Filière batterie: «Ça nous ramène en arrière dans notre développement»

Publié le 22/05/2024 à 12:30

Filière batterie: «Ça nous ramène en arrière dans notre développement»

Publié le 22/05/2024 à 12:30

Par Dominique Talbot

«Étions-nous obligés de participer à cette concurrence internationale? Quand on regarde le nombre d’usines qui seront construites, nous sommes perdants», a expliqué à «Les Affaires» le professeur d’économie à l’École de gestion de l’UQTR, Frédéric Laurin. (Photo: courtoisie / Fond généré par IA)

FILIÈRE BATTERIE. Frédéric Laurin est professeur d’économie à l’École de gestion de l’Université du Québec à Trois-Rivières et chercheur à l’Institut de recherche sur les PME. Ses recherches portent en particulier sur le développement économique régional, l’analyse des structures industrielles et le commerce international. En novembre 2023, il a produit une note de politique publique où il critiquait le mode de développement de la filière batterie au Québec. Les Affaires l’a rencontré en avril dernier à Trois-Rivières pour qu’il précise sa critique.

Dominique Talbot: Que pensez-vous de l’arrivée de la filière batterie au Centre-du-Québec et en Mauricie?

Frédéric Laurin: On a toute une collection de PME principalement. L’effort de diversification que nous avons réussi depuis 5-6 ans, la croissance économique, ce sont les PME locales qui l’ont portée. La Mauricie est la région qui s’est le plus améliorée au Québec. Elles ont encore un gros potentiel de développement. 

Les PME ont encore un carnet de commandes bien rempli. Elles ont été fatiguées par la pandémie, la pénurie de main-d’œuvre, et elles ont besoin d’un break.

On a pris notre erre d’aller en Mauricie. Maintenant que ces PME se sont développées en volume, avec les pénuries de main-d’œuvre et d’espaces industriels dans la région, il faut aller plus en valeur. Il faut donc aller plus dans l’innovation. C’est le prochain défi de la Mauricie.

Pour nous, avoir ces grandes usines de batteries là, ça nous ramène en arrière dans notre développement. On nous a dit de nous diversifier économiquement. Et là, on nous ramène avec beaucoup de ressources concentrées dans un seul secteur, un seul produit.

«On revient à cette mentalité monoindustrielle. Nous ne sommes plus là du tout dans la région!»

Ça vient chercher des ressources dont nous avons besoin pour développer les PME et les entreprises d’ici. Plutôt que de développer de nouveaux modèles d’affaires dans lesquels nous n’avons presque pas d’expertise.

Les PME et les entreprises ont encore besoin d’être accompagnées. Notamment dans l’innovation.

C’est un gros défi pour une PME de se robotiser, de se lancer dans l’intelligence artificielle. Par où commence-t-elle ? Parfois, ce n’est pas juste des problèmes d’argent.

Je trouve dommage que l’on reparte de quelque chose de totalement nouveau dans lequel on n’a presque pas d’expertise.

On n’a presque pas de PME spécialisées dans ce domaine-là. Plutôt que de continuer sur notre erre d’aller, où il y aurait une rentabilité pour chaque dollar investi, parce qu’on est sûr des retombées, il y a déjà un écosystème.

On n’utilise pas l’écosystème qu’on a construit de peine et de misère pour encore accélérer davantage le développement de l’économie de la Mauricie et du Centre-du-Québec.

D.T.: Le gouvernement avance qu'un écosystème de PME va se construire avec le temps et que ces dernières viendront se greffer à la filière. Qu'en pensez-vous?

F.L.: C’est un vœu pieux. On ne construit pas une filière comme ça. Si on investit plusieurs milliards de dollars, on veut plus de garanties que ça. C’est la même chose avec l’aluminium. On a toujours dit qu’il y aurait une deuxième, une troisième transformation de l’aluminium. Ça ne s’est pas vraiment réalisé. Pas comme on l’aurait souhaité.

L’association entre la fabrication de batteries et les PME québécoises n’est pas directe. Il fallait penser le contraire. Voir les expertises des PME, de l’écosystème, et ensuite voir qui on peut faire venir pour «booster l’écosystème».

