De président de la bourse à économiste durable

Publié le 20/11/2008 à 00:00

De président de la bourse à économiste durable

Publié le 20/11/2008 à 00:00

Par François Rochon
Il y a un an, vous quittiez un poste prestigieux au sein du groupe NYSE Euronext. Pourquoi ?

En tant qu'économiste, j’ai eu la chance d’œuvrer à des réformes visant à rendre les marchés financiers plus efficaces : le marché de la dette publique d’abord, pour réduire la charge du contribuable, puis les marchés boursiers, pour internationaliser les infrastructures de marché. J’avais le sentiment d’avoir fait mon travail et, surtout, l’envie de prendre du recul et de me questionner de nouveau sur mes priorités : qu’est-ce que j’avais envie de faire à 50 ans, en tant qu’économiste, citoyen, et père de deux ados ? J’ai retenu deux défis qui me tiennent à coeur : aider au rattrapage économique de la Wallonie, la région qui m’a nourri, et faire ma part pour répondre aux défis climatiques et environnementaux, qui imposent partout de réinventer nos modèles de vie.

Et qu’est-ce que cela donne aujourd’hui, concrètement ?

Sans me limiter exclusivement au secteur du développement durable, j’y ai pour l’instant des activités très complémentaires :

-La cogénération à partir de biomasse, par mon engagement dans la société Xylowatt (www.xylowatt.com) et d’autres projets connexes ;

-L’évaluation de l’empreinte carbone et la compensation, par mon engagement dans la société Climact (www.climact.com) ;

-La formation à la gestion durable, par mon engagement dans l’initiative Carbon Challenge (www.carbonchal lenge.net) ;

-La réhabilitation des sols avec le fonds Ginkgo, un fonds monté par l’entreprise Benjamin de Rothschild et BeCitizen (www.becitizen.com) qui vise à investir dans la dépollution des sols et dans le développement de projets immobiliers durables.

Est-ce un moyen d’exorciser vos fonctions précédentes, où les vedettes étaient plutôt les pétrolières ou encore des entreprises énergétivores ?

Il ne faut pas diaboliser les marchés financiers et opposer les deux logiques. Au contraire, l’effort pour relever le défi climatique est tellement énorme qu’il faut aligner les intérêts des entreprises et des investisseurs, et le développement durable. C’est tout le sens de Kyoto et du post-Kyoto. Si les gouvernements ont un rôle déterminant dans ce domaine, et en espérant qu’ils s’entendent pour mettre en place des règles de jeu cohérentes, prévisibles à long terme et harmonisées sur le plan mondial, c’est dans les board rooms que se prendront les décisions qui accorderont les ressources massives indispensables pour réorienter nos sources d’énergie, redessiner nos processus de production et de distribution, investir dans les économies d’énergie, financer la R-D, etc.

Vu l’ampleur du problème, ce n’est pas en se fondant sur le volontariat, la bonne conscience individuelle ou collective ou même la pure contrainte que l’on gagnera la partie. Chacune de ces dimensions est utile, mais l’effet de masse nécessaire est tel qu’il faut créer les conditions dans lesquelles l’intérêt économique mène à des comportements qui sont compatibles avec le développement durable, voire qui contribuent à « réparer la planète » pour reprendre le titre de l’excellent ouvrage de Maximilien Rouer(1).

Quel regard portez-vous alors sur les nouveaux modèles économiques, financiers et de gestion qui se mettent en place en Europe et ailleurs dans le monde pour répondre au défi du développement durable ?

Je suis très partisan des mécanismes dits de « cap and trade », comme les quotas de CO² qui sont échangeables ou compensables en certificats Kyoto, pour autant qu’ils soient correctement conçus et que les règles de surveillance soient strictes. Ces mécanismes permettent d’accorder des ressources importantes là où les effets environnementaux sont les plus efficaces. Les Bourses du carbone sont, dans ce contexte, un dispositif utile.

Je partage à ce sujet la vision volontariste de l’Europe. Elle fait le pari que tous les pays n’auront tôt ou tard pas d’autre choix que de traiter le problème. En étant en avance, l’Europe aura développé une compétence particulière dans les technologies dont tout le monde aura bientôt besoin. C’est ainsi que des efforts importants sont déployés, par exemple, dans la R-D de nouveaux types de batteries, de réseaux électriques « intelligents » pour faciliter la production décentralisée, de biocarburants de deuxième génération, comme le tree-ethanol ou le carburant à base de micro-algues, etc.

Le développement durable est-il à votre avis une réelle préoccupation des entreprises ?

Absolument. Et cela devient même un avantage stratégique important. Par exemple, je constate qu’en ce qui concerne les aspects environnementaux, et plus particulièrement les questions de CO² et d’efficience énergétique, de plus en plus d’entreprises ont dépassé le stade du greenwashing et sont entrées dans des logiques de repositionnement stratégique de leurs affaires. Ce n’est certes pas par angélisme, et c’est tant mieux. Les entreprises se rendent compte que si la contrainte environnementale devient plus liante, cela se répercutera sur les conditions futures de rentabilité, par la progression conjointe des prix de l’énergie et de la tonne de CO². La question est : comment être plus malin que mes concurrents en termes de politique sur les produits, le mode de distribution, les sources énergétiques, pour être plus rentable qu’eux dans un environnement où le pétrole coûtera 250 dollars et la tonne de CO², 85 dollars, et où les clients seront hypersensibles à la protection de la biodiversité ?

Compte tenu de l’ampleur du défi mis en évidence par les rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), des tensions massives sur les prix des ressources, et de l’évolution des valeurs des consommateurs, nous sommes confrontés à une nouvelle révolution industrielle d’une ampleur plus grande encore que la révolution Internet, et qui nous oblige à repenser nos modèles.

Les entreprises commencent à comprendre qu’elles doivent être plus rapides et plus intelligentes que les autres face à ces nouveaux défis. Il appartient aux États de se mettre d’accord sur des signaux simples et cohérents pour ne pas laisser place au doute, mais pour, au contraire, stimuler cette saine émulation.

1. Réparer la planète : la révolution de l’économie positive, par Maximilien Rouer et Anne Gouyon, publié en 2007 chez Lattes. Maximilien Rouer est président-directeur général, associé et cofondateur de BeCitizen.

Magazine Vision Durable, novembre 2008

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