Clay Shirky : Internet nous rend plus généreux

Publié le 15/09/2010 à 11:00, mis à jour le 15/09/2010 à 11:13

Clay Shirky : Internet nous rend plus généreux

Publié le 15/09/2010 à 11:00, mis à jour le 15/09/2010 à 11:13

Par Diane Bérard

L'auteur, consultant et professeur Clay Shirky. Photo : James Duncan Davidson

L'auteur, consultant et professeur qui a le don de la formule choc s'intéresse à l'impact social d'Internet sur les entreprises et sur la société.

Les institutions vont tout tenter pour préserver le problème dont elles sont la solution. Cette affirmation de l'Américain Clay Shirky est connue sous l'appellation du " principe de Shirky " (Shirky Principle). Il en fait son pain et son beurre depuis 1996, année où il a commencé à se pencher sur l'impact social d'Internet.

Depuis, il a publié plusieurs livres dont les plus célèbres sont Here Comes Everybody: The Power of Organizing Without Organizations et Cognitive Surplus: Creativity and Generosity in a Connected Age. On peut aussi le lire régulièrement dans les pages du New York Times, de la Harvard Business Review et de Wired. Qualifié de naïf par certains qui décrient ses lunettes roses lorsqu'il est question du pouvoir et des réalisations d'Internet, Clay Shirky est néanmoins l'une des voix les plus fortes de la réflexion à propos du Web. Trois fois conférencier au prestigieux réseau TED (www.ted.com), il travaille aussi comme consultant auprès de plusieurs entreprises. Nous l'avons joint à sa résidence de New York.

Diane Bérard - On vous a taxé de techno-idéaliste, est-ce le cas ?

Clay Shirky - Je pourrais être d'accord avec cette affirmation à la condition de la nuancer : je suis un socio-techno-idéaliste. Ce n'est pas la technologie qui est source de changement positif, ce sont les êtres humains. La technologie nous donne simplement les moyens d'exprimer ce qu'il y a de meilleur en nous. Peu importe ce qu'en pensent ses détracteurs, je suis convaincu que la technologie, et Internet en particulier, nous apportent plus d'éléments positifs que négatifs.

D.B. - La victoire d'Internet serait de nous avoir transformé en producteurs de contenu plutôt qu'en simples consommateurs. Toutes ces vidéos tournées sur les bébés sont-elles vraiment une évolution ?

C.S. - Tourner et partager une vidéo des prouesses de votre enfant sera toujours mieux que regarder une autre heure de télé. Le plus grand fossé se trouve entre ne rien faire et faire quelque chose. À partir de l'instant où vous produisez du contenu, vous pouvez produire du meilleur contenu. Serait-il souhaitable que tous ceux qui téléchargent des photos de leur chat se consacrent plutôt à l'édition de pages Wikipédia ? Probablement. Mais peut-être le font-ils aussi.

D.B. - Quelle est la plus importante contribution d'Internet à la société ?

C.S. - Internet a réduit considérablement les coûts associés à la formation de groupes. Vous pouvez, sans qu'il vous en coûte un sou, trouver et rassembler des gens qui ont les mêmes intérêts que vous, partout dans le monde. Ensemble, vous pouvez partager vos connaissances respectives ou réaliser un objectif qui vous tient à coeur. Pensez à tous ces projets qui n'ont jamais vu le jour parce que l'infrastructure et la logistique requises étaient trop lourdes et trop onéreuses. Par exemple, quelqu'un qui lance une campagne caritative aujourd'hui n'a plus besoin de bureaux, d'employés et de lignes téléphoniques, etc. Un site Web ou un groupe sur un réseau social suffisent.

D.B. - On parle toujours de la contribution d'Internet à la société, mais moins de son apport au monde des affaires. Qu'en est-il ?

C.S. - Internet permet aux entreprises de créer davantage de valeur en combinant l'information interne qu'elle possède déjà avec celle qu'elle pige désormais à l'extérieur.

D.B.- Que se passe-t-il avec les promesses non tenues d'Internet ?

C.S. - J'attends toujours la création d'une véritable société civile en ligne, issue d'un dialogue entre les dirigeants et les citoyens. Le meilleur exemple est le cas Obama. Le président des États-Unis s'est habilement servi des médias sociaux pendant sa campagne électorale. Mais, depuis son élection, rien. Les médias sociaux lui ont servi à se faire élire, dommage qu'il ne les utilise pas pour changer les choses, avec l'aide de ses citoyens.

D.B. - En 2008, vous avez publié The Power of Organizing Without Organizations, où il est question des avantages des organisations virtuelles. Les entreprises " réelles " ne disparaîtront pas demain matin, peuvent-elles tout de même appliquer vos idées ?

C.S. - Bien sûr, même les organisations peuvent organiser sans organisation. Et cela passe, entre autres, par leurs clients. D'un côté, vous avez les organisations dinosaures qui croient que les clients ne servent qu'à leur rapporter de l'argent. De l'autre, vous avez celles qui ont compris que la clientèle est une source inexploitée de création de valeur ajoutée. Amazon, par exemple, sait que ses clients peuvent l'aider à vendre plus de marchandise. Sur son site, elle leur permet de se manifester, de façon spontanée, et d'échanger entre eux des commentaires sur la marchandise en question. Évidemment, ce modèle de collaboration fluide a ses limites. Pour qu'un tel réseau naisse, vous devez offrir un produit ou un service sur lequel vos clients ont envie d'échanger. Je n'imagine pas une conversation sur Internet sur du dentifrice.

