C'est le rêve de bien des dirigeants : voir des vedettes louanger leur entreprise aux heures de grande écoute à la télévision. C'est ce qui est arrivé récemment à Loto-Québec : au Téléjournal de Radio-Canada, des artistes comme Michel Tremblay et Marie Laberge ont félicité la société d'État pour sa collection de tableaux, qui célèbre ses 30 ans cette année.
Dans le cadre des célébrations entourant cet anniversaire, une dizaine de personnalités ont été invitées à participer à une initiative hors de l'ordinaire : chacun a dû choisir des tableaux parmi la Collection Loto-Québec, les assortir d'un commentaire et les disposer dans un espace qui leur était consacré.
Le résultat fait l'objet d'une exposition intitulée " La Collection selon... ", qui commencera le 30 septembre à la galerie du siège social de Loto-Québec, à Montréal.
" Loto-Québec est dépositaire d'un trésor, a lancé l'auteure Marie Laberge lors du reportage diffusé sur les ondes du Téléjournal. Quelle bonne idée d'inviter des personnalités fortes pour inciter les gens à apprécier l'art contemporain québécois ! "
Mais cette remarquable collection remplit aussi une autre fonction, aussi importante et moins connue : elle est aussi devenue un puissant outil de fidélisation des empoloyés de la société d'État.
Une formule unique
Créée en 1979, la Collection Loto-Québec compte maintenant 4 000 oeuvres. Elle figure parmi les plus importantes collections québécoises à l'extérieur des musées et des galeries. Cette initiative n'est pas unique dans le monde des affaires : SNC-Lavalin, Power Corporation et la Banque Nationale ont aussi d'importantes collections. Aux États-Unis, la multinationale Getty a même créé son propre musée.
" La loterie a un problème d'image. Financer les arts permet à Loto-Québec de redorer son blason ", indique François Colbert, titulaire de la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux de HEC Montréal.
Cependant, la formule inventée par Loto-Québec demeure unique en soi. " Au départ, les patrons achetaient des oeuvres pour en faire des cadeaux d'entreprise, se souvient Louis Pelletier, le premier artiste dont Loto-Québec a acheté une oeuvre et qui est devenu le conservateur de la Collection. Puis, un vice-président a eu l'intelligence de dire au président de l'entreprise que ses murs étaient vides ! " poursuit-il.
C'est finalement sous la présidence de David Clark que Loto-Québec a approuvé le programme actuel en vertu duquel 1 % des revenus de la société (4 milliards de dollars l'an dernier) sont consacrés à l'achat de tableaux d'artistes contemporains.
Parmi les critères : identifier la relève et encourager les artistes en région - pas seulement ceux de Montréal, où le marché est le plus actif.
Chaque année, Loto-Québec organise des tournées d'oeuvres dans les musées et galeries à l'extérieur de Montréal, et offre un soutien financier pour les activités entourant ces expositions. Les tableaux sont aussi exposés dans les casinos et les hôtels de la société d'État.
Un outil de mobilisation
La Collection ne sert pas uniquement aux activités de relations publiques, d'engagement communautaire et de marketing touristique.
Dominique Paillard a eu toute une surprise lorsque, après son embauche comme conseillère en informatique chez Loto-Québec, on lui a demandé de choisir une oeuvre d'art qui serait accrochée dans son bureau. " Je me suis sentie importante; jamais je n'avais été traitée comme ça ! " lance-t-elle.
Les employés de Loto-Québec, peu importe leur poste, peuvent choisir les oeuvres qui les entoureront, explique Louis Pelletier. " Un simple commis peut avoir un Riopelle dans son bureau. "
Le tableau Swinging de Hannah Franklin est exposé dans le bureau de Dominique Paillard. La conseillère l'aime tellement qu'elle a insisté pour que cette pièce la suive lorsqu'elle changera prochainement de bureau.
" La Collection de Loto-Québec est indéniablement un outil de fidélisation et de mobilisation du personnel ", dit Francine Brosseau, directrice du développement organisationnel de l'entreprise.
Mme Brosseau fait partie du jury de trois employés qui choisit les oeuvres, avec l'aide du conservateur et d'artistes invités.
" Un tel programme change nécessairement la culture d'entreprise, indique Louis Pelletier. On devient plus sensible à l'art et à son importance dans la société. "
Il reconnaît toutefois que la sensibilité artistique n'est pas donnée à tous. " L'idée, c'est de choisir des oeuvres intelligentes qui ne rebutent pas les non-initiés, explique-t-il. Heureusement, le figuratif revient dans l'art contemporain, et c'est plus facile de faire des compromis. "
En appoint aux musées
Au fil des ans, la Collection a réalisé de très bonnes acquisitions. " Nous avons acheté pour 18 000 $ un Marcelle Ferron qui vaut maintenant 100 000 $ ", dit M. Pelletier.
Loin d'y voir une concurrence indue, tant le Musée d'art contemporain de Montréal que le Musée national des beaux-arts du Québec jugent que, Loto-Québec aide les artistes et contri- bue à la conservation du patrimoine.
" De toute façon, nos budgets d'acquisition sont minimes, dit Esther Trépanier, directrice générale du Musée national des beaux-arts. Tant mieux si Loto-Québec peut soutenir nos artistes. "
En 1998, Loto-Québec a financé l'achat par le Musée national de quelques tableaux de Jean-Paul Riopelle, dont le célèbre Hommage à Rosa Luxembourg, dans le but de prévenir une dévalorisation de l'oeuvre à un moment ou le marché était déprimé.
Le prix de l'acquisition a fait l'objet d'une controverse, mais aujourd'hui, les visi- teurs qui se rendent voir l'Hommage à Rosa ne peuvent rater, écrit en grosses lettres à l'entrée de la galerie, un mot de remerciement à Loto-Québec.
( L'AVIS DE L'EXPERT )
Nom: Jean-Marc Eustache
Titre: Président
Entreprise : Transat A.T.
" Je soutiens le milieu artistique depuis plusieurs années et je vois dans le projet La Collection selon... une belle façon de célébrer à la fois les 30 ans de la Collection Loto-Québec et les créateurs québécois. "
suzanne.dansereau@transcontinental.ca
