Le calcul de l'inflation reste une tâche complexe, parfois même controversée

Publié le 15/07/2022 à 17:03

Le calcul de l'inflation reste une tâche complexe, parfois même controversée

Publié le 15/07/2022 à 17:03

Par La Presse Canadienne

Le gouvernement a commencé à évaluer l’inflation en 1914. (Photo: La Presse Canadienne)

Toronto — «Un sou est un sou ; il n’y a pas de petite économie», disait-on autrefois, mais la hausse des prix a contribué à l’élimination du sou noir il y a près de 10 ans, et maintenant que l’inflation dépasse largement le cap de 7%, elle ronge aussi les 5 sous et les 10 sous.

Ainsi, bien que l’inflation se produise manifestement, saisir avec précision, en un seul chiffre, tous les divers changements de prix dans l’économie canadienne est une tâche plutôt ardue.

«C’est un concept très, très difficile à mesurer, en particulier plus ou moins en temps réel», souligne Derek Holt, responsable de l’économie des marchés financiers à la Banque Scotia.

Il est important d’obtenir le bon chiffre d’inflation, puisque plusieurs choses s’appuient sur celui-ci, y compris les décisions de taux d’intérêt de la Banque du Canada et les ajustements au coût de la vie pour les pensions et certains paiements sociaux. En outre, l’inflation est largement utilisée comme référence pour les salaires, les loyers et les paiements de pension alimentaire.

Le gouvernement a commencé à évaluer l’inflation en 1914, alors que la guerre en Europe, l’immigration record et la spéculation foncière faisaient grimper les prix. Depuis cette époque, plusieurs changements ont été apportés dans la méthode pour rendre le calcul plus précis, mais les données suscitent encore, malgré tout, une bonne dose de scepticisme.

La Banque du Canada et d’autres notent que les Canadiens pensent souvent que l’inflation, telle que mesurée par la variation de l’indice des prix à la consommation (IPC), est plus élevée que ne le laissent croire les données officielles, mais les consommateurs moyens ne sont pas les seuls à avoir du mal à faire confiance aux chiffres.

Derek Holt a rédigé un rapport en décembre sur les «fausses données» que Statistique Canada fournissait pour son inflation, qui est «rongée par des incertitudes», tandis que l’homme d’affaires devenu blogueur Frank Giustra a écrit en janvier, dans une chronique du «Toronto Star», au sujet des «mathématiques fantastiques» des données américaines sur l’inflation, produites par une agence qui a recours à de «l’obscurcissement délibéré» pour maintenir le résultat à un faible niveau.

La Banque du Canada s’appuie tellement sur ces données qu’elle vérifie périodiquement leur précision, avec ses propres vérifications, et sa réponse la plus récente, qui remonte à près d’une décennie, est que l’indice des prix à la consommation (IPC) surestime probablement l’inflation d’environ 0,5 point de pourcentage.

Diverses sources d’erreur possibles

Les sources de l’erreur potentielle dans le calcul du chiffre témoignent de la difficulté de suivre les augmentations de prix auxquelles le consommateur moyen est confronté.

L’une des principales sources d’erreur est l’effet de substitution, où les consommateurs changent de produit lorsque leur choix normal devient trop cher. C’est par ce phénomène qu’un consommateur décidera, par exemple, de ne pas acheter de surlonge de bœuf parce qu’elle est trop chère, et de la remplacer par du bœuf haché. Évidemment, l’IPC mesurera la variation du prix de la surlonge, mais l’acheteur est déjà passé à autre chose.

La liste de plus de 500 biens et services que Statistique Canada suit reste fixe d’un mois à l’autre, afin qu’il soit possible de faire une comparaison claire des produits, explique Taylor Mitchell, économiste principal pour l’agence fédérale.

«Nous ne faisons que comparer, mois après mois, des produits similaires et nous nous assurons qu’ils sont vraiment similaires.»