Je ne comprends pas, quand on sait que les entrepreneurs québécois qui ont porté l'économie du Québec sur leur dos ne sont pas là en train de manifester… Parce qu’on a des expertises dans un paquet de domaines. On a des pôles partout au Québec qui ont besoin d’aide pour accélérer les choses. On serait certain que ça va fonctionner.

Construire une filière sur la base d’entreprises étrangères, ça ne se fait pas.

D.T.: C’est ce que vous voulez dire dans votre note de politique publique publiée sur le sujet? Qu'il faudrait y aller avec une approche «bottom-up» et non le contraire «top-down»?

F.L.: S’il n’y a pas d’ancrage territorial, moindrement que le marché change, ces entreprises-là vont partir. C’est aussi simple que ça.

Une entreprise qui est ici, qui a de la difficulté dans son marché, elle va changer de marché, se diversifier.

D.T.: Si je suis votre propos, Bombardier pourrait être un exemple, quand Airbus a pris le contrôle de la CSerie, c’est resté ici en raison de ça?

F.L.: Oui! C’est le premier pôle aéronautique au monde! Techniquement, à partir de Montréal, on pourrait construire un avion sans rien importer. Pour Airbus, il n’y a aucun avantage à partir. L’écosystème est tellement riche, il y a une raison de rester à Montréal. C'est ça qu'on veut. Quand il y a une raison industrielle pour rester, on n'a pas besoin du cadeau fiscal, on n'a pas besoin de la subvention.

Moi, de ce que j'ai compris, c'est qu’Investissement Québec, historiquement, ne participait pas à cette espèce de surenchère pour avoir de grandes usines internationales. Ce qu’ils faisaient, c'est qu'ils analysaient les chaînes de valeur au Québec et ils allaient chercher les segments manquants. Si on rentre dans une chaîne de valeur, l’entreprise qu’on fait venir est contente parce qu’elle sait qu’elle se rapproche de ses clients. Et les entreprises d’ici, on leur donne un nouveau sous-traitant de proximité. Donc c’est gagnant-gagnant.

«Dans le cas qui nous préoccupe, on a aucune certitude que les PME pourront intégrer ces nouvelles filières.»

D.T.: Pourquoi les grandes entreprises de la filière batterie (GM, Posco, Ford, Northvolt, etc.) choisissent le Québec? Les subventions ou l’hydroélectricité?

F.L.: Je pense que c’est les deux en même temps. On ne veut plus ce modèle-là. Je ne veux plus que les gens viennent pour nos ressources. Je veux que les gens viennent pour nos cerveaux. On est rendu-là au Québec. Nous ne sommes plus dans les années 1950 où tout ce que nous avions à donner c’était des ressources pour se développer et que nous n’avions pas toute une communauté d’entrepreneurs.

Aujourd’hui, nous sommes à la fine pointe de la technologie, avec des centres de recherche en intelligence artificielle, en aéronautique, dans plein de secteurs…

D.T.: Mais sur le long terme, ne pensez-vous pas que la filière va en créer des «cerveaux»?

F.L.: À priori, il n’y a pas d’activité de développement et d’innovation prévue dans ces usines.

Il faut que l’innovation soit sur le territoire pour qu’il y ait des retombées. Là, on va former de la main-d’œuvre, des ouvriers, des manutentionnaires, des chimistes. Mais ce sont toutes des ressources qu’on a besoin pour former d’autres personnes dans d’autres secteurs. Nous sommes en pénuries de main-d’œuvre. Il manque du monde partout.

Nous sommes en train d’enlever des ressources éducationnelles, pour l’innovation, et de la main-d’œuvre à des gens qui en auraient eu besoin maintenant pour un projet hypothétique ou peut-être que dans le futur, ça va marcher.

D.T.: Si le taux de chômage était à 10%, auriez-vous le même discours?

F.L.: Non, je n'aurais pas le même discours si le taux de chômage était à 10% et que nous avions des surplus d'électricité. Si nous avions de gros retards technologiques. Je dirais que c’est peut-être un bon projet.

Mais le taux de chômage est faible en Mauricie.

«C’est pour ça que je me pose la question si nous étions obligés de participer à cette concurrence internationale?»

Quand on regarde le nombre d’usines qui seront construites, nous sommes perdants. On est en compétition en ce moment avec la Hongrie et la Pologne. Des pays très performants, mais qui ne sont pas au même niveau technologique que nous.

