Au Québec, 2 PME sur 3 tournent le dos à l'innovation!

Publié le 12/11/2019 à 10:11

Au Québec, 2 PME sur 3 tournent le dos à l'innovation!

Publié le 12/11/2019 à 10:11

Le monde bouge, sauf nos PME... (Photo: Harsh Chauhan/Unsplash)

CHRONIQUE. L’avenir. Il se prépare, il s’anticipe, il s’apprécie. Il se rêve avant de se concrétiser, à tout le moins pour ceux qui veulent voir demain leur sourire.

Le hic, c’est qu’au Québec 2 PME sur 3 ont arrêté de rêver, d’imaginer un avenir souriant pour elles! Oui, vous avez bien lu : les deux tiers des PME québécoises ont carrément tiré un trait sur l’innovation – et donc sur leur progression économique –, ayant pris la décision de ne plus rien débourser, ou presque, en recherche & développement (R&D), selon une étude fracassante menée par Léger pