Succéder à une grosse pointure

Publié le 01/05/2009 à 00:00

Succéder à une grosse pointure

Publié le 01/05/2009 à 00:00

Prendre la relève de quelqu'un qui est à la fois compétent, mobilisateur et apprécié représente tout un défi ! La solution : reconnaître les compétences de cet illustre prédécesseur, mais... rester soi-même.

Steven Guilbeault a côtoyé de nombreux chefs d'État. Il a participé à d'innombrables rencontres internationales. On ne dénombre plus les interventions télévisées de l'ancien directeur général de Greenpeace Québec, parmi lesquelles on compte un passage à l'émission Tout le monde en parle, qui at-tire chaque semaine un million de télé-spectateurs. Sans compter sa chronique dans le quotidien Métro. À moins de sortir d'un long coma ou d'être un nouvel arrivant, impossible de ne pas reconnaître ce barbu familier.

Savez-vous qui est Éric Darier ? Si vous ne frayez pas avec les écologistes, il y a de fortes chances que vous l'ignoriez. C'est lui qui a pris la relève de Steven Guilbeault chez Greenpeace, en juillet 2008. Éric Darier ne doute pas de ses propres compétences pour occuper ce poste. Et pourtant. " Je sens le poids des responsabilités peser sur mes épaules ", avoue cet environnementaliste, qui dirigeait jusqu'alors la campagne anti-OGM de Greenpeace Québec.

C'est vrai, personne n'est irremplaçable. Toutefois, certaines personnes acquièrent parfois cette réputation. Parmi elles, on trouve celles qui ont fait connaître une entreprise ou un organisme ou qui lui ont permis d'obtenir une réussite sans précédent. Pensons seulement à Steve Jobs, chez Apple, ou plus près de nous, à Isabelle Hudon, l'ancienne présidente de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Il y a aussi ces cadres qui sont étroitement liés à l'essor fulgurant de leur service et ces bons patrons fondateurs de PME, paternels à souhait, que leurs employés " aiment " au point de leur faire cadeau de leurs heures supplémentaires.

Rester soi-même

Heureusement pour ceux qui succèdent à de telles vedettes, il existe des stratégies pour s'imposer, gérer les attentes et faire sa place. L'erreur majeure à ne pas commettre lorsqu'on succède à un gestionnaire aussi apprécié que compétent : l'imiter ! " Chaque personne est unique, dit Marcel Gemme, coach certifié et cofondateur de Coach Option. Ne vous définissez pas comme "le successeur de" : découvrez plutôt l'organisation avec vos propres yeux. " Le Québec a eu plusieurs excellents premiers ministres, et ils n'étaient pas tous pareils, rappelle-t-il.

En effet, les organisations et les temps changent, ce qui exige des talents et des types de leadership différents. La cons-cience environnementale des Québécois, par exemple, s'est fortement développée au cours des 10 dernières années. Résultat, pendant le règne de Steven Guilbeault, Greenpeace Québec a gagné 30 000 membres et six employés. Accaparé par les médias et par ses voyages, le directeur général a toutefois manqué de temps pour coordonner cette association en pleine croissance. Éric Darier, lui, a bien l'intention de s'y mettre. Justement, " la coordination est un de mes talents ", dit cet homme à l'accent européen.

Ces changements inévitables ne plaisent pas toujours aux employés. S'ils sont en-core sous le charme de votre charismatique prédécesseur, vos employés montreront probablement peu d'enthousiasme face à vos idées de renouveau.

Prenez les Emballages Jean Cartier (EMBJC). Cette PME de Saint-Césaire a été fondée il y a près de 30 ans par Jean Cartier, puis rachetée par des membres de sa famille en 2006. Leur style de direction est apprécié. D'abord, comme le conseillent tous les livres de gestion, ils communiquent régulièrement avec les travailleurs. " Ils nous présentent les résultats des ventes chaque trimestre et, en janvier, ils établissent un plan d'action pour chacun des services ", dit Line Ostiguy, coordonnatrice, qui entame sa 21e année dans cette entreprise.

Cette PME honore les employés qui ont 5, 10, 15 ou 20 ans de service. " La fille de Jean Cartier recueille des anecdotes sur eux et en fait un film qu'elle présente lors d'un 5 à 7 ", raconte Serge Martin, chef régional des ventes, qui compte lui aussi plus de 20 ans d'ancienneté dans l'entreprise.

C'est dans cette famille tissée serrée qu'est arrivé Charles Roberge au printemps 2008, en tant que directeur général. On s'en doute : les quelque cent employés n'ont pas tous été immédiatement charmés par son nouveau style de gestion. " Nous voulions garder l'esprit ouvert, mais il y a quand même eu une certaine résistance à ses idées, se rappelle David Cartier, copropriétaire de la PME. Cela a pris quelques mois pour que tout le monde s'adapte. "

Pour redonner à EMBJC son rythme de croissance d'antan, Charles Roberge proposait de développer le marché ontarien. Or, l'expérience avait déjà été tentée, sans succès. Son plan a donc suscité du scepticisme. Pourtant, Charles Roberge présentait quelque chose de nouveau : alors que les Cartier avaient tenté de pénétrer le marché de l'Ontario par Ottawa, le nouveau patron sug-gérait de passer par ses gros clients qué-bécois qui avaient des usines dans la province voisine. Résultat : moins d'un an après son entrée en fonction, EMBJC y a ouvert des bureaux !

