Norbourg : l'alarme sonnée dès 2002

Publié le 02/07/2009 à 00:00

Norbourg : l'alarme sonnée dès 2002

Publié le 02/07/2009 à 00:00

Il faudra cependant deux ans avant que l’Autorité des marchés financiers ne lance son enquête.

Les témoignages des inspecteurs de l’ancienne Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ), devenue l’Autorité des marchés financiers (AMF) en 2004, sont éloquents. Interrogés plus tôt cette année dans le cadre de la demande en recours collectif intentée par des investisseurs floués de Norbourg contre l’AMF, les inspecteurs relatent que leurs tentatives de lancer une enquête sur les activités de Vincent Lacroix ont été mises au rancart et ce, dès 2002.

Ces témoignages sont repris dans la réponse faite à la défense de l’AMF par les demandeurs Wilhelm Pellemans et Michel Vézina, le 15 juin dernier, dont Finance et Investissement a obtenu copie. C'est en octobre 2006 qu'un recours collectif de 130 M$ est intenté par MM. Pellemans et Vézina au nom des 9200 investisseurs de Norbourg contre les sociétés KPMG, Concentra Trust, Northern Trust et l'AMF.

De ces témoignages, il appert qu’à plusieurs reprises entre 2002 et 2004, les inspecteurs ont alerté leurs supérieurs sur la nécessité de lancer une enquête sur Norbourg, où toutes les apparences montraient que des détournements de fonds, de la falsification de documents et de l’évasion fiscale avaient cours.

Par exemple, en septembre 2003, l’inspecteur Vincent Mascolo, qui a conduit la première inspection de Norbourg en 2002, envoie une note de service à son chef, Pierre Bettez, alors directeur de la conformité et de l’application de l’AMF, alléguant «qu’il serait peut-être adéquat que la CVMQ enquête sur la probité du conseiller [Lacroix] ou qu’elle avise les autorités concernées que l’inspection a révélé des interrogations sur la provenance des fonds ayant financés [sic] les activités de la firme».

Vincent Mascolo soutient de plus que, selon toute vraisemblance, Vincent Lacroix fait de l’évasion fiscale. Le dossier échoit alors à l’inspecteur André Gagnier, qui a pour tâche d’évaluer l’opportunité de tenir une enquête. Ce dernier conclut que le dossier Norbourg ne « scorait pas haut au niveau de la grille d’évaluation », peut-on lire dans la réponse à la défense de l’AMF.

Malgré cela, écrivent les avocats Serge Létourneau et Jacques Larochelle dans leur réponse à l’AMF, André Gagnier est d’avis qu’il « n’y avait pas matière à enquête ». En interrogatoire, André Gagnier relate que concernant le possible blanchiment d’argent, « c’est une enquête qui nécessitera pas mal de temps, pas mal d’argent, pas mal de monde, ça se justifiait pas [sic] en regard de ce qui apparaissait là-dedans ».

C’est contraire à la conclusion du précédent directeur de la conformité et de l’application, Jean Lorrain, qui estimait nécessaire de lancer une enquête sur Norbourg dès 2002. Il se réfère alors au chef du contentieux de l’époque, Jean Villeneuve. Lorsqu’on lui demande si on a donné suite à sa recommandation, Jean Lorrain répond, lors de son interrogatoire de novembre 2008 cité dans la réponse à la défense de l’AMF, « je ne crois pas ». En septembre 2003, Jean Lorrain est toujours d’avis qu’il « y a une inquiétude majeure » au sujet de la provenance des fonds de Norbourg.

La Banque Nationale intervient

Par ailleurs, en avril 2004, la Banque Nationale avait avisé le directeur de la conformité et de l’application de l’AMF, Pierre Bettez, que Vincent Lacroix détournait de l’argent. Pierre Bettez aurait alors avisé la Sûreté du Québec, mais pas ses employeurs, l’AMF. Dans son témoignage, Pierre Bettez qualifie pourtant Lacroix de « bandit ».

Lorsqu’il reprend ses fonctions à la Sûreté du Québec, en 2005, Pierre Bettez reçoit une copie du rapport émis par le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) qui détaille toutes les opérations douteuses de Lacroix. Remis à Claire Lewis, alors directrice des enquêtes et du contentieux à l’AMF, en avril 2005, le rapport s’égare dans son bureau.

De plus, le chef du service des inspections et des enquêtes de l’AMF, Réginald Michiels, aurait lui aussi reçu ce rapport au printemps 2005, mais « n’a fait suivre le rapport Canafe à personne, n’en a discuté avec aucun de ses collègues et l’a simplement envoyé… à la déchiqueteuse », lit-on dans la réponse à la défense de l’AMF.

Ce rapport prendra une importance toute particulière dans l’enquête sur les détournements de fonds de Vincent Lacroix, puisqu’il recense plusieurs transactions douteuses effectuées par l’ex-patron de Norbourg.

