Agriculture: La fin du statu quo

Publié le 24/12/2009 à 10:52

Agriculture: La fin du statu quo

Publié le 24/12/2009 à 10:52

Québec veut réformer l'aide de l'État à l'agriculture. Sur la photo: Jean Charest et Claude Béchard. Photo: Benjamin Nantel

Fini l'oligopole du porc, du maïs et du boeuf. Québec sabre l'aide de l'État et dicte ses conditions au monde agricole

En novembre dernier, le ministre Claude Béchard a joué le chaud et le froid avec le secteur agricole. Le chaud, c'est l'annonce que Québec épongera le déficit de 1 milliard de dollars de la Financière agricole, la banque des agriculteurs fondée en 2001. Un déficit alimenté principalement par l'aide de l'État à la production québécoise de porcs. En 2008 et 2009, on a produit plus de sept millions de porcs au Québec, un record historique, au moment où cette production diminue dans le reste du Canada et aux États-Unis. " Ce n'est pas normal qu'au moment où le secteur porcin va très mal, le nombre de porcs continue d'augmenter au Québec. Même chose dans le secteur bovin ! " constate le ministre.

Vient la douche froide : le ministre diminue de 100 millions de dollars le budget annuel de la banque des agriculteurs pour l'établir à 630 millions de dollars.

Ctte nouvelle enveloppe est donc " fermée ". Selon le ministre, elle correspond à la capacité de payer des Québécois en fonction d'une agriculture qui a changé de visage et qui exige une plus grande équité entre les producteurs. Plus question à l'avenir d'appuyer " sur le bouton catastrophe pour venir en aide à une production en difficulté qui déstabilise l'ensemble des résultats de La Financière agricole. Fini l'hémorragie ", a ajouté le ministre. Ce dernier, ayant en tête la production porcine accablée cette fois par la grippe A(H1N1), faussement appelée " grippe porcine ", entend dorénavant arrimer les aides d'urgence de Québec à celles d'Ottawa.

Dans la salle où se déroule la conférence de presse, derrière les caméras, un homme boit les paroles du ministre. Mandaté par Québec pour réformer l'aide de l'État à l'agriculture, Michel R. Saint-Pierre affirmait quelques mois plus tôt que " si rien n'est fait, La Financière agricole s'enfoncera dans un trou de deux milliards de dollars ". Ancien sous-ministre du MAPAQ, lui-même ex-président de la Financière agricole, Michel R. Saint-Pierre a remis en question un des piliers de l'agriculture québécoise : le programme d'assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA). L'agriculture est un domaine exigeant où le risque s'avère omniprésent. Quel que soit le pays où elle est située, l'entreprise agricole dépend des caprices de dame Nature et des fluctuations des prix des denrées. Résultat : tous les pays nantis instaurent des politiques pour protéger le revenu de leurs agriculteurs, nourrir leurs citoyens, voire exporter une partie de leur production agricole.

Créée au début des années 1970, l'ASRA est une police d'assurance financée au tiers par les agriculteurs eux-mêmes. Le reste des fonds vient de Québec et d'Ottawa. L'ASRA a pour but de combler le manque à gagner des producteurs durant les années de vaches maigres et de renflouer les coffres du compte assurable lors des bonnes années. Ce programme a permis de combler un écart de 45 % entre le revenu d'un agriculteur et celui d'un enseignant ou d'un comptable. Elle a aussi doté le Québec d'une balance commerciale agricole positive. " Mais en 30 ans, le paysage agricole s'est polarisé. Un petit nombre de fermes (26 %) produit l'essentiel de la production (80 %) destinée à des marchés de masse. Cependant, un nombre important de petites fermes sollicitent un marché de proximité ou offrent des produits à haute valeur ajoutée qui font carburer l'économie régionale ", note Michel R. Saint-Pierre dans son rapport publié en mars 2009. Trois productions ont raflé la mise de fonds injectée par l'État dans l'ASRA depuis ses débuts : le porc, le boeuf et le maïs. Dans son plan de redressement, le ministre Béchard change les règles du jeu.

