs, des dividendes et des actions", ajoute ce mécanicien de formation. Ce n'est plus le cas. Il jongle maintenant avec ces concepts sans problème, comme tous ses collègues, d'ailleurs. En temps de crise, alors qu'il faut réduire les dépenses et rationaliser, avoir des employés qui comprennent l'économie donne un sacré coup de pouce.

Chez Stella-Jones, la vie a changé en 2003 lorsque le Fonds de solidarité FTQ a investi 15 millions de dollars pour aider l'entreprise à acquérir deux usines au Québec. Une des conditions préalables pour tout investissement de cet organisme est de dispenser de la formation en économie au personnel. "L'employé qui comprend les résultats financiers de son employeur se sent beaucoup plus respecté", dit Jean Sylvestre, directeur de la Fondation de la formation économique du Fonds. "S'il peut poser lui-même ses questions aux dirigeants, il se sent plus rassuré, et il peut même contribuer à long terme à la croissance de l'entreprise", ajoute-t-il en précisant qu'en période de crise, cette formation devient carrément stratégique.

Le rapport annuel de Stella-Jones n'a plus de secret pour Jean-Pierre Lapierre et son collègue, Mario Schmidt. Sauf que les deux mécaniciens ont trimé dur pour en arriver là. "Nous devions commencer par nous familiariser avec le jargon de l'économie", se rappelle Mario Schmidt. Le premier jour, le formateur leur a expliqué le vocabulaire et les concepts de base, comme l'offre et la demande. Le lendemain, ils ont décortiqué les états financiers de Stella-Jones pour comprendre les réalités qui se cachent derrière les chiffres.

Depuis leur formation, Jean-Pierre Lapierre et Mario Schmidt consultent de temps en temps quelques sites pour connaître les résultats financiers de leur employeur et pour vérifier le cours de l'action.

Puis, le vice-président et chef des finances de Stella-Jones, George T. Labelle, est venu répondre à leurs questions. "Pour comprendre les préoccupations de nos employés, nous devons être accessibles, dit George T. Labelle. Lors de ces formations, les employés nous posent toutes sortes de questions sur les marchés, l'approvisionnement, les fluctuations du dollar, les coûts liés au pétrole et les stratégies d'avenir." Il sort la liste de ces premières questions - qu'il a toujours conservée -, et ajoute : "Ce sont presque les mêmes questions que celles que nos analystes financiers nous posent".

Un coup d'oeil à cette liste en dit long sur les préoccupations des travailleurs de Stella-Jones et sur celles des travailleurs québécois en général. "Prévoyez-vous acheter d'au-tres entreprises ? Les nouvelles usines sont-ellesrentables ?Comptez-vous moderniser les équipements ? Favoriserez-vous les usines des États-Unis plutôt que celles du Canada ?" Le vice-président et chef des finances a répondu à chacune d'entre elles. Si toutes les questions sont permises, il y a toutefois certaines règles à respecter. Cette rencontre n'est pas une occasion de faire le point sur les relations de travail. "Cette formation ne sert pas à régler des comptes, précise Jean Sylvestre, du Fonds de solidarité FTQ. Si les employeurs acceptent d'ouvrir leurs livres, c'est justement pour faire preuve de transparence", poursuit-il, reconnaissant que certaines entreprises privées demeurent toujours un peu méfiantes, contrairement aux sociétés publiques cotées en Bourse.

La formation du Fonds de solidarité FTQ a quand même le mérite de faciliter le dialogue entre les dirigeants et les employés. "Avant, nous disions qu'il y avait deux livres sur la table. Un pour les actionnaires, et un pour les syndiqués, lance le président de la FTQ, Michel Arsenault. Quand le Fonds a convaincu les entreprises d'ouvrir leurs états de compte, les employés ont été plus indulgents et leur ont laissé une chance." C'est aussi une question de crédibilité. "Les employés se sentent plus en confiance parce que ce sont des employés du Fonds qui leur expliquent les résultats financiers, et non le comptable de l'entreprise", ajoute le président du Fonds de solidarité FTQ, Yvon Bolduc.