L'AMF se défend

Dans sa défense, déposée à l’été 2008, l'AMF nie pourtant avoir fait preuve de négligence et rejette toute responsabilité dans les détournements de fonds effectués par Vincent Lacroix [ lire « Non coupables », plaident KPMG et l'AMF, Finance et Investissement, septembre 2008]. Une inspection ayant duré d'octobre 2002 à septembre 2003, « quoique diligente et exhaustive », ne révèle rien d'autre que certaines infractions techniques, peut-on lire dans la défense de l’AMF.

Cette dernière dit cependant avoir lancé une pré-enquête en octobre 2003, qui aurait conclu que les hypothèses « selon lesquelles Vincent Lacroix se finance grâce à des activités criminelles en Europe ne sont que des rumeurs ». Par ailleurs, elle plaide que dès qu'elle a eu une compréhension adéquate de la fraude, soit vers la mi-août 2005, à la suite de la délation de l'ancien bras droit de Vincent Lacroix, Éric Asselin, elle a tout mis en oeuvre pour que la fraude cesse.

Ces prétentions semblent toutefois contredites par les témoignages des inspecteurs de l’AMF. Ainsi, non seulement le rapport d’inspection soumis en décembre 2002 par Vincent Mascolo fait-il état « d’une situation étrange où le conseiller peut financer ses opérations à l’aide des fonds d’un de ses clients », mais l’inspecteur note en outre que « rien nous prouve [sic] qu’ils [les rapports du gardien des valeurs Northern Trust] n’ont pas été retouchés par [Norbourg Services financiers] ».

Ce rapport servira finalement de base à l’enquête lancée par l’AMF en octobre 2004, soutiennent les avocats Létourneau et Larochelle, qui pilotent le recours collectif contre l’AMF. Selon eux, « la haute direction de l’AMF a plutôt choisi de se traîner les pieds et n’a rien fait pour protéger le public ».

La genèse des fonds Norbourg

Lorsque Vincent Lacroix projette l’acquisition de Maxima Capital, au début 2001, le directeur de la conformité et de l’application de la CVMQ à l’époque, Jean Lorrain, « entretient de sérieux doutes sur la provenance des capitaux dont Lacroix dispose pour réaliser l’acquisition », peut-on lire dans la réponse des demandeurs à la défense de l’AMF.

À l’époque, « les états financiers de [Norbourg] sont peu reluisants et le financement de l’acquisition ne peut avoir lieu que par l’apport de capitaux extérieurs ». Vincent Lacroix aurait alors prétendu que ses oncles finançaient les 1,2 M$ nécessaires à la transaction. Peu convaincu, Jean Lorrain exige les états financiers de Norbourg, qui ne lui seront jamais remis. Lacroix renoncera finalement à la transaction.

Puis, en mars 2001, Vincent Lacroix doit défrayer les 900 000 $ que coûtent les visas des six fonds Unilys et Unicyme qu’il lance alors et qui deviendront les Fonds Norbourg. Affichant des pertes de 400 000 $ l’année précédente, Norbourg ne dispose vraisemblablement pas des liquidités nécessaires pour payer les visas. Qu’à cela ne tienne, les oncles de Vincent Lacroix sont toujours présents et auraient investi au moins 150 000 $ pour deux des fonds.

Flairant la supercherie, Jean Lorrain mandate alors l’inspecteur Éric Asselin pour faire la lumière sur la provenance des fonds. Ce dernier, qui allait se joindre à Norbourg en 2002, aurait alors tenté d’obtenir « les relevés bancaires prouvant le décaissement de ces sommes, mais s’en est vu dissuader de ses supérieurs, sous prétexte qu’il poussait l’investigation trop loin », relate la réponse des demandeurs à la défense de l’AMF.

Les visas sont alors octroyés à Norbourg par la direction du marché des capitaux malgré les réserves entretenues par la direction de l’application et de la conformité, notent les avocats des demandeurs, Serge Létourneau et Jacques Larochelle.

La première inspection

À l’automne 2002, Éric Asselin quitte la CVMQ pour un poste de vice-président chez Norbourg. Il n’en fallait pas plus que le directeur de la conformité et de l’application, Jean Lorrain, enclenche une inspection formelle des activités de Norbourg. Dans son témoignage repris dans la réplique à la défense de l’AMF, Jean Lorrain explique que ses inquiétudes au sujet de Norbourg ont augmenté d’un cran lorsqu’Éric Asselin a fait défection vers Norbourg.

Affectant Marie-France Cloutier, Vincent Mascolo et Aubert Gagné à l’inspection, Jean Lorrain informe ces derniers que le nouveau vice-président de Norbourg, ex-inspecteur de la CVMQ, est au courant de bien des choses.

Cette inspection relève que pour expliquer les millions de dollars retirés des comptes gérés par Norbourg, Vincent Lacroix produit une convention de gestion élaborée entre lui-même et une société suisse, Tercio Trust. Selon cette convention, Vincent Lacroix est « autorisé à puiser des avances à peu près illimitées sur les 30 M$ qui lui son confiés », écrivent les avocats Larochelle et Létourneau. Selon eux, au moment de l’inspection, 7,1 M$ sont puisés à même les comptes de Tercio Trust et servent à financer Norbourg, ainsi que la résidence et le condo de Vincent Lacroix.