Le porc, encore dans la tempête

En effet, comment expliquer que le Québec produise autant de porc en pleine crise ? C'est qu'au fil du temps, selon Michel R. Saint-Pierre, l'ASRA a engendré une série d'effets négatifs. Au premier chef : l'absence des signaux du marché. " Le prix généreux offert aux producteurs par l'assurance québécoise s'est substitué au prix du marché ", dit-il. Même en période de crise, les productions de porc, de maïs-grain ou d'agneau ont connu des hausses de volumes oscillant entre 300 et 450 %, soutient-il. Il existe aussi un gouffre entre les entreprises les plus performantes et celles qui le sont moins. Au chapitre de la production porcine, les meilleurs producteurs de porc auraient eu besoin en 2007 de 0,40 dollar par tête, et les moins performants, de 37,55 dollars pour rester en affaires (voir le tableau de la page suivante). " Or, ils ont tous reçu la même compensation par animal. "

Michel R. Saint-Pierre ajoute que les exportateurs de viande porcine peuvent se féliciter du fait que les aides généreuses de l'ASRA sont diluées dans les aides canadiennes, car elles ne passeraient jamais la rampe à l'OMC. Selon plusieurs experts, la production porcine québécoise a atteint ses limites.

Mauice Doyon, spécialiste en marketing agroalimentaire et en économie internationale à l'Université Laval, estime que la qualité de la production du Brésil et des États-Unis a rattrapé, sinon dépassé, celle du porc québécois vendu dans les marchés internationaux. De plus, à peine 2 % du territoire québécois est cultivable. Le professeur ne croit pas que le Québec puisse concurrencer ces deux Goliath agroalimentaires en s'appuyant sur le volume de production. Le salut de cette filière repose plutôt sur le développement d'un marché niche, " un porc qui a une spécificité nordique, par exemple, grâce à son poids, à la couleur de sa viande, et à son élevage avec ou sans antibiotiques ".

Pour produire un tel animal, dit l'expert, le meilleur système est l'intégration verticale, parce qu'elle permet de contrôler les coûts de production et la qualité de la viande, de la ferme à l'abattoir. La question est politique : " Que deviennent les producteurs indépendants qui ont investi leur vie dans leur entreprise ? " se demande-t-il

Pour réduire la pression de la production porcine sur l'aide de l'État, le ministre Béchard impose un plafond de sept millions au nombre de porcs assurables au lieu des 7,8 millions de bêtes produites en 2008 et en 2009. De plus, les producteurs importants verront leur cotisation à l'ASRA passer du tiers à 50 %. Selon le ministre, 131 entreprises porcines sont touchées par cette mesure. Claude Béchard se défend d'imposer " un moratoire ". Cependant, une fois ce nombre dépassé, les entreprises désireuses de produire plus de bêtes le feront à leurs propres risques.

Il n'a pas été possible de recueillir les impressions d'Yvan Lacroix, président directeur général de l'Association québécoise des industries de nutrition animale et céréalière (Aqinac), à la suite de l'annonce du plan de redressement de Claude Béchard avant de mettre sous presse. Toutefois, au cours d'une entrevue précédente, Yvan Lacroix, dont l'association regroupe les producteurs et intégrateurs importants, dont la Coop Fédérée propriétaire d'Olymel, indiquait que le Québec produit environ 35 % des porcs de créneau.

L'homme d'affaires rappelait que le Québec a misé à plein sur la production porcine en 1996 sous le leadership de l'ancien premier ministre, Lucien Bouchard. À l'époque, le mantra était de doubler les exportations pour nourrir le monde. Yvan Lacroix prévoyait qu'en raison de la réduction du nombre de porcs assurables (entre 500 000 et 600 000) envisagée par Québec, des fermetures d'abattoirs n'étaient pas exclues.

Québec impose un plafond à l'aide de l'ASRA non seulement dans la production porcine mais dans toutes les productions admissibles. De plus, le calcul du prix stabilisé octroyé aux producteurs se fera en fonction du coût de production de 75 % des entreprises les plus efficaces. Ce calcul tiendra compte des particularités et des conditions régionales. Grâce à ces nouvelles mesures, Québec entend économiser 16 millions de dollars par an.

