Photo : Rachel Côté

Mitch Joel. Le spécialiste du marketing explique dans son livre comment chaque entrepreneur peut trouver sa voix dans le grand choeur du Web - et pourquoi il doit le faire. Mitch Joel n'y va pas de main morte lorsqu'il qualifie l'époque dans laquelle nous vivons. L'arrivée d'Internet et l'accélération de son expansion ces dernières années ont un impact aussi puissant que la découverte de l'électricité, avance-t-il. La grande toile et ses multiples possibilités bouleversent à jamais notre manière de voir le monde et, par le fait même, notre manière de brasser des affaires, dit-il.

Élaborée dans son livre Six Pixels of Separation, qui est aussi le nom de son blogue, la pensée du président de Twist Image, une firme montréalaise spécialisée dans le marketing numérique, est simple : les six degrés de séparation - la théorie du Hongrois Frigyes Karinthy datant de 1929 selon laquelle toute personne sur le globe peut être reliée à n'importe quelle autre par une chaîne d'au plus cinq autres maillons -, sont dépassées. Aujourd'hui, plus rien ne sépare l'entrepreneur de ses clients potentiels, qu'ils soient ses voisins trifluviens ou des habitants d'Oulan-Bator, la capitale de la Mongolie.

" Nous sommes connectés comme jamais ", dit l'auteur, blogueur et entrepreneur de 38 ans, nommé l'an dernier Canada's Most Influential Male in Social Media et figurant parmi les 100 principaux spécialistes du marketing numérique dans le monde. Ses bureaux du Vieux-Montréal ressemblent à tous ceux qui foisonnent dans ce quartier phare de la nouvelle économie : espace ouvert et lumineux, à la décoration minimaliste et aux planchers de bois franc où peuvent circuler les trottinettes et le chien du bureau.

Mitch Joel est le prototype du gars cool, branché, alerte, à l'affût des tendances, lui qui tient un blogue depuis 2002, une éternité dans l'univers virtuel. Cet ancien journaliste et éditeur de magazine, habitué à charcuter ses textes et à faire des choix déchirants, jouit de la liberté totale que lui offrent les nouveaux médias. " Tout ce qu'on croyait savoir sur les affaires et sur la façon de vendre une marque, des produits ou des services a radicalement changé ", dit-il. Et si tout le monde est désormais connecté, il faut connecter son entreprise à tout le monde.

Il n'est jamais trop tard pour commencer

Pourquoi ce chantre du virtuel a-t-il décidé de publier un bon vieux livre ? Justement pour rejoindre, dit-il, tous les entrepreneurs, professionnels et gens d'affaires qui n'ont pas encore pris la mesure du formidable potentiel du Web, croyant à tort les réseaux sociaux réservés " à de ridicules photos de chatons ou à des vidéos de bagarres au hockey ".

" J'y explique comment mieux se connecter, communiquer, échanger et éventuellement croître grâce aux nouveaux médias de communication. Ces canaux donnent aux gens d'affaires des occasions sans précédent. Le but du livre est de les aider à devenir leur propre canal média et à produire le contenu qui stimulera leur industrie.

" L'ouvrage sonne l'alarme pour les retardataires, ajoute-t-il. Et même si on se sent parfois dépassé par la rapidité à laquelle tout évolue, " il n'est jamais trop tard pour commencer, pour lancer son site, son blogue, pour investir Twitter ".

Les conseils prodigués dans Six Pixels of Separation s'appliquent-ils à tous les entrepreneurs ?

" On peut être une PME qui vend des produits à 1 $ ou une firme multimillionnaire, il n'y a pas de différence. Tous les produits ont une quelconque audience en ligne. " Et toutes les marques, ajoute-t-il, reçoivent un traitement égal sur Internet.