« Même si l’argent a transité par le compte bancaire de NSF [Norbourg Services Financiers], cet argent a été utilisé à de nombreuses fins personnelles », auraient écrit les inspecteurs dans leur rapport de décembre 2002. Ils constatent de plus que ce ne sont pas toutes les sommes qui auraient été déposées dans le compte de Norbourg. Ils observent enfin qu’en deux ans, « M. Lacroix a pu rapatrier au Canada des fonds suisses qui lui procurent désormais un excellent bilan financier personnel… »

C’est au cours de cette même inspection que la CVMQ entretient des doutes sur l’authenticité des rapports produits par le gardien de valeurs Northern Trust. Est-ce qu’on pensait que Vincent Lacroix falsifiait ces rapports pour dissimuler ses prélèvements illégaux? « Bien, ça sous-entendait qu’on avait [sic] pas de preuves qu’il avait pas été retouché [sic] puisque c’était un document électronique », répond l’inspecteur Macolo lors de son interrogatoire.

Lorsqu’on lui demande s’il a fait des démarches pour obtenir confirmation des sommes détenues par Northern Trust, Vincent Mascolo ajoute : « On en a discuté, on a été jusqu’à Me [Jean] Villeneuve, le directeur du contentieux. [Il] nous a suggéré de ne pas faire de confirmation à l’externe dans un mandat d’inspection. »

Une progression fulgurante

Lorsque Finance et Investissement publie « Le mystère Norbourg », en juin 2004, un article faisant état des questions soulevées par l’importante croissance que connaît la firme, l’inspecteur Mascolo réitère ses craintes au sujet de Vincent Lacroix.

« Cet article soulève la même question que le rapport d’inspection […] », écrit Mascolo dans une note de service citée dans la réponse à la défense de l’AMF. « Il en ressort que la provenance des fonds qui a permis la fulgurante croissance de cette firme est un mystère pour tout le monde, y compris les journalistes et les gens de l’industrie. […] Il est aussi intéressant de constater que de son propre aveu, M. Vincent Lacroix gagne désormais un revenu annuel dans les 7 chiffres… […] lors de notre inspection en 2003, le salaire de Lacroix ne semblait pas dépasser les 100 000 $. »

Et encore une fois, Vincent Mascolo signale qu’il lui semble que la probité du conseiller Vincent Lacroix doit être évaluée par l’AMF.

En août 2004, quand Vincent Lacroix veut acquérir Services Financiers DR Inc., l’AMF demande d’où proviendront les fonds pour réaliser la transaction. Un analyste de l’AMF, Thomas Cockburn, demande ainsi aux avocats de Norbourg la source des fonds utilisés pour payer l’acquisiton. Les avocats de Norbourg expliquent « que les fonds requis […] se trouvent sous écrou dans un compte en fiducie », relate la réponse à la défense de l’AMF.

L’analyste Cockburn conclut donc la même chose que son collègue Mascolo deux ans plus tôt, à savoir que la provenance des fonds pour la transaction l’inquiète.

Pour le chef de l’inscription Claude Lessard, qui chercherait alors des motifs de refuser l’approbation demandée par Vincent Lacroix pour cette transaction, voilà un motif sérieux de refuser la demande de Norbourg.

Claude Lessard contacte alors le service des enquêtes, où André Gagnier et Michel Vadnais sont en charge de la pré-enquête sur Norbourg. Michel Vadnais répond qu’il ne voit « aucun motif de refus [de la transaction], puisque son mandat de pré-enquête n’est pas encore … commencé », écrivent les avocats Létourneau et Larochelle.

Toujours inquiet, Claude Lessard refuse l’approbation à Vincent Lacroix. Le dossier est alors transféré aux affaires juridiques de l’AMF. « Contre toute attente et sans vérification ou analyse additionnelle, l’AMF approuve malgré l’avis de Cockburn et de Lessard la prise de position importante de Norbourg [dans Services financiers DR] », lit-on dans la réponse à la défense de l’AMF.

Vincent Lacroix aurait ainsi mis la main sur une cagnotte de quelque 82 M$. et de septembre 2004 à août 2005, il aurait ainsi détourné plus de 42 M$.

C’est pourtant l’analyse de Thomas Cockburn qui suscitera du remous au sein de l’AMF. Le 28 octobre 2004, une ordonnance d’enquête est rendue à l’endroit de Norbourg.

Appelée à commenter, l'AMF répond «que notre dossier est prêt et que nous nous défendrons», précise son porte-parole Sylvain Théberge. Quant au ministre des Finances, Raymond Bachand, de qui relève le régulateur, le fait que le dossier soit devant les tribunaux l'empêche de commenter, nous a-t-on dit à son cabinet.

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