Même chose dans le temps de l’aluminium où nous étions en compétition avec des pays pauvres pour attirer des usines. Pourquoi?

D.T.: Est-ce un recul, d’une certaine manière? Vous disiez que cette démarche s’apparentait à une façon de faire de pays en voie de développement…

F.T.: Nous sommes sur un modèle complètement archaïque. Comme si nous étions encore en problème de développement. Oui, il y a un retard sur l’Ontario, mais ce retard est hyper complexe à comprendre. Des usines de batteries ne vont rien y faire. Ce n’est pas parce qu’il y a des usines de batteries que la productivité de nos PME va augmenter demain matin. C’est comme si nous masquions la réalité en faisant monter la moyenne artificiellement.

Mais on ne règle pas les problèmes de productivité et d’innovation de nos entreprises. Alors pourquoi on fait ça?

D.T. Et si ces usines s’étaient implantées ici sans aides financières des gouvernements?

F.T.: Je n’aurai rien critiqué. C’est le libre-marché. Elles sont prêtes à prendre les conditions d’ici. Ça fait de la compétition aux autres, mais qui peut empêcher une entreprise de s’installer. Ça veut dire qu’elles respectent le BAPE, et qu’elles paient les vrais prix de l’électricité. Et il n'y a pas de subventions.

Quand on est en pénurie, on fait monter les prix. On a une électricité renouvelable, constante, fiable. Je ferais des enchères. Là, on fait le contraire et on offre des prix bas. Ça ne fait aucun sens. Je pose la question: avons-nous prévu des blocs d’électricité pour assurer le développement de nos PME sur 10 ans? Quelle est la grille d’analyse pour donner des blocs d’électricité? C’est crucial comme question. C’est excessivement inquiétant d’avoir un superministre qui décide de ça de manière non transparente.

La priorité, ce sont les entreprises d’ici!

On ne retarde pas la transition énergétique mondiale en n’accueillant pas Northvolt. L’entreprise se serait installée ailleurs de toute façon. Ça n’a rien à voir avec les GES du Québec.

D’autres territoires auraient été plus appropriés, avec des taux de chômage plus élevés. Comme St-Thomas en Ontario (Stellantis) qui est à 7-8%. Je vois déjà une logique industrielle.

«Ici dans la région, c’est complètement contradictoire avec la logique de développement qu’on s’est donné depuis cinq ans.»

D.T.: Le ministre Fitzgibbon disait encore dernièrement qu’il souhaitait qu’avec cette filière, le Québec devienne le premier État carboneutre en Amérique du Nord. Y voyez-vous un lien?

F.T.: Non je ne vois pas de lien. Les Québécois doivent acheter des voitures électriques. Mais les batteries peuvent venir de n’importe quel pays.

Ça ne dépend pas de la capacité de Northvolt (ou des autres). Ça dépend de la capacité des Québécois à acheter des voitures électriques. Ça n’a pas de lien avec la filière batterie.

D.T.: Donc l’effort du Québec pour participer à la décarbonation de l’économie mondiale est cher payé?

F.T.: Oui, sachant qu’il y a 400 entreprises en technologies vertes au Québec. Ce n’est pas petit. Et elles contribuent toutes à la transition environnementale et énergétique. Pouvons-nous «booster» ce secteur qui a besoin de beaucoup d’innovation, et de commercialisation?

Si nous leur donnons chacune 10 millions de dollars pour se développer, et pour la plupart d’entre elles, c’est un chiffre fantaisiste, on est nettement en bas des subventions accordées (aux grands joueurs de la batterie). Lequel donne plus de retombées pour le Québec? Investir dans trois usines d’assemblage? Ou investir dans 400 entreprises qui font de l’innovation et qui feront des collaborations de recherche avec des universités?

En économie, on appelle ça un coût d’opportunité.

«Je vois plus de potentiels à investir dans les entreprises d’ici, car elles innovent sur le territoire.»

Près de 3000 personnes sont venues s'installer à Trois-Rivières depuis la pandémie. Tout le monde a été pris par surprise. Mais on est content. Dans nos rêves les plus fous, on ne pouvait pas imaginer ça avant 2019.

Beaucoup de gens ici parlent d’un élément perturbateur [concernant la filière batterie].

Nous avions d’autres défis. Et nous avions d’autres solutions.

de 30%.