L'expérience de Mitch Joel a nourri sa réflexion : en 2002, lorsqu'il s'est joint aux trois associés qui venaient de fonder Twist Image, la firme comptait un employé. Plus de 90 personnes y travaillent aujourd'hui, les deux tiers à Montréal et l'autre tiers à Toronto. Elle brasse des millions de dollars en offrant une gamme de services qui vont de la stratégie numérique au design en passant par le contenu, la technologie et la programmation analytique. " J'y raconte simplement ce que j'ai moi-même fait. Comme un entrepreneur qui parle à d'autres entrepreneurs, à tous ceux qui veulent s'engager dans ces nouveaux médias ", dont l'évolution reste imprévisible.

" Nous sommes au milieu d'une période semblable à la Renaissance. Or, les gens qui ont vécu à cette époque n'en avaient pas conscience. Nous n'avons pas pris la mesure de tous ces changements. On cherche, on essaie des choses et, à un certain moment, on se dira : Wow, on est vraiment chanceux d'avoir vécu une période aussi excitante !"

SOYEZ CONSTANT

Une fois la stratégie Web mise en oeuvre, il faut demeurer constant, dit Mitch Joel. L'important n'est pas d'inscrire de nouveaux billets dans votre blogue tous les jours ou une fois par mois, mais de le faire toujours à la même fréquence. " C'est la recette des quotidiens, souligne le président de Twist Image : on sait que, chaque matin, on aura un exemplaire à notre porte."

La stratégie de Mitch Joel est invariable : des entrées Twitter au fil de la journée, un billet quotidien dans son blogue et une émission hebdomadaire baladodiffusée.

Ceux qui échouent sur le Web (phénomène qu'il qualifie de " darwinisme numérique ") sont ceux qui, outre leur manque de pertinence, manqueront aussi de constance. Ils perdront rapidement leur audience. " Il est inutile de vous inscrire à trois ou quatre réseaux sociaux si vous ne les entretenez pas, conseille Mitch Joel. Choisissez-en un et investissez-vous pleinement. Rappelez-vous la fable de La Fontaine sur le lièvre et la tortue : le plus lent, mais le plus régulier, a remporté la course. Si vous produisez une émission par semaine, ne changez pas votre rythme continuellement. Cela dit, vous pouvez commencer par une production par mois, puis augmenter la cadence à mesure que votre audience augmente. Votre communauté appréciera votre constance.

" Et il est inutile de trop en faire. " Un de mes amis écrit un billet de blogue par semaine, jamais plus. Mais il est très spécialisé, très riche en information. Et très pertinent."

SOYEZ PERTINENT

Connais-toi toi-même, a dit Socrate. Il en va de même pour l'entrepreneur qui veut lancer une stratégie Web. Avant d'ouvrir un compte Facebook, de lancer un blogue ou de se mettre à Twitter, dit Mitch Joel, commencez par répondre à des questions de base : Quel est mon produit ? Ma marque ? Pourquoi les gens l'achèteraient-ils ? Est-ce que le monde a besoin de ce que je produis ?

" Le hic, poursuit Mitch Joel, c'est que plusieurs entrepreneurs se lancent de tout bord tout côté avant même d'avoir répondu à ces questions. Ils se disent : Je dois être sur Facebook, sur Twitter... Or, il ne faut pas se demander quoi faire, mais pourquoi on le fait."

Le pourquoi, c'est la stratégie, le quoi, c'est la tactique, ajoute-il. " On devient tellement préoccupé par le média lui-même qu'on en oublie la stratégie derrière tout ça."

Cette stratégie diffère d'une entreprise à l'autre. " Facebook n'est peut-être pas le bon endroit pour vous, Twitter sera peut-être plus pertinent, ou vous pourriez produire des vidéos que vous mettrez sur YouTube afin de les faire voir à vos clients, qui eux-mêmes les feront voir à d'autres."

