Ce n’est pas tant ce qu’on dit que la façon dont on le dit qui compte. Or, il est possible de repérer les meilleurs leaders sur ce plan, rien qu’en quantifiant le charisme dont ils sont dotés.

Harvard Business Review

Au cours d’une réception, les chercheurs Sandy Pentland et Daniel Olguin ont enregistré les signaux sociaux, soit le ton de la voix, les gestes et la proximité avec les autres, émis par différents dirigeants. Cinq jours plus tard, ces mêmes leaders présentaient des plans d’affaires à des juges à l’occasion d’un concours. Sans même avoir écouté leurs exposés, Sandy Pentland a prédit sans se tromper tous les gagnants…

Comment a-t-il fait ? Il a simplement analysé les données recueillies durant la réception. « Ces variables, que nous appelons les “signaux honnêtes”, sont de puissants indicateurs de succès », affirme-t-il. Vraiment ? L’équipe du Harvard Business Review a rencontré le chercheur pour en savoir plus sur cette surprenante découverte.###

Que sont au juste les « signaux honnêtes » ?

Cette expression est tirée de la biologie. Il s’agit de tous les signaux non verbaux que les animaux des espèces sociables utilisent pour interagir — les gestes, l’expression, le ton de la voix, etc. L’être humain a recours à plusieurs types de signes, mais les signaux honnêtes ont ceci de particulier qu’ils provoquent des changements biologiques chez celui qui les reçoit. Si nous passons du temps ensemble et que je suis heureux et joyeux, vous le serez aussi. Quand je suis léger et plein d’entrain, ça déteint sur vous.

Vous avez des appareils qui mesurent ces signaux ?

Oui, ils les mesurent, tout comme la fréquence avec laquelle vous parlez avec les autres, la distance à laquelle vous vous tenez d’eux, ainsi que votre aptitude à les laisser parler à leur tour.

Quel lien établissez-vous entre ces signaux et la réussite ?

Les personnes les plus énergiques sont celles qui réussissent le mieux. Elles s’expriment davantage, tout en se montrant plus à l’écoute. Elles passent plus de temps en personne avec leurs interlocuteurs. Elles captent les signaux des autres, les incitant à se rassembler et à s’ouvrir davantage. Ce n’est pas seulement ce qu’elles projettent qui les rend charismatiques, c’est ce qu’elles réussissent à obtenir des autres. Si bien que, plus vous intégrez de ces personnes énergiques et positives dans une équipe, meilleure sera la performance de cette dernière.

Donc, vous affirmez que l’enthousiasme génère le succès. Nous le savions déjà, non ?

Certes, mais la nouveauté dans nos recherches, c’est qu’il est possible de quantifier une notion aussi intangible que le charisme. On peut donc parler des balbutiements d’une nouvelle science.

Dans quelle mesure cette science est-elle exacte ?

Plus nous effectuons d’expériences, plus elle se précise. Par exemple, nous avons fait une autre étude dans le cadre de négociations salariales, et nous avons prédit à 1 000 dollars près le salaire qui serait proposé à chaque entretien, et ce, sans assister à la moindre discussion.

De même, avec d’autres chercheurs du MIT — Ben Waber, Lynn Wu, Sinan Aral et Erik Brynjolfsson —, nous avons transporté nos appareils dans des centres d’appels pour analyser l’impact de la communication au bureau sur le rendement. Nos résultats ne sont pas définitifs, mais nous croyons pouvoir améliorer le rendement de 10 % sans aucuns frais, rien qu’en modifiant l’environnement de travail afin de favoriser les interactions entre les employés.

Dans une autre expérience, Anmol Madan, David Lazer et moi avons découvert — ou plutôt confirmé, si vous préférez — que l’orientation politique des jeunes dépend beaucoup du groupe dans lequel ils évoluent. Et plus le groupe est grand, plus il renforce l’opinion de chacun. Qui sait si le fait de détenir cette information pourrait influencer la manière de mener des campagnes politiques ou publicitaires ?

Précisons une chose : vos données n’indiquent tout de même pas laquelle, parmi des présentations d’affaires, est la meilleure…

Bien entendu. Car si les signaux honnêtes indiquent qui obtiendra le contrat, ils ne révèlent rien de la qualité des idées exprimées. Après tout, l’être humain est une créature sociable : quand il aperçoit quelqu’un, il cherche, sans le savoir, des signaux honnêtes. Indiquent-ils de l’enthousiasme ? La personne a-t-elle l’air de savoir de quoi elle parle ? Bien entendu, il faut aussi comprendre la substance du message, pour ne pas se laisser submerger par le charisme seul. À long terme, le contenu a sans conteste plus d’impact que le contenant. Cela dit, le charisme a son importance : le fait d’en être dotée permet à une personne d’optimiser sa performance et par conséquent d’augmenter ses chances de réussite.

Quelles sont les prochaines étapes de vos recherches ?

Nous avons étudié des individus et des groupes. Maintenant, nous examinons comment les gens interagissent au sein d’une organisation. La question est la suivante : peut-on observer des signaux honnêtes à grande échelle ? Si nos hypothèses se vérifiaient, nous pourrions contribuer à améliorer l’efficacité d’un groupe entier. Nous croyons pouvoir trouver, par exemple, des moyens de réduire le stress et d’augmenter la satisfaction au travail, et faire en sorte d’améliorer la façon dont les gens travaillent au sein des grandes organisations.

Alex « Sandy » Pentland dirige le laboratoire des dynamiques humaines du MIT. Il est aussi l’auteur de Honest Signals (MIT Press, 2008).