«Ça va vite, ça va extrêmement vite», dit la mairesse, -Lucie -Allard. Quand elle s’est présentée à la mairie de -Bécancour en 2021, elle ne se doutait pas de ce qui l’attendait. Sa ville connaissait déjà une forte croissance, mais «la filière batterie, c’était pas du tout connu. Lorsque nous sommes arrivés, on commençait à peine à en parler», -dit-elle au cours d’un entretien avec Les -Affaires à son bureau.

La production des nouvelles usines de -General -Motors (GM), -Nemaska -Lithium, -Air -Liquide, -Nouveau -Monde -Graphite (NMG) et autres doit commencer en 2026. Ford, qui y construit aussi une usine, a arrêté son chantier la semaine dernière. Mais -Bécancour doit dès maintenant se placer en avant de la parade si elle veut réussir à attirer, comme elle le souhaite, plus de la moitié des 4000 travailleurs que la filière batterie pourrait attirer dans la région.

Des milliers de logements doivent sortir de terre
— plus de 5000 —, une école secondaire, une école primaire, plus l’agrandissement de trois autres déjà présentes sur son territoire, avance la mairesse. Sans compter la construction d’un nouveau -CPE, la mise à niveau des infrastructures municipales existantes et la construction de nouvelles routes. Un véritable -casse-tête à assembler avec les ministères de la -Famille, de l’Éducation, des -Affaires municipales et des -Transports.

«-On a le tableau de bord bien allumé sur tous les défis à suivre de très près. Il faut tout faire pour que l’avion puisse atterrir le mieux possible», dit -Lucie -Allard.

Tout faire, tout en n’ayant pas le contrôle sur quelles entreprises, ni combien, viendront s’installer dans sa cour arrière, gérée par la Société du parc industriel et portuaire de Bécancour (SPIPB), une société d’État, la seule du genre au Québec, créée en 1968.

C’est à la porte de l’hôtel de ville que viennent toutefois cogner les géants de l’industrie de la batterie pour obtenir des permis, ainsi que les citoyens, peu importe leurs besoins ou leurs inquiétudes par rapport à ces chantiers qui bouleversent déjà leur tissu économique et social. «Ce n’est pas Investissement Québec qui reçoit les appels. Ni le ministre», dit la mairesse en riant.

Le ministre, c’est -Pierre -Fitzgibbon, responsable de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie. La filière batterie se trouve directement à la jonction des obsessions du ministre et de son patron, -François -Legault. Le manque «d’investissements en entreprises au -Québec dans nos infrastructures» pour le premier, et l’écart de richesse avec l’Ontario pour le second. Il ne faut donc pas se tromper, c’est d’abord et avant tout un «projet économique», affirme le ministre en entrevue avec Les -Affaires.

Si la mairesse de -Bécancour ne savait pas ce qui l’attendait en 2021, -Pierre -Fitzgibbon, lui, prépare la filière batterie depuis 2019. Après avoir lancé l’idée des zones d’innovation, il a trouvé sa stratégie dans la batterie pour que les ressources naturelles d’ici, plus spécifiquement les matériaux critiques et stratégiques (MCS), cessent d’être simplement envoyées à l’étranger sans subir de transformation ici.

Malgré la volonté du ministre, filière batterie ou pas, le -Québec est toutefois encore loin d’avoir une influence sur l’ensemble de ses ressources, selon une enquête de -Les -Affaires. La province exerce une «certaine influence» ou une «influence importante» sur seulement deux mines actives et neuf projets miniers dans les -MCS. Sur un total de 33. C’est le tiers. (Lire notre dossier «-Pas vraiment maîtres chez nous»
en p. 14.)

N’en demeure pas moins que -Pierre -Fitzgibbon est profondément convaincu que cette stratégie est la bonne. Assez pour engager financièrement et socialement le -Québec dans plusieurs projets majeurs, dont ceux de -Northvolt, en -Montérégie, de -GM et de -Ford à -Bécancour, -Volta à -Granby et plusieurs autres.

