Éthanol : le pari québécois

Publié le 01/10/2009 à 00:00

Éthanol : le pari québécois

Publié le 01/10/2009 à 00:00

Produire de l'éthanol à partir du maïs alimente la grogne mondiale. Québec tente plutôt d'en fabriquer à partir des sucres d'arbrisseaux et de déchets forestiers. Un projet audacieux.

"Je fais partie des croyants, même s'ils ne représentent qu'une goutte d'eau dans l'océan", reconnaît Jean Roberge, directeur général de l'usine Éthanol GreenField, un homme à la carrure de joueur de football. Il est convaincu de l'avenir de l'éthanol comme carburant et de la place que le Québec peut jouer dans ce marché controversé. Car l'éthanol, souvent produit à partir de céréales, alimente le débat planétaire "Food versus Fuel". Pour des raisons de sécurité énergétique, le tiers de la récolte de maïs américain est destiné aujourd'hui à la production d'éthanol. On tient cette politique pour responsable de la flambée historique des prix mondiaux des grains qui, en 2008, a causé des famines et des émeutes.

"Le contexte québécois est différent du contexte américain. Nous n'accaparons qu'une infime partie de la récolte provinciale", poursuit Jean Roberge. Il n'empêche. "Le gouvernement Charest a eu peur de la controverse. C'est pour cette raison que son plan énergétique 2006-2015 ne prévoit qu'une seule usine d'éthanol-maïs", soutient Guy Debailleul, professeur spécialiste des questions de l'économie de l'environnement et des ressources renouvelables à l'Université Laval.

Les agriculteurs québécois aimeraient bien imiter leurs confrères du Brésil, le premier producteur mondial d'éthanol à moindres coûts. "Nous attendons beaucoup du millet perlé sucré. C'est notre canne à sucre du Nord ! Cette plante ne sert ni à l'alimentation humaine, ni à l'alimentation animale. De plus, elle pousse hors des terres agricoles", explique Marc F. Clément, agronome au ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ) en Outaouais. Les premiers tests de conversion du millet perlé sucré en éthanol sont en cours à l'usine de Varennes. Selon Marc Clément, cette plante miracle pourrait fournir un volume de 50 millions de litres d'éthanol au Québec. On est encore loin du compte.

Contrairement au reste du Canada, qui fabrique de l'éthanol à partir de blé et de maïs, Québec a misé sur le développement de l'éthanol cellulosique. "Un pari pour le moins audacieux", note Guy Debailleul. S'il est relativement facile de convertir en alcool les sucres ou l'amidon contenus dans le millet perlé sucré, le maïs ou le blé, que l'on appelle l' "éthanol de première génération", c'est une toute autre affaire d'extirper les sucres d'arbrisseaux ou de déchets forestiers. Il faut des enzymes puissantes et coûteuses pour fragmenter la cellulose et pour convertir cette biomasse en carburant, d'où son nom : éthanol cellulosique. "Cette technologie enzymatique ne sera pas disponible à l'échelle industrielle à un coût abordable avant cinq à sept ans", estime Esteban Chornet, cotitulaire de la Chaire de recherche sur l'éthanol cellulosique de l'Université de Sherbrooke et chef de la direction technologique d'Enerkem. Depuis 2007, cette entreprise exploite à Westbury une usine de démonstration industrielle qui vise à transformer de vieux poteaux d'Hydro-Québec et des déchets de matériaux de construction en éthanol. Une fois sa technologie éprouvée, l'usine fournira quelque cinq millions de litres d'éthanol. Selon les calculs d'Enerkem, le Québec pourrait produire 6,5 milliards de litres d'essence écolo-gique à partir, entre autres, de déchets forestiers, de bois urbain et de résidus de pâtes et papiers.

Jean Roberge espère que la première usine gazogène, d'une capacité de 40 millions de litres, verra le jour dès 2010, sur le site même de Varennes. Le hic, c'est le financement. Les usines d'éthanol de deuxième génération coûtent deux fois plus cher. Pour combler ses besoins en éthanol, le gouvernement du Québec, qui renoue avec les déficits budgétaires, aurait besoin de sept à huit usines supplémentaires de 80 millions de dollars chacune, soit une somme d'environ 640 millions de dollars.

"L'année 2009 est une annus horribilis pour les producteurs d'éthanol, souligne Jean Roberge. Les banquiers exigent des garanties faramineuses". Selon Guy Debailleul, si Québec exige qu'en 2012, ses automobilistes roulent en utilisant une essence écologique produite dans la Belle Province, il devra revoir son pari sur l'éthanol cellulosique et sera contraint d'importer ce biocarburant pour montrer patte verte. C'est ce qu'ont dû faire la Saskatchewan, le Manitoba et l'Ontario qui, à divers intervalles depuis 2006, ont toutes sommé les pétrolières de vendre à la pompe de l'essence contenant des mélanges composés d'éthanol dans une proportion variant entre 5 et 8,5 %. "Les exigences provinciales ont fait bondir les importations canadiennes d'éthanol de 53 millions de litres en 2006 à 566 millions de litres en 2008", explique Guy Debailleul.

Au nom de la lutte aux GES, le gouvernement fédéral a renchéri à son tour en exigeant qu'un mélange E5 soit disponible dans toutes les stations-service du pays dès 2010. Ottawa injecte deux milliards de dollars en diverses subventions aux entreprises pour qu'elles continuent à développer un éthanol canadien d'ici 2017. Pour atteindre son propre objectif, il estime ses besoins à deux milliards de litres. Si le Québec gagne son pari technologique en convertissant à moindres coûts des résidus forestiers ou d'autres biomasses en éthanol, il pourrait fournir trois fois la demande canadienne et peut-être exporter son essence écologique ailleurs dans le monde. "Ce n'est pas impossible, mais ce serait comme gagner à la loterie", conclut Guy Debailleul.

À la une

É.-U.: les taux sont assez restrictifs pour faire baisser l’inflation, juge une responsable de la Fed

Il y a 30 minutes | AFP

Les taux sont assez restrictifs pour faire baisser l’inflation, a estimé Michelle Bowman, une gouverneure de la Fed.

Élections américaines: revue de la semaine

EXPERT INVITÉ. Le taux d'approbation, Kennedy, les «double haters», les débats et Kristi Noem.

Bourse: les gains du S&P 500 en 2024 restent fragiles

BALADO. Plus de la moitié du gain du S&P 500 lors des quatre premiers mois de 2024 est attribuable à... Nvidia.