Philippe ­Ithurbide: «­Les occasions sont en ­Europe et dans les marchés émergents»


Édition du 15 Juin 2019

Philippe ­Ithurbide: «­Les occasions sont en ­Europe et dans les marchés émergents»


Édition du 15 Juin 2019

Par Dominique Beauchamp

Après avoir travaillé 17 ans à la Société Générale et 4 ans à la Caisse de dépôt et placement du Québec, Philippe Ithurbide a joint Amundi Asset Management en 2010 à titre de responsable mondial de la recherche, de l’analyse et de la stratégie.

MARCHÉ EN ACTION. DOMINIQUE BEAUCHAMP - Sur quoi repose votre scénario central qui prévoit une croissance mondiale multivitesses, sans récession imminente ?

PHILIPPE ITHURPIDE - Notre horizon de deux ans ne prévoit pas de récession, bien que les probabilités augmentent en raison de la détérioration de la confrontation commerciale entre les États-Unis et la Chine. À ce stade, il faut être sélectif dans ses choix de placements parce qu'il est risqué de faire de grands paris entre les classes d'actifs qui s'influencent les unes les autres, et bougent en bloc. Par contre, derrière les grands indices, il y a des occasions puisque la performance des titres individuels diverge plus qu'auparavant, si bien que les fluctuations peuvent offrir des occasions d'achat.

D.B. - La rechute des taux obligataires n'est-elle pas un signal clair de récession prochaine ?

P.I. - Malgré sa réputation, le marché obligataire n'est pas plus prévoyant que la Bourse. La rechute des taux provient en partie de l'intervention sans précédent des banques centrales, ce qui déforme le portrait. Les taux baissent parce que l'inflation recule depuis la crise, mais ce n'est pas nécessairement un signal fiable de récession. Les taux sont négatifs au Japon, mais il n'y a pas eu de crise. En Allemagne, le gouvernement n'émet plus d'obligations, ce qui gonfle le cours des titres en circulation et fait tomber leur rendement sous zéro.

D.B. - Quels facteurs appuient votre optimisme prudent ?

P.I. - Depuis deux mois, nous réduisons le risque en portefeuille parce que l'environnement s'est dégradé. Cela dit, le recul mondial des taux d'intérêt diminue le coût d'emprunt des gouvernements, des sociétés et des consommateurs. La dette augmente partout, mais les faibles taux diminuent le risque de solvabilité. Les gouvernements disposent donc de plus de marge de manoeuvre qu'auparavant pour mener leur politique budgétaire et ainsi soutenir leur économie au besoin.

D.B. - L'Europe fait partie des marchés que vous trouvez attrayants malgré la mauvaise conjoncture. Pourquoi ?

P.I. - Parmi les marchés mondiaux, l'Europe est encore boudée. Le consensus très défavorable provient surtout d'une mauvaise lecture du portrait politique. Contrairement à la croyance générale, le populisme, tant de gauche que de droite, est encore minoritaire, ce qui signifie que les alliances politiques sont encore possibles. En d'autres mots, la situation politique n'est pas aussi noire qu'on le croit, ce qui laisse un espace à l'économie et aux entreprises pour reprendre du mieux. Le cycle économique y est moins avancé qu'aux États-Unis. De plus, l'Europe regorge de sociétés de qualité qui versent de solides dividendes et qui sont peu touchées par les tensions commerciales, en Espagne au Portugal, aux Pays-Bas, par exemple. Même les sociétés cycliques paient leurs dividendes au creux du cycle.

D.B. - Le même raisonnement s'applique-t-il aux marchés émergents ?

P.I. - Dans ces marchés, il est aussi possible de trouver son compte dans les pays peu sensibles à la crise commerciale ou au risque des tarifs automobiles. Il s'agit de cibler les occasions quand elles surviennent dans les régions ou les pays dont la croissance provient surtout de l'économie interne, en Amérique latine (Pérou) et en Europe de l'Est (République tchèque) en guise d'exemples. En revanche, on évite les marchés plus vulnérables aux flots de capitaux tels que ceux de l'Afrique du Sud, de la Hongrie ou de la Turquie. Dans l'ensemble, l'évaluation des marchés émergents est attrayante par rapport à celle des marchés développés. Ces marchés devraient aussi bénéficier du recul des taux et des mesures de relance chinoises.

D.B. - Comment figure la Chine dans ce portrait ?

P.I. - Nous ne sommes pas négatifs à l'égard de la Chine, bien que ce ne soit pas un réel marché libre. On ne peut écarter le risque d'être incapable d'y retirer ses billes en tant qu'investisseur. En revanche, la forte dette chinoise est à l'abri de chocs externes puisque l'épargne interne élevée des Chinois la finance. De plus, l'État dispose de tous les moyens pour protéger son économie et modifier les politiques à sa guise pour relancer la croissance. Sa croissance potentielle ralentit, mais nous ne prévoyons pas d'atterrissage en catastrophe de son économie, à moins d'un embrasement de la guerre commerciale.

D.B. - Quelle place faites-vous aux États-Unis en portefeuille ?

P.I. - Une récession nous apparaît improbable parce que le consommateur tient le coup tandis que la politique monétaire de la Fed est redevenue souple. En revanche, les taux y sont plus élevés qu'ailleurs et le cycle économique y est aussi plus avancé. Le ralentissement risque aussi de contracter les bénéfices, ce que les cours ne reflètent pas encore. Notre répartition accorde donc aux actions américaines une part légèrement inférieure à une répartition neutre. Nous évitons les secteurs surévalués des biens de consommation de base et des services aux collectivités et cherchons des occasions individuelles dans la technologie.

À la une

Et si les Américains changeaient d’avis?

Il y a 33 minutes | John Plassard

EXPERT INVITÉ. Environ 4 électeurs sur 10 âgés de 18 à 34 ans déclarent qu’ils pourraient changer leur vote.

Cuivre: le «roi des métaux verts» dépasse 10 000$US la tonne

13:27 | AFP

Le métal rouge est sous le feu des projecteurs depuis l’offre de rachat du géant BHP sur son rival Anglo American.

Le géant BHP fait une proposition de 31 milliards de livres pour Anglo American

Cet accord créerait le plus grand mineur de cuivre au monde.