Seulement pour les trois premiers projets, le gouvernement a octroyé des centaines de millions de dollars (M$) en subventions directes, présentées aujourd’hui comme des «prêts pardonnables»: 436M$ à -Northvolt, 193M$ à -Ford, 134M$ à -GM, 26M$ à -Volta Énergie (à -Granby). En plus d’une participation de 50% dans -Nemaska -Lithium. S’ajoute à cela l’octroi de précieux et rares blocs d’énergie hydroélectrique, un avantage concurrentiel majeur pour ces entreprises qui veulent laver plus vert que vert.

Avec les autres entreprises de la filière batterie, dont les québécoises -Lion Électrique, -Lithion -Technologies et -Taïga, le gouvernement a distribué pas moins de 1 milliard de dollars (G$) en subventions. Si l’on ajoute la portion des prêts remboursables et ses prises de participation dans le capital (dont 567M$ dans -Northvolt, 5% de l’entreprise), l’aide totale de -Québec atteint près de 2,5G$.

Dans le cas de -Northvolt, avec la volonté de s’arrimer à l’Inflation -Reduction -Act des -États-Unis, -Québec allongera 1,5G$ supplémentaire d’aide à la production d’ici 2032, à condition que, justement, l’entreprise suédoise lance sa production et puisse commencer ses livraisons à temps.

«-Je donne des subventions de 1 milliard de dollars sur un total de 16G$ en projets. Ça représente 6%. Pour moi, c’est le prix qu’il fallait payer», affirme le ministre.

Ce dernier y croit aussi suffisamment pour s’être permis la boutade suivante au chancelier allemand -Olaf -Scholz lors de sa visite au -Canada à l’automne 2022.

«-Il [Olaf -Scholz] était venu me voir. Nous étions en campagne électorale. Il m’a dit: “On veut que vous nous exportiez de l’hydrogène. J’ai répondu sur le champ: “Non, ça n’arrivera pas. Mais on va vous exporter vos -Mercedes vertes par contre.” -Il m’a regardé, il ne me trouvait pas comique. Mais je pense que j’avais raison, dans le sens qu’il fallait avoir la vision de vouloir créer de la valeur à travers cette -chaîne-là», raconte -Pierre -Fitzgibbon.

 

Les -PME préoccupées

Quand il regarde les sommes investies par -Québec dans les entreprises étrangères de la filière batterie, alors que les -PME de la province doivent composer avec des pénuries de -main-d’œuvre, de logements, d’espaces industriels et de ressources énergétiques, le -vice-président pour le -Québec de la -Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), -François -Vincent, voit plus rouge que vert. Surtout que 90% des quelque 600 entreprises sondées par l’organisation à la fin de 2023 soutiennent ne pas obtenir leur juste part d’aide gouvernementale.

«Ça ne rejoint pas l’appui des petites et moyennes entreprises du -Québec», tranche -François -Vincent, rappelant que «les taxes sur la masse salariale au -Québec sont 30% plus élevées que la moyenne canadienne». «-Et nous sommes la province qui ne donne pas accès au taux réduit aux plus petites entreprises dans les secteurs de la construction et des services», -ajoute-t-il. Sans compter que les -PME «vivent aujourd’hui les augmentations de tarifs d’électricité les plus élevées des 25 dernières années… pour une deuxième année consécutive. Il y a quelque chose qui ne marche pas.»

«-Peut-être qu’elles se disent [les -PME] que nous sommes en train de servir un repas cinq services à des voisins avec la boîte à lunch de nos enfants», dit -François -Vincent.

Selon des données compilées par la -FCEI, seulement 17 % des entreprises appuient les subventions offertes aux géants de la batterie. Alors qu’à -Bécancour et en -Montérégie, ces derniers créeront jusqu’à 7000 emplois bien rémunérés, 40% des -PME disaient déjà à la fin 2023 craindre de fermer leurs portes d’ici quatre années, faute d’employés.

Dans le -Centre-du-
Québec et dans la -Mauricie, le taux de chômage, en mars 2024, était respectivement de 3,3% et de 5,4%. En -Montérégie, il était de 4,3%.

«-On essaie de faire du mieux qu’on peut -là-dedans, mais il va y avoir un enjeu», concède -Pierre -Fitzgibbon, notamment par rapport aux salaires qui seront offerts par ces multinationales.

«-On ne peut pas blâmer les gens d’améliorer leur sort, mais en même temps, on va permettre aux -PME qui le peuvent d’investir dans la productivité, et donc possiblement de donner des salaires plus élevés», -poursuit-il, en citant notamment le programme -Productivité innovation, dans lequel «il y a présentement plus d’argent disponible que les gens en prennent».