Cette technique comprend une correction des poids et des quantités des produits pour tenir compte de toute contraction, précise-t-elle.

Afin de minimiser le problème de l’évolution des habitudes de consommation, qui ont changé particulièrement rapidement pendant la pandémie, Statistique Canada a décidé de mettre à jour sa liste de produits chaque année. Ce changement, entré en vigueur avec la lecture de l’inflation de 7,7% en mai, permet également à l’agence de mettre à jour l’influence de chaque produit sur le chiffre global _ les choses pour lesquelles les gens dépensent plus ayant un effet plus important.

Statistique Canada avait également l’habitude de recueillir en personne environ la moitié des 93 000 prix qu’il surveille mensuellement, mais la pandémie a contribué à accélérer le passage à l’utilisation des données sur les reçus fournies par les détaillants, et a fait en sorte que davantage de prix sont obtenus en ligne et par téléphone. L’augmentation des données aide l’agence

à savoir quels sont les produits les plus populaires, souligne Taylor Mitchell.

«C’est vraiment l’objectif : identifier les produits que les consommateurs achètent réellement.»

Au fil des ans, cela a conduit à l’abandon de la collecte des prix des produits comme les enclumes, le charbon, les fraises en conserve et la location de DVD (bien que les prix du bowling soient toujours de la partie), et à l’ajout de l’électricité, des automobiles et du cannabis.

D’autres sources d’erreurs potentielles peuvent être plus difficiles à corriger, comme la quantité à prendre en compte pour les changements de qualité.

Même si cela est compliqué, en particulier pour des choses comme les ordinateurs et les automobiles, il existe des moyens établis de le faire, fait valoir Elizabeth Abraham, économiste en chef à la division des prix à la consommation de Statistique Canada.

«Ce sont les normes qui sont appliquées dans tous les organismes statistiques du monde.»

Interpréter les données recueillies

Mais même avec des normes, il y a place à l’interprétation.

L’une des principales critiques de Derek Holt était que Statistique Canada ne mesurait pas séparément les prix des véhicules d’occasion, qui ont grimpé en flèche pendant la pandémie.

Depuis mai, l’agence a commencé à en tenir compte, mais Derek Holt note qu’elle utilise les données de JD Power, qui calcule que les prix des voitures d’occasion ont augmenté d’environ 25% en mars par rapport à l’année précédente, tandis que Blackbook estime qu’ils ont plutôt augmenté de 39%. Statistique Canada a également décidé d’utiliser un éventail d’âges de véhicule plus large qu’aux États-Unis et leur a accordé une plus petite influence sur le chiffre global de l’inflation qu’aux États-Unis.

La façon dont Statistique Canada décide de s’assurer qu’elle compare des véhicules d’occasion similaires au chapitre de la qualité reste également une «boîte noire», estime Derek Holt.

«Personne en dehors de l’agence ne peut juger comment elle le fait.»

Le Canada traite également le logement différemment des États-Unis, ajoute-t-il. Alors que les États-Unis calculent combien un propriétaire devrait dépenser pour louer sa maison, Statistique Canada essaie plutôt de déterminer combien il en coûte d’entretenir une maison.

Parce qu’elle essaie de mesurer la consommation, l’agence ne tient pas compte des augmentations de prix des maisons, qui sont considérées comme un investissement, mais elle s’intéresse aux frais d’intérêt hypothécaires, ainsi qu’au prix des tubes de calfeutrage en latex.

«Il y aura toujours de multiples questions sur les différences méthodologiques, même entre les pays dotés de normes fondamentales», observe Derek Holt.

Même s’il restera toujours une marge d’erreur dans le calcul, le fait que des consommateurs puissent percevoir une inflation différente que celle rapportée par les données officielles pourrait être attribuée à un élément beaucoup plus simple, à savoir que l’indice des prix à la consommation cherche à saisir ce que le Canadien moyen voit, fait valoir Taylor Mitchell.

«Les expériences individuelles varieront toujours.»

 

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