Du steak " québécois " 

Depuis 30 ans, le Québec a dépensé 2,5 milliards de dollars pour mettre un steak " québécois " dans son assiette. Selon la Fédération des producteurs de bovins du Québec (FPBQ), le taux d'autosuffisance en viande de boeuf de la Belle Province serait de 40 %. Or, il est impossible de connaître l'origine du beefsteak vendu dans les étals réfrigérés des chaînes d'épicerie Métro, Sobeys et Loblaw : Brésil ? Uruguay ? États-Unis ? Alberta ?

Pendant six jours, Commerce a accompagné un livreur de bétail à bord de son camion pour suivre à la trace le boeuf québécois. Le bétail bien gras quitte la province pour les abattoirs de l'Ontario ou des États-Unis. La raison : il n'y a plus d'abattoirs de boeufs suffisamment importants au Québec. Le dernier a fait faillite en 2007. Ce n'est pas tout. Le camion poursuit son chemin à vide pour ramener des veaux de la Saskatchewan, car le Québec n'en produit pas assez. De retour au Québec, ces jeunes animaux sont engraissés au maïs, aliment miracle qui est au boeuf ce que les épinards sont à Popeye. Après quelques mois de ce régime énergétique, ils reprendront la route vers les abattoirs ontariens ou américains. Le circuit est bouclé : 6 150 kilomètres au compteur

" Cela n'a tout simplement pas de bon sens de nourrir des bêtes au maïs et de les faire abattre à des milliers de kilomètres ! commente Gilles Saint-Laurent, président de la coopérative Natur'Boeuf du Bas-Saint-Laurent. Nous avons misé sur les circuits courts pour sauver nos entreprises. Nous achetons nos veaux, nous les élevons et nous les vendons dans la région.

En réduisant le kilométrage alimentaire qui contribue aux gaz à effet de serre (GES), les cinq éleveurs de la coopérative Natur'Boeuf misent sur un boeuf " Kyoto ", élevé à l'herbe, sans maïs modifié génétiquement et sans hormones de croissance. Ce steak se vend en moyenne 14 % plus cher qu'un steak d'origine inconnue et offert dans les comptoirs de l'épicier régional GP, récemment acquis par Métro. Gilles Saint-Laurent, qui ne vend que 1 500 bouvillons des quelque 200 000 bouvillons produits annuellement au Québec, aimerait que le soutien de l'ASRA soit adapté pour aider les éleveurs de bouvillons en région. Une étude commandée par le groupe de producteurs indique que ce petit circuit génère 19 millions de dollars de retombées économiques dans le Bas-Saint-Laurent.

Serait-il possible de repenser l'aide de l'État pour favoriser la production régionale de viande de boeuf ? " Le boeuf nourri à l'herbe, je n'y crois pas, répond le président de la Fédération des producteurs de bovins du Québec (FPBQ), Michel Dessureault. Pensez-vous que les Québécois paieraient leur viande plus cher ? On se débat d'abord dans un marché de commodités. Le vrai patron, c'est le prix. Ensuite, notre filière repose sur le maïs. " Michel Dessureault affirme pourtant que l'avenir du boeuf québécois passe aussi par le développement d'un produit de créneau. Et il étudie la possibilité d'exporter du boeuf élevé sans hormones de croissance vers l'Union européenne.

Autre donne essentielle pour la réussite " d'un boeuf québécois ", selon Michel Dessureault : le Québec a besoin d'un abattoir d'envergure pour offrir un seul comptoir de viande québécoise aux trois grands épiciers. La FPBQ a mis la main sur Lévinoff Colbex en 2004, en pleine crise de la vache folle, au coût de 62 millions de dollars. L'usine abat environ 2 800 animaux de réforme, soit de vieilles vaches en fin de vie ou de jeunes animaux qui ne peuvent pas contribuer à l'amélioration génétique des troupeaux et dont la viande se retrouvera entre autres dans les hamburgers McDonald's.

Depuis peu cependant, l'abattoir traite 200 bouvillons de boucherie par semaine qui sont destinés au marché japonais et augmentera sa cadence à 1 000 têtes par semaine en 2010. Toutefois, l'usine accuse un déficit cumulé en 2008-2009 de plus de 10 millions de dollars. Ottawa vient de lui accorder un prêt de 9,6 millions de dollars, à condition que ses administrateurs mettent de l'ordre dans les finances. Quant à Québec, il devra décider, dans l'élaboration de sa nouvelle politique agricole, s'il mise en partie sur la production d'un boeuf nourri à l'herbe.