 

«-Retour en arrière»

Les données de la -FCEI ne surprennent pas -Frédéric -Laurin, professeur d’économie à l’Université du -Québec à -Trois-Rivières (UQTR). Spécialisé en développement économique régional, il n’est pas non plus surpris de constater que 78% des -PME de -Trois-Rivières s’opposent aux aides gouvernementales accordées aux multinationales pour construire leurs usines de l’autre côté du fleuve, à -Bécancour.

Quand il analyse ces aides, il n’en revient pas. Opposant connu de la filière batterie, il n’hésite pas à parler d’un retour en arrière pour les régions du -Centre-du-Québec et de la -Mauricie, mais aussi pour toute la province.

«-Pour nous, ici, avoir ces grandes -usines-là, ça nous ramène en arrière dans notre développement. On nous a dit de nous diversifier économiquement. Et là, on nous ramène avec beaucoup de ressources concentrées dans un seul produit. On revient à cette vieille mentalité -mono-industrielle. Nous ne sommes plus là du tout dans la région. […] L’effort de diversification que nous avons réussi depuis cinq à six ans, ce sont les -PME qui l’ont porté. Elles ont encore un gros potentiel de développement», -insiste-t-il.

Les investissements actuels renvoient, selon lui, à l’époque de l’aluminium, où le -Québec était en compétition avec des pays plus pauvres pour attirer des usines.

«-Nous sommes sur un modèle complètement archaïque. Comme si nous avions encore des retards de développement. Oui, il y a un retard sur l’Ontario, mais ce retard est très complexe à comprendre. Des usines de batteries ne vont rien y faire», selon -Frédéric -Laurin.

Il ne croit pas que le projet du gouvernement -Legault fera augmenter la productivité des -PME rapidement. «C’est comme si nous masquions la réalité en faisant monter la moyenne artificiellement», -illustre-t-il.

Bâtir une filière batterie sur la base d’entreprises étrangères et espérer qu’un écosystème de -PME s’y construira avec le temps «est un vœu pieux et ça ne se fait pas», selon le professeur de l’UQTR. «S’il n’y a pas d’ancrage territorial, le moindrement que le marché change, ces -entreprises-là vont partir. C’est aussi simple que ça.»

La réalité serait différente selon lui «si le taux de chômage était à 10%, que nous avions encore des surplus énergétiques et que nous avions de gros retards technologiques. Je dirais que c’est -peut-être un bon projet. Mais aujourd’hui, pourquoi -étions-nous obligés de participer à cette concurrence internationale?» -demande-t-il.

 

Concurrence nationale et internationale…

Si la batterie est au cœur de la stratégie du -Québec dans sa quête pour combler son retard sur l’Ontario, cette dernière n’entend pas laisser la province jouer dans sa cour industrielle traditionnelle: la construction de voitures. Une semaine après l’entrevue de Les -Affaires avec le ministre -Fitzgibbon, -Honda a officialisé sa venue en -Ontario avec un projet de 15G$ pour des usines de cathodes (pôle positif d’une batterie, 40 % du coût de celle-ci), de cellules et de construction de voitures électriques, soit presque autant que tous les projets de la filière batterie au -Québec. La province espérait attirer la partie «cathode» du projet.

Le gouvernement a timidement répondu qu’il pouvait se passer de -Honda, et que le constructeur japonais était trop gourmand dans ses demandes. En commission parlementaire sur l’étude des crédits, le 23 avril, le ministre -Fitzgibbon disait d’ailleurs que son gouvernement allait probablement réduire la cadence en ce qui a trait aux subventions.

L’énergie verte du -Québec, un énorme terrain à -Bécancour, des aides financières que l’on peut deviner importantes et l’hypothétique cession d’une partie de la participation du gouvernement dans -Nemaska -Lithium n’auront donc pas pesé assez lourd dans la balance. Si on ajoute les projets déjà annoncés de -Volkswagen et de -Stellantis dans la province de -Doug -Ford, la valeur totale de -ceux-ci en lien avec l’industrie de la batterie pour véhicules électriques dépasse les 40G$. Au sud de la frontière, gracieuseté du généreux -Inflation -Reduction -Act, la valeur des projets frôle aujourd’hui les 100G$. 

