Jeffrey Joerres : talents et stratégie d’affaires sont liés

Publié le 30/09/2010 à 17:49, mis à jour le 14/01/2011 à 11:42

Jeffrey Joerres : talents et stratégie d’affaires sont liés

Publié le 30/09/2010 à 17:49, mis à jour le 14/01/2011 à 11:42

«Ce sont les talents que vous avez pour mettre en application votre stratégie qui définiront votre habileté à réaliser votre stratégie d'affaires», dit Jeffrey Joerres, président du conseil d'administration et PDG de Manpower.

Jeffrey Joerres s'y connaît en matière de ressources humaines. Il chapeaute Manpower, un des leaders mondiaux des services dans le domaine de l'emploi. Fort d'un volume d'affaires de 21 milliards de dollars, cette entreprise est spécialisée dans les domaines du recrutement de personnel permanent et temporaire, l'évaluation des compétences et la formation professionnelle, l'externalisation et le conseil.

Grâce à son réseau de 4000 agences réparties dans 82 pays, Manpower dessert plus de 400 000 clients par an dans toutes les branches d'activité, des petites et moyennes entreprises jusqu'aux grands groupes internationaux.

Jeff Joerres été nommé président-directeur général en 1999, puis président du conseil d'administration en 2001. Depuis qu'il a pris la tête de Manpower, la valeur de l'action a plus que triplé et l'entreprise est passée du 183e au 119e rang du classement Fortune 500.

Jeffrey Joerres a fait partie des conférenciers du 13e Congrès mondial des ressources humaines qui s'est tenu au Palais des Congrès de Montréal, les 27 au 29 septembre dernier. Près de 200 experts internationaux et 2800 participants provenant de 55 pays ont pris part à ce grand rassemblement. Lesaffaires.com s'est entretenue avec cet expert en ressources humaines.

Lesaffaires.com - Quel est votre message aux leaders d'affaires qui vise le succès en cette ère d'incertitudes post-récession?

Jeffrey Joerres - Les entreprises que nous avons observées ont des stratégies d'affaires bien articulées, qui  s'étendent sur trois à cinq ans, ou encore cinq à sept ans. Mais ce qu'elles n'ont pas fait, c'est de franchir l'étape supplémentaire qui consiste à considérer l'écart entre où ils pensent que leur compagnie doit aller et le talent qu'ils ont actuellement pour exécuter cette stratégie future. Sans une analyse disciplinée de cet écart, vous pouvez avoir les meilleures stratégies et travailler dans le sens de cette stratégie, mais ce, sans avoir le talent pour combler cette stratégie. Comme gens d'affaires, nous avons tous déjà entendu qu'une stratégie en vaut une autre, mais que c'est l'exécution qui compte et l'exécution se définira toujours plus dans le sens opérationnel. Ce que nous avançons c'est que l'exécution est vraiment une question de talents. Donc, ce sont les talents que vous avez pour mettre en application votre stratégie qui définiront votre habileté à réaliser votre stratégie d'affaires.

La.com - Un nouveau sondage réalisé par Manpower révèle que près du quart des employeurs provenant de 36 pays sondés ont affirmé que leurs stratégies en matière de main d'oeuvre ne supportent pas leur stratégie d'affaires, ou ne savent pas si tel est le cas. Parmi ceux-ci, un peu plus de la moitié ont admis ne rien faire en ce sens. Pourquoi ces résultats sont-ils alarmants?

JJ - Ce qui se passe c'est que les ressources humaines et les équipes de leadership passent beaucoup de temps sur la stratégie d'affaires, sur comment ils vont opérer leur plan annuel. Ils ont de bons plans annuels d'embauches et de développement. Mais quand vous leur demandez si leur stratégie en matière de main d'œuvre considère où le talent devra être dans trois, cinq ou sept ans, c'est là que vous obtenez un grand manque. C'est là que vous avez entendez ce «Wow! Nous n'avons pas de plan pour cela!» Notre point est que lorsque le talent était moins critique et plus abondant, vous pouviez peut-être vous débrouiller avec un plan annuel de talents, alors que votre stratégie d'affaires portait sur trois ou cinq ans. Mais maintenant, vous n'allez plus être capables de fonctionner ainsi.

La.com - Pourquoi?

JJ - Parce que les talents que les compagnies recherchent sont plus spécifiques. Aussi, le talent est plus global et plus compétitif.

La.com - Vos études relèvent que la plupart des organisations ont une vision à court terme en termes de talents et de stratégies de ressources humaines en général. Diriez-vous que les leaders d'affaires ne sont pas prêts pour l'avenir?

JJ - Les leaders d'affaires ont jusqu'à maintenant été capables de s'en remettre à engager lorsqu'ils avaient besoin de gens. Mais dans le monde d'aujourd'hui, en raison des disparités de talents et aussi en raison des pressions des marges, vous n'allez pas être capables de fonctionner ainsi. Vous en pourrez plus engager 20 personnes parmi lesquelles dix seront productives. Vous devez engager dix personnes qui sont productives maintenant et spécifiquement selon vos besoins.