Période d'immersion

Charles Roberge n'a pas chamboulé les façons de faire d'Emballages Jean Cartier le jour de son arrivée. En fait, " j'ai passé les trois premiers mois à m'efforcer de comprendre cette entreprise et de m'insérer dans l'équipe ", dit-il. Avant de procéder à des changements, transformez-vous en éponge pendant quelques mois : étudiez les rapports financiers et annuels de la société ou de la division, et demandez l'avis des employés, des clients et des fournisseurs sur ses forces et ses faiblesses, et sur les défis qui l'attendent. Examinez bien les enjeux. En plus de déchiffrer le fonctionnement de l'organisation, " appropriez-vous sa culture, sachez reconnaître les jeux de pouvoir et les leaders d'opinion ", ajoute Louise Cadieux, professeure au Département des sciences de la gestion à l'Université du Québec à Trois-Rivières.

Cette immersion a pour objectif de développer votre vision. Autrement dit, " déterminez où vous voulez mener cette organisation et les étapes pour y parvenir ", dit Marcel Gemme. Pour tester certaines hypothèses, lancez des rumeurs et mesurez la réaction des employés, ajoute-t-il. " Au cours des premiers mois, j'ai discuté de mes idées de façon informelle avec les trois propriétaires. Je voulais à la fois les garder informés et tester la pertinence de mes réflexions ", dit Charles Roberge.

S'assurer de petites victoires

Vous devez évaluer le lieu de travail dont vous avez dorénavant la charge et développer votre vision, mais cela ne suffit pas. " Imposez aussi le "désormais", dit Michel Nadeau, directeur général de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques. En posant de petits gestes d'une grande portée symbolique, montrez que, désormais, vous avez les affaires en main. " Autrement dit, accomplissez quelques actions pour lesquelles il est évident que vous gagnerez. Par exemple, exigez que les réunions commencent à l'heure ou faites le petit achat que tout le monde attendait. Le jour de son arrivée en poste, " le président américain Barack Obama a annoncé qu'il fermerait la prison de Guantanamo dans un an. Cela a envoyé un message fort, tout en ne changeant rien de concret ", illustre Marcel Gemme.

Jean-Pierre Vasseur a apporté de petits changements de ce genre lorsqu'il a pris la relève de Luc Beauregard à la présidence et à la direction de Res Publica, en janvier 2009. Il avait alors toute une paire de souliers à chausser ! En effet, Luc Beauregard a fondé la firme de relations publiques National - maintenant intégrée au holding Res Publi-ca -, et celle-ci est devenue la plus importante entreprise canadienne de son secteur.

Jean-Pierre Vasseur a modifié l'organisation des réunions mensuelles entre le bureau de Montréal et ceux qui se trouvent ailleurs au Canada et dans le monde. Il a apporté des changements archi simples. " À présent, toutes nos rencontres ont lieu le même jour, et tout le monde y est convoqué par Outlook plutôt que par simple courriel. C'est beaucoup plus efficace ! " explique le nouveau président et chef de la direction.

Des changements nécessaires

Apporter des changements est d'autant plus important lorsque le successeur hérite d'une organisation mal en point. C'est possible, même dans une entreprise qui a une personne " irremplaçable " à sa tête. C'est ce qui est arrivé à Robert Boivin : nommé directeur général de la Cinémathèque québécoise en 2002, il découvre que l'institution traîne une dette de 500 000 dollars. Son prédécesseur, Robert Daudelin, était un cinéphile très respecté qui avait dirigé la Cinémathèque pendant 30 ans et dont le travail de pionnier avait été couronné par le Prix du Québec Albert-Tessier ! Robert Boivin, lui, a démissionné de ce poste alors qu'il était fortement critiqué deux ans après sa nomination. " Pourtant, ce n'est pas lui qui avait pas créé cette dette : il en avait seulement révélé l'existence ", rappelle Yolande Racine, l'actuelle directrice générale de l'organisme.

Tout en soulignant la richesse de l'héri-tage laissé par Robert Daudelin, Yolande Racine estime que les méthodes de travail de la Cinémathèque avaient besoin d'être rafraîchies. " L'organisme fonctionnait de manière trop informelle. Cela convenait lorsqu'il n'y avait que quelques employés, mais ce n'était plus approprié pour une institution qui compte une quarantaine d'employés ", explique-t-elle. L'ancienne conservatrice de l'art contemporain au Musée des beaux-arts de Montréal a donc proposé un plan stratégique au conseil d'administration, puis elle a mis à contribution l'ensemble du personnel pour rédiger le plan d'action qui en découlait. Enfin, elle a supprimé la dette. " Je savais mieux que Robert Boivin ce qui m'attendait quand j'ai accepté ce poste ", dit-elle simplement pour expliquer sa réussite. En bref, elle a su s'imposer, sans pour autant imiter son illustre prédécesseur.

INTERNE OU EXTERNE

Vaut-il mieux choisir un successeur au sein de l'entreprise ou en prendre un de l'extérieur ? Un dauphin de l'interne s'adaptera plus facilement, car il connaît la culture de l'organisation. Par contre, si l'on souhaite effectuer des changements importants, il sera préférable de choisir un candidat de l'extérieur.

Michael Watkins, Les 90 jours pour réussir sa prise de poste, Paris, Village Mondial, 2006, 239 p.

aplus@transcontinental.ca

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