Diversifier l'agriculture

" L'aide de l'État doit être une mesure de soutien social qui permet de soutenir l'approvisionnement alimentaire sur tout le territoire. Ce n'est pas seulement une question de volume ! " affirme l'agronome Claire Bolduc, présidente de Solidarité Rurale, un organisme voué à enrayer le déclin des zones rurales en pariant sur le développement durable des régions. Elle se dit enchantée du cap sur la diversification mis par le ministre Béchard, qui est également député de Kamouraska-Temiscouata et ministre responsable de la région du Bas-Saint-Laurent. Ce dernier entend " casser le système " qui a permis que 7 % des grandes fermes porcines touchent 46 % de l'aide de l'ASRA et que 8 % des grandes fermes de bouvillons perçoivent près de 63 % de cette aide.

Ces deux grands secteurs de production animale sont directement liés à la culture du maïs, une plante qui s'enracine dans la chaleur et dans la lumière du centre du Québec, mais qui est très frileuse en région. Résultat : cette culture a engendré de fortes disparités régionales. Quatre régions - Montérégie, Centre du Québec, Chaudière-Appalache et Estrie - ont engrangé 70 % des compensations de l'ASRA depuis dix ans.

Les producteurs québécois de maïs ont engrangé la part du lion de l'aide de l'État allouée aux productions végétales. Après des années de misère, le marché récompense enfin leur labeur. Mais si le prix du maïs a rebondi depuis deux ans, c'est grâce à la politique énergétique de l'ancien président américain George W. Bush, qui a misé sur l'éthanol produit à partir du maïs pour sevrer l'Amérique de sa dépendance au pétrole " des pays ennemis ".

Claude Béchard entend soutenir la croissance des entreprises agricoles du Québec sur d'autres bases que l'ASRA. Près de 42 % de l'aide de l'État seront dorénavant alloués à un programme destiné à aider les plus petites fermes et le développement de nouvelles productions, et favorisera l'occupation du territoire. Un changement important, note le ministre, puisque les producteurs d'aquaculture commerciale, les maraîchers et les jardiniers, jusque-là ignorés, adhérent à ce programme.

Quant à la somme de 20 millions de dollars par an octroyée au MAPAQ, elle servira en partie à compenser les producteurs de porcs désireux de délaisser cette production. Ce montant servira également à seconder les 25 % des entreprises des autres secteurs traditionnels qui se trouvent à la traîne et qui voudraient changer de vocation.

Cette enveloppe de 100 millions de dollars sur cinq ans servira aussi à favoriser une agriculture multifonctionnelle grâce à la mise en place de programmes et de contrats d'entretien du paysage, de protection des cours d'eau et le développement notamment de la filière biologique, par exemple. " J'ai l'impression que le ministre Béchard vient de réparer les pots cassés de l'UPA. Ces changements majeurs apportés à l'ASRA dégraissent l'ancien système pour pouvoir bonifier la nouvelle agriculture ", commente Benoît Girouard, président de l'Union Paysanne, un groupe qui vise à démanteler le monopole syndical de l'UPA.

La réaction de l'UPA

Invité à commenter les changements imposés par Québec, le président de l'UPA, Christian Lacasse, a indiqué: " C'est une bonne nouvelle. On dissipe l'inquiétude des producteurs quant à l'avenir des programmes de sécurité de revenus fondés sur les coûts de production. Depuis deux ans, nous avions peur que l'ASRA soit liquidée. L'autre changement, c'est qu'on couvre tous les secteurs de production, cela fait dix ans que nous le réclamions. Mais en diminuant le budget de La Financière de 100 millions de dollars, nous voulons savoir quelles sont les productions les plus à risque et quelles seront les régions les plus touchées ".

Claude Béchard a aussi annoncé de nouveaux outils pour aider la relève agricole et le transfert de ferme, dont un fond de capital patient mis en place avec différents partenaires financiers. Selon lui, cette batterie de nouvelles mesures redonnera du dynamisme au secteur bioalimentaire québécois. Le traitement de choc imposé à la Financière agricole et à l'ASRA donne un avant-goût de la nouvelle politique agricole que Québec doit annoncer au printemps 2010.

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