 

Les précieux mégawatts

La course aux usines de batteries s’accompagne aussi d’une course aux précieux et rares mégawatts (MW) qui sont encore disponibles au -Québec. Depuis le début de 2023, à la suite de l’adoption du projet de loi no 2 (Loi visant notamment à plafonner le taux d’indexation des prix des tarifs domestiques de distribution d’-Hydro-Québec et à accroître l’encadrement de l’obligation de distribuer de l’électricité), tous les projets industriels nécessitant plus de 5 -MW doivent être approuvés par le ministre -Fitzgibbon. -Hydro-Québec confirme ensuite sa sélection en fonction de la possibilité, ou non, d’alimenter le projet. Avant cette loi, -Hydro-Québec devait obligatoirement connecter les projets de moins de 50 -MW.

En novembre dernier, un premier bloc de 956 -MW a été accordé. Pas moins de 67% (641 -MW) de cette électricité a été accordée à des entreprises de la filière batterie, dont 37% à -Northvolt. Au moment où ces lignes étaient écrites, les entreprises choisies pour un deuxième bloc, entre 500 et 700 -MW, n’avaient pas encore été annoncées.

Des chiffres que -Pierre -Fitzgibbon met en perspective. «-La production hydroélectrique, avec -Churchill -Falls, c’est 45000 -MW. Donc, la filière batterie que moi j’ai allouée depuis que je suis en poste, c’est 641 -MW sur 45641 -MW. Maintenant, la problématique, elle est ailleurs. Aujourd’hui, j’ai 13500 -MW de demande industrielle, 141 projets que je trouve intéressants. Aujourd’hui, il n’y a pas de mégawatts, techniquement. On va manquer d’énergie au -Québec, à un moment donné», -concède-t-il.

Noël -Fagoaga, chercheur à l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC), se demande comment la filière batterie est venue s’inscrire dans «un cadre énergétique dans lequel nous sommes passés d’une ère de surplus quand la -CAQ est arrivée au pouvoir et que maintenant, on cherche de l’énergie partout sur le territoire».

Alors que le ministre -Fitzgibbon s’apprête à déposer un important projet de loi ce printemps, notamment pour «donner plus de flexibilité à -Hydro-Québec», -Noël -Fagoaga craint que les besoins gigantesques de la filière batterie ne servent d’arguments pour amorcer une forme de privatisation de la société d’État — une privatisation classique impliquerait de vendre des actifs ou des activités, comme le transport d’électricité, au secteur privé.

À -Bécancour, -ajoute-t-il, «c’est mal identifié où on va prendre l’énergie. Je pense que la table est mise pour que l’on développe le nucléaire. Il va falloir produire de la puissance pour les entreprises qui vont s’installer».

Pierre -Fitzgibbon ne ferme pas la porte à relancer la centrale nucléaire -Gentilly-2 pour alimenter -Bécancour. Assurément, -dit-il, la discussion va s’insérer dans son projet de loi.

Ironiquement, c’est celui qui a reçu le mandat de fermer -Gentilly-2 en 2012, qui est maintenant directeur général de la -SPIPB. «-Cette job-là, je la voulais. On n’est pas venu me chercher. Je la voulais parce que j’y croyais», affirme -Donald -Olivier, qui a notamment le mandat de s’assurer que toutes les infrastructures sont prêtes à accueillir de nouvelles entreprises.

Sur le mur de son bureau, une carte de tous les terrains du parc industriel sous différentes couleurs. Une pour les terrains sur lesquels se trouvent déjà des entreprises, une autre pour ceux où se construisent les gigantesques usines de cathodes de -GM et de -Ford, celle de -Nemaska -Lithium, ainsi que de -NMG. Et d’autres sur lesquels des entreprises étrangères ont exercé des options ou sont en voie de finaliser l’achat.

«-Avoir un créneau, ça donne une direction. Le téléphone sonne beaucoup. Les investisseurs viennent. [La filière batterie], c’est un projet noble. Ce qui rallie les gens, c’est que c’est bon pour nous et bon pour les générations qui vont suivre», -affirme-t-il.

Natif de la région, -Donald -Olivier dit que l’arrivée de la filière batterie marque la fin d’une époque «où l’annonce de projets à venir à -Bécancour, ce n’était que des articles de journaux. Maintenant, nous sommes prêts».