De son côté, Mitch Joel utilise trois principaux canaux pour faire connaître son entreprise : le blogue, le balado et Twitter. " Ce sont ceux qui conviennent à ma stratégie. Mais chacun doit déterminer la sienne. Et il faut des années pour trouver sa voix. "

Par ailleurs, même si le monde entier est à la portée d'un clic, viser le plus vaste auditoire possible n'est pas nécessairement la meilleure stratégie, indique le président de Twist Image. " Nous sommes passés de l'ère des médias de masse à celle de la communauté, de la tribu. Le plus important n'est pas nécessairement combien de personnes se connectent à vous et s'intéressent à votre message, mais lesquelles. "

Le blogue de Mitch Joel, Six Degres of Separation, spécialisé dans le marketing numérique, s'adresse à un public de spécialistes. " Si je compte parmi mes lecteurs 10 ou 15 présidents d'entreprise, des leaders dans leur domaine, qui suivent mon blogue, c'est tout ce dont j'ai besoin pour faire rouler mon entreprise. "

SOYEZ PATIENT

Parce que les contenus circulent rapidement sur le Web, plusieurs entrepreneurs croient que les résultats de leur incursion dans le monde numérique seront instantanés. " Ce n'est pas une aventure d'un soir, explique, par une image, Mitch Joel. On doit être patient. Les entrepreneurs veulent tout : plus de ventes, plus de notoriété, plus de bouche-à-oreille. Et ils veulent que ça se fasse vite. "

Selon l'auteur, cette attitude vient sans doute de la première ruée vers le marketing numérique, au début des années 1990, et de la nature même de la bête, son extrême rapidité. Cela conduit à une incompréhension des règles de base et à l'idée que tout doit aller beaucoup plus vite que pour une campagne traditionnelle de masse.

" Or, le marketing numérique est un long processus qui exige de la patience. C'est un paradoxe de notre économie. Vous ne pouvez pas simplement mettre un balado [podcast] en ligne et vous attendre à faire résonner la caisse enregistreuse. " Cette lenteur stratégique pourrait bien être, croit Mitch Joel, un des secrets les mieux gardés d'un véritable succès d'affaires. " L'espace social numérique se bâtit essentiellement sur la confiance. Or, la confiance est quelque chose qui se construit lentement, au fil du temps. "

Cette confiance dans votre marque sera un des éléments les plus importants de la manière dont votre entreprise s'adaptera et évoluera.

Car dans l'économie numérique, une fois de plus, les hiérarchies ne sont plus ce qu'elles étaient. Ce sont les utilisateurs, les masses, qui propageront la bonne ou la mauvaise nouvelle au sujet de votre entreprise. " En fin de compte, lorsque vous choisirez un livre sur Amazon, vous aurez plus confiance dans la critique de Sally, de Carefree, en Arizona, plutôt que dans celle du New York Times Book Review. " Le regard que porteront vos clients sur votre produit et le degré de confiance qu'ils vous accorderont seront votre véritable marque de commerce.

L'OPINION DE MITCH JOEL SUR...

... la culture de la gratuité

La gratuité est d'abord une stratégie pour vendre. Mettre un livre en format PDF sur le Web, puis aller en parler sur le plateau d'Oprah, puis le faire sortir en libraire, tout cela est une stratégie pour le faire connaître... et le vendre. C'est la vieille idée de Gillette : donner le rasoir si les clients achètent les lames de rechange. Ce n'est pas une nouvelle idée. Le groupe Radiohead pouvait distribuer gratuitement sur le Web son dernier disque, le groupe fait des profits autrement, avec ses spectacles et par la vente de produits dérivés.

... l'incontournable Google

La première page du résultat de la recherche sur Google vous définit, vous et votre marque. Elle incitera, ou non, le consommateur à aller plus loin et à en lire davantage sur vous.

... la conversation sur le Web

Sur Internet, vous ne pouvez pas contrôler la conversation. Mais vous pouvez décider d'y prendre part ou pas.

... l'image de marque

À l'ère numérique, votre marque personnelle est votre plus puissante alliée (ou votre pire ennemie).

... sur Internet

Le principe de base d'Internet, c'est échanger, se connecter, converser.

... Facebook

Si ce réseau social était un pays, il serait le sixième de la planète pour la population.

POUR EN SAVOIR PLUS

En librairie: Six Pixels of Separation, par Mitch Joel, aux éditions Business Plus

Sur le Web: Le blogue de Mitch Joel : www.twistimage.com/blog