Un plaidoyer pour le " gestionnaire ordinaire "

Publié le 17/11/2009 à 00:00

Un plaidoyer pour le " gestionnaire ordinaire "

Publié le 17/11/2009 à 00:00

Par Suzanne Dansereau

Henry Mintzberg continue de bousculer les idées reçues. Photo: Gilles Delisle

Avec son dernier livre, Managing, le grand théoricien canadien, Henry Mintzberg, continue de bousculer les idées reçues.

Le titulaire de la Chaire Cleghorn à la Faculté de gestion de l'Université McGill et penseur internationalement reconnu, a la réputation d'être un trouble-fête.

Son plus récent livre, Managing, ne lui fera pas perdre sa réputation ! Selon lui, ce que les grandes entreprises ont le plus besoin après la crise que nous avons traversée, ce n'est pas d'un pdg flamboyant, détaché de la réalité, qui pond des stratégies sans aller voir ce qui se passe sur le plancher des vaches. La solution ? De bons gestionnaires qui savent ce qui se passe sur le terrain, et qui ont à coeur l'entreprise pour laquelle ils travaillent ainsi que le bien-être de leurs collègues.

Il y a 36 ans, Henry Mintzberg s'est fait connaître en publiant The Nature of Managerial Work, résultat d'une étude empirique sur le quotidien de cinq patrons. Cette fois, avec Managing, il récidive avec un échantillon de 29 gestionnaires issus de divers domaines (public et privé) et de plusieurs échelons dans la hiérarchie d'entreprise (du cadre intermédiaire au pdg).

Nous avons rencontré l'éternel fauteur de troubles dans son modeste bureau de l'Université McGill.

Les Affaires - Pourquoi pensez-vous que nous accordons trop d'importance aux recettes de leadership ?

Henry Mintzberg - On dirait que moins il y a de leadership, plus nous cherchons des héros. Pourtant, le succès d'une entreprise est avant tout celui de bonnes équipes, formées de gestionnaires qui savent gérer. Je crois que ce culte du leader héroïque est un peu la faute des médias. La gestion, ce n'est pas sexy. Le gestionnaire fait seulement fonctionner l'entreprise. C'est moins vendeur que de parler des dernières frasques de Donald Trump.

LA - Vous dites qu'on a séparé les deux notions, leadership et gestion. À tort, selon vous ?

H.M. - Elles ne devraient pas l'être. Un gestionnaire doit avoir du leadership, sinon on ne le suivra pas. Mais un leader qui n'est pas un bon gestionnaire ne sait pas ce qui se passe. Or, trop souvent on a placé des " non-gestionnaires " à des postes de leadership. On s'est retrouvé avec des narcissiques débranchés de la réalité. Prenez l'expression top management : elle est stupide ! Le pdg d'une entreprise ne devrait pas être en haut de l'entreprise, il devrait se trouver au centre ! Si je siégeais à un conseil d'administration et que je devais nommer un pdg, j'éliminerais d'entrée de jeu les candidats dont le premier critère est la rémunération et les bonis qu'ils souhaitent recevoir. Ce ne sont pas des joueurs d'équipe, ils ne pensent qu'à eux et non à l'entreprise. Nous en avons nommé beaucoup aux États-Unis et en Grande-Bretagne, mais moins au Canada.

LA - Est-ce pour cela que vous affirmez que la crise financière est une crise de gestion ?

H.M. - Comment expliquer autrement que des dirigeants de banques aient laissé acheter tant de produits aussi mauvais que les subprimes ? Ils ne savaient pas ce qui se passait ! Ils ne pensaient qu'à maximiser leurs bonis. Les cadres intermédiaires, eux, ne pensaient qu'à protéger leurs arrières.

LA - Faut-il s'attaquer aux régimes de bonis ?

H.M. - Les bonis ne devraient pas exister. On n'a pas encore trouvé la bonne façon de les attribuer. On parle de les éliminer à court terme, mais ils sont mauvais même à long terme, car on ne sait pas si le boni que vous récolterez sera le résultat d'une décision prise avant vous. Les bonis ne sont pas justes : ils envoient un signal qu'il y a deux classes d'employés dans une entreprise, ceux qui y ont droit et les autres.

LA - Vous avancez aussi que la planification stratégique est un oxymore. Pourquoi ?

H.M. - La théorie en vogue veut que la stratégie s'élabore à partir d'analyse. Or, la stratégie ne relève pas de l'analyse, elle relève de la synthèse. On n'élabore pas une stratégie d'entreprise comme Moïse descendant de la montagne avec les dix commandements. La stratégie est apprise sur le terrain par les gestionnaires d'expérience capables de voir la forêt plutôt que les arbres. Elle peut prendre forme sans être formulée, et elle émerge à la suite de nombreux efforts d'apprentissage informels plutôt que d'être créée à partir d'un processus formel. Ikea est devenue ce qu'elle est lorsqu'un employé a voulu apporter chez lui un meuble en le mettant dans son auto. Il a été obligé de le démonter et s'est dit : pourquoi ne vendrions-nous pas nos meubles démontés ? Pour moi, la stratégie se rapproche de l'artisanat plus que de la science. La science vient plus tard, dans l'analyse des données. Mais ces données ne forment pas la stratégie, elles permettent d'en programmer les conséquences.

LA - Selon vous, les écoles ne devraient pas enseigner la gestion à ceux qui ne sont pas dans des postes de gestion. À quoi servent-elles, alors ?

H.M. - Le marketing, la comptabilité, les finances, ça s'enseigne. Mais on ne devient pas un bon gestionnaire en s'asseyant sur des bancs d'école. On l'apprend sur le tas, en commençant par gérer de petites choses et en prenant de l'expérience. Une fois qu'on est en poste, on peut alors suivre une formation.

LA - Qu'est-ce que vos patrons de l'Université McGill pensent de ce que vous dites ?

H.M. - Tout ce qu'ils me demandent, c'est de les prévenir avant la parution de mes livres ! Mais sachez que c'est à McGill que nous avons monté des programmes de MBA pour cadres en exercice. Ces programmes s'adressent uniquement aux gestionnaires.

LA - Que pensez-vous de votre réputation de provocateur ?

H.M. - C'est le rôle des universitaires de provoquer les débats. Dans toute ma carrière, ce sont mes commentaires les plus choquants qui se sont avérés justes.

À la une

Compétitivité: Biden pourrait aider nos entreprises

26/04/2024 | François Normand

ANALYSE. S'il est réélu, Biden veut porter le taux d'impôt des sociétés de 21 à 28%, alors qu'il est de 15% au Canada.

Et si les Américains changeaient d’avis?

26/04/2024 | John Plassard

EXPERT INVITÉ. Environ 4 électeurs sur 10 âgés de 18 à 34 ans déclarent qu’ils pourraient changer leur vote.

L’inflation rebondit en mars aux États-Unis

Mis à jour le 26/04/2024 | AFP

L’inflation est repartie à la hausse en mars aux États-Unis, à 2,7% sur un an contre 2,5% en février.