D.B. - Une entreprise peut-elle appliquer vos principes de collaboration fluide avec d'autres groupes que ses clients ?

C.S. - Avec ses employés. Il n'est pas nécessaire, ni pertinent, que le personnel collabore toujours de façon organisée. Best Buy, par exemple, mise sur l'approche déstructurée pour le perfectionnement de ses vendeurs. Elle met à leur disposition des outils de collaboration en ligne et les laisse échanger.

D.B. - Vous êtes consultant à vos heures. Pour quel type de mandats les entreprises font-elles appel à vos services ?

C.S. - Elles souhaitent que je les aide à implanter des outils de collaboration pour amorcer un dialogue avec l'extérieur. Par exemple, elles ont entendu parler de consultation des foules (crowdsourcing) et désirent implanter ce concept chez elles.

D.B. - Quels sont les mandats que les entreprises ne vous confient pas et qu'elles devraient vous confier ?

C.S. - La plupart des pdg auxquels je parle considèrent Internet comme un autre outil pour augmenter les ventes de leur entreprise. Ils ne réalisent pas que pour en profiter, ils doivent changer leur façon de penser et de faire. Internet a un impact social sur les organisations. On ne peut pas, d'un côté, demander l'opinion des internautes sur un produit qu'on développe et, de l'autre, continuer à fonctionner comme avant. Je ne sais pas si ces pdg ignorent qu'il faut changer ou s'ils ne veulent pas le savoir parce que ça les insécurise.

D.B. - De nombreux citoyens utilisent le Web pour dénoncer ce qui leur déplaît chez les gouvernements. Leurs voix sont parfois très puissantes. On ne sent pas le même rapport de force entre les consommateurs et les entreprises. Qu'en pensez-vous ?

C.S. - Je suis d'accord. La révolution du consommateur-internaute est à venir. Cela a été plus facile dans le cas du citoyen parce qu'il n'y a qu'un gouvernement vers lequel diriger son action alors qu'il y a des milliers d'entreprises.

D.B. - Cette année, vous avez publié Cognitive Surplus, qui parle de créativité et de générosité. Votre thèse : il y a, dans le monde, un billion d'heures disponibles pour des actes de partage, il suffit de les utiliser. D'où vient ce chiffre ?

C.S. - Ce que j'appelle le " surplus cognitif " est la combinaison du temps libre à notre disposition et de l'occasion qu'Internet nous donne de l'utiliser pour nous connecter et poser des gestes qui ont un impact important. J'évalue ce surplus cognitif à 1 billion d'heures en combinant la moyenne du temps d'écoute de la télévision et le nombre d'individus dans le monde.

D.B. - Qu'est-ce qui vous porte à croire que nous allons délaisser notre écran de télévision pour partager sur Internet ?

C.S. - Ce n'est pas une hypothèse, c'est la réalité. Regardez Wikipédia, regardez tous les groupes de soutien qui se multiplient chaque jour sur les réseaux sociaux comme Facebook. Internet nous fait découvrir que notre désir d'être gentils les uns avec les autres est plus important que ce qu'on croyait. Il suffisait de réduire les " coûts " du partage et de la générosité. Désormais, nous en avons le désir et les moyens.

D.B. - Quelle est la prochaine étape ? À quoi servira Internet ?

C.S. - Internet servira toujours à partager, mais de façon plus permanente. Les groupes formés par les internautes ont la vie courte, ils vont et viennent, les initiatives aussi. Nous assistons à des poussées de générosité qui disparaissent aussi vite qu'elles sont apparues. Cette phase d'expérimentation à tous vents va céder sa place à des structures plus permanentes. Un des précurseurs de cette tendance est le site Ushahidi (www.ushahidi.com) créé en 2008 dans la foulée de la violence postélectorale au Kenya. Ce qui fut au départ un lieu de partage et de centralisation d'information sur la crise kényane est aujourd'hui au service de toutes les crises qui ont besoin d'une voix.

D.B. - Vous avez déjà dit qu'Internet bouleverse les rôles et la séquence des relations d'affaires. Donnez-nous un exemple concret.

C.S. - Prenons le cas de Zero Prestige, un site créé pour échanger des dessins 3D de planches de kite surfing. À force de circuler sur le Web, ces dessins ont été repérés par un manufacturier chinois. Celui-ci s'est empressé d'écrire à Zero Prestige pour les informer qu'il avait la technologie et les connaissances requises pour fabriquer ces planches. Ce qui a été fait. Voilà un exemple de relation inversée : c'est le manufacturier qui part en quête d'un design à produire, et non le designer qui cherche un fabricant.

D.B. - Sur quoi portera votre prochain livre ?

C.S. - Je ne sais pas encore. Mais, pour l'instant, je m'intéresse à l'avenir du journalisme " civique ". Il faut trouver un modèle d'entreprise pour préserver ce type de journalisme. Raconter ce qui se passe à la mairie et au parlement de manière objective et transparente est essentiel. C'est une question d'imputabilité.

D.B. - Un mot sur le iPad: va-t-il sauver les journaux... et mon emploi ?

C.S. - Non. Le iPad n'est que de la quincaillerie. L'industrie des journaux n'a pas compris, ou ne veut pas comprendre, que c'est la sociologie des nouvelles qui a changé. La relation entre les consommateurs et les nouvelles n'est plus la même. Votre éditeur et tous ses homologues feraient mieux de se pencher sur ce virage plutôt que de s'accrocher à la technologie. Je l'ai dit au début de l'entrevue, les humains sont source de changement, pas la technologie.

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