La.com - Cette vision à court terme est-elle due à la crise économique?

JJ - Je pense que la crise a en effet accentué le phénomène. Par le passé, vous pouviez vous fier à un plan annuel d'embauches de talents pour combler vos exigences d'affaires. Mais nous avançons qu'en raison de la complexité du monde et de la nature changeante du travail, tout comme la nature changeante de ce que les individus veulent retirer de leur vie au travail, si vous ne procédez pas à une analyse de cet écart pour ensuite le combler sur une certaine période, et ce à tous les jours de façon à avancer vers la concrétisation de votre stratégie d'affaires, vous allez manquer de talents appropriés. Cette situation est un peu nouvelle pour les cadres parce qu'avant, ils étaient capables de faire leur stratégie d'affaires, de commencer à l'implanter et de se tourner vers les ressources humaines et leur demander de leur trouver 100 personnes comme ci ou comme cela et carrément, les ressources humaines y arrivaient en grande partie. Maintenant, lorsqu'ils demandent à ce que ces 100 personnes soient trouvées, les ressources humaines leur répondent que ces personnes n'existent pas ou qu'elles existent, mais elles sont en Indonésie.

Cela prend davantage de planification. Tout comme les chefs des finances font des plans sur cinq à dix, nous suggérons que les gens des ressources humaines devraient considérer un plan d'une telle envergure pour les talents.

La.com - Qu'est-ce qu'une bonne stratégie en matière de talents?

JJ - Une bonne stratégie en matière de talents consiste à identifier les écarts entre ce que vous avez et où vous devez aller, à identifier comment vous allez développer vos employés et comment vous allez augmenter le nombre d'employés provenant de l'extérieur. Cette stratégie doit être documentée et mesurée. Donc, connaissez ces écarts et sachez comment vous allez les combler. Et il y a seulement deux façons de combler ces écarts : développez de l'intérieur et embaucher de l'extérieur. C'est toujours un mélange des deux. Mais nous constatons que les compagnies ne sont pas conscientes de ces écarts avant qu'il ne soit trop tard, ce qui fait qu'elles se retrouvent à devoir ralentir leur stratégie d'affaires. Autrement dit, leurs revenus ou leur chiffre d'affaires diminuent ou ralentissent parce qu'elles n'ont pas les compétences pour combler cette stratégie d'affaires.

La.com - Ce serait donc la meilleure façon de combler l'écart entre la stratégie d'affaires et la stratégie en matière de main d'oeuvre?

JJ - Effectivement. Une fois que vous avez identifié ces écarts, la deuxième étape est de faire une analyse ou une évaluation de votre main d'oeuvre actuelle afin de trouver combien ou quelles personnes seront capables de faire le pas vers les nouvelles compétences dont vous avez et aurez besoin.

La.com - Quelle est votre définition d'un leadership efficace?

JJ - C'est vraiment une question de capacité d'apprendre, et d'être humble et emphatique dans ce processus. Être un leader aujourd'hui est plus une question de servir, et non de se faire servir. Donc, je pense qu'un changement est survenu, qui a fait en sorte que vous n'êtes pas au sommet de la soi-disant chaîne alimentaire, en fait vous êtes presque au bas de la chaîne alimentaire.

La.com - Diriez-vous que les attributs des meilleurs leaders sont différents d'un pays à l'autre?

JJ - Il y a différents styles de leadership. Le leadership asiatique est différent du leadership français, qui lui est différent du leadership à l'occidental en général. Par contre, on voit ces styles converger en raison de la globalisation. Donc, un bon leader doit être capable de comprendre les environnements multiculturels afin être capables de diriger dans un environnement multigénérationnel et multiculturel. Avoir l'esprit ouvert et la capacité d'écouter pour ensuite communiquer sont vraiment les principales compétences que les bons leaders devront avoir. 

La.com - Quel serait votre meilleur conseil aux leaders d'affaires?

JJ - Soyez déterminé dans votre leadership et comprenez que la quantité d'apprentissage que vous devez faire deviendra exponentiel. Si vous pouvez vous résigner à apprendre constamment, vous allez toujours être à la pointe du leadership. C'est lorsque vous vous verrouillez dans un style ou dans une façon de faire que cela devient extrêmement dangereux dans le monde actuel. Parce qu'avant, vous pouviez vous cantonner dans un style et le garder pendant dix ans, et c'était en fait tout votre parcours comme leader. Mais maintenant, en raison de la vélocité du changement, si vous souhaitez être dans cette position pendant dix ans, vous êtes mieux d'être un apprenant parce que vous allez devoir changer pendant cette période.

 

 

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