La mairesse, -Lucie -Allard, abonde dans le même sens. «-Dans les dernières années, il y a eu plusieurs annonces qui ne se sont pas concrétisées. Il faut connaître l’histoire de -Bécancour pour mieux comprendre pourquoi, cette filière batterie, bien qu’il y ait des points majeurs à considérer, est actuellement bien accueillie», -explique-t-elle.

 

La surprise
de -Northvolt

En -Montérégie, l’accueil de la jeune multinationale -Northvolt a été plus compliqué. De toutes les entreprises étrangères qui s’installent au -Québec, aucune ne suscite d’intérêt et ne divise autant. L’entreprise, qui n’a pas encore soufflé ses dix chandelles, a commencé les travaux de préparation où elle s’installera, le long de la rivière -Richelieu, sur un terrain à cheval entre -Saint-Basile--le-Grand et -McMasterville. Total de l’investissement: 7G$. Le plus important projet privé de l’histoire du -Québec.

Que la première phase de son usine ne soit pas soumise à un examen du -Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) a créé une controverse qui continue de suivre l’entreprise et le gouvernement. Son projet d’usine de recyclage, lui, y sera soumis, et l’entreprise a d’ailleurs déposé son dossier dernièrement.

Northvolt affirme avoir déjà levé 15G$ d’investissements et avoir un carnet de commandes évalué à 55G$. Elle dit également compter sur plus de 1000 ingénieurs. Pour l’attirer en sol québécois, la concurrence était forte, affirme -Paolo -Cerruti, -PDG de -Northvolt -Amérique du -Nord.

«-Nous avions un certain nombre de garanties d’États américains pour construire une road map vers une fourniture d’énergie complètement décarbonée. C’était plus simple dans certains États que d’autres. Nous étions très avancés avec -New -York et le -Michigan. Mais au -Michigan, c’était le même site que -Ford. New -York, c’était dans le nord de l’État. Avec une fourniture d’énergie qui était québécoise», souligne -Paolo -Cerruti.

Déjà, pas moins de 7000 personnes ont déposé leur candidature pour travailler dans sa future usine. Jusqu’à maintenant, -Northvolt a accordé des contrats pour une valeur de 140M$. Lorsque son complexe -Northvolt -Six sera construit, l’entreprise compte investir aux alentours de 350M$ par année dans des contrats avec les -PME.

À l’échelle québécoise, les retombées à court, moyen et long terme ne sont toutefois pas encore claires. Paolo -Cerruti évalue le chiffre d’affaires de l’usine quelque part entre 5G$ -US et 6G$ -US par année aux environs de 2032 «si on arrive à construire l’intégralité de ce qu’on veut construire». Avec tous les revenus fiscaux que cela génère.

«-On va sans doute catalyser la création de nouvelles entreprises qui viendront de l’étranger, ajoute -Paolo -Cerruti. Ce n’est pas suffisamment valorisé dans le débat, mais ça va mettre le -Québec dans le peloton de tête des réalités internationales d’une industrie qui est porteuse et qui sera le futur de la transition énergétique dans les 20, 30, 40 prochaines années. Il n’y a pas beaucoup d’endroits où cela est en train de se passer.»

«J’ai voulu mettre 600M$ d’équité en haut (la société mère) et pas en bas (Montérégie) pour diversifier, parce qu’on va participer à la -Suède, on va participer à l’Allemagne (Northvolt y construira aussi des usines), on va participer ici. […] -La question, c’est combien de temps va durer -Northvolt? -Est-ce que -Northvolt va être là dans dix ans? -Si oui, ça va être un coup de circuit. En dix ans, on retourne aux -Québécois ce qu’ils ont mis dans l’entreprise», affirme de son côté -Pierre -Fitzgibbon.

Comme pour -Northvolt, -GM, -Ford et toutes les entreprises de la filière batterie, il faudra donc attendre et être patient. Puisque que -Pierre -Fitzgibbon ne cache pas vouloir s’arrêter à la fin de son deuxième mandat, reste maintenant à voir si la personne qui prendra sa place dans le fauteuil de «superministre» aura la chance de courir autour des buts avec le sourire, ou de rapiécer la tirelire collective cassée par une malheureuse fausse balle.

 

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