À Rivière-du-Loup, le vice-président principal aux Ressources humaines chez Premier Tech, Germain Ouellet, dit que cette formation a amélioré le climat de travail. Spécialisée dans l'exploitation de la tourbe de mousse, cette entreprise a été la première du Québec à se prêter à ce jeu, au début des années 1990. Le Fonds venait alors d'investir une dizaine de millions de dollars pour l'aider à prendre le virage technologique. "Au début, ce n'était pas facile de dévoiler nos résultats financiers à nos employés et d'expliquer les décisions à venir", avoue le vice-président. À l'époque, pour survivre, Premier Tech devait à tout prix moderniser ses équipements, développer de nouveaux produits et revoir son effectif. "Cette formation a permis à nos employés de mieux comprendre les changements technologiques qui s'imposaient à notre entreprise. Nous leur avons expliqué que parfois, il vaut mieux abolir des postes pour rester concurrentiel que fermer nos portes définitivement", ajoute Germain Ouellet.

Cette formation donne l'heure juste aux employés. En période de prospérité ou de crise, les travailleurs sont plus en mesure de faire la part des choses. "Les entreprises doivent profiter de l'intelligence de leurs travailleurs, rappelle Michel Arsenault, de la FTQ. Ils sont sur le terrain et connaissent les problèmes. Ils ont peut-être des solutions à suggérer pour améliorer la productivité et la rentabilité de l'entreprise." Tout cela paraît bien logique, mais pour un dirigeant, ce n'est pas facile d'expliquer ses pertes à des employés qui ne s'intéressent qu'à une chose : perdront-ils leur emploi ? En fait, les entreprises craignent de dire la vérité de peur que leurs employés ne partent travailler chez un concurrent. "Cette crainte est particulièrement forte dans le secteur de la construction, confirme Jean Sylvestre, du Fonds de solidarité FTQ. Les dirigeants ont peur que leurs anciens employés ne révèlent les secrets de leur entreprise", dit-il.

L'ancien président du syndicat chez Premier Tech, Yves Guérette, croit tout de même que les mentalités changent... tranquillement. Comprendre la gestion d'une entreprise ne se fait pas du jour au lendemain, et c'est d'autant plus difficile dans le secteur manufacturier. "Pendant de nombreuses années, tout ce qui comptait pour la majorité des travailleurs d'usine, c'était d'avoir un meilleur salaire, admet-il. Nous n'avions aucune vision à long terme et nous ne comprenions rien à l'économie." Sans compter que la plupart des travailleurs n'avaient pas terminé leur secondaire. "Il faut laisser aux travailleurs le temps d'assimiler les changements et de s'adapter aux nouvelles réalités du monde du travail. Il m'a fallu au moins quatre ans de formation pour mieux comprendre les concepts économiques et pour me sentir assez à l'aise pour discuter avec des dirigeants", poursuit Yves Guérette, qui a commencé sa carrière comme conducteur de chariot, avant de faire le saut dans le monde syndical. Il occupe maintenant le poste de président de la Fraternité nationale des forestiers et travailleurs d'usines, section locale 299-SCEP.

Le parcours professionnel d'Yves Guérette fait exception à la règle. La formation économique offerte par le Fonds de solidarité FTQ ne vise pas à convertir des travailleurs d'usine en économistes. "Compte tenu de tous les bouleversements que connaît le monde des affaires, nous croyons qu'il faut transformer la méfiance en con-fiance en misant sur la transparence, note le président du Fonds, Yvon Bolduc. Et pour nous, la transparence passe par la formation." Tant chez Stella-Stones que chez Premier Tech, des centaines d'employés maîtrisent désormais les notions économiques de base. Jean-Pierre Lapierre et Mario Schmidt se surprennent eux-mêmes à consulter de temps en temps quelques sites Internet pour connaître les résultats financiers de leur entreprise et pour vérifier le prix de l'action de Stella-Jones. De plus, en tant que membres de l'exécutif syndical, ils reconnaissent que cette initiation à l'économie leur a été d'une grande utilité et qu'elle offre plus d'avantages que prévu. "Au moment de négocier le renouvellement de notre convention collective, nos patrons ne peuvent plus nous dire qu'ils ne font pas d'argent", lancent les deux mécaniciens en riant.

melanloisel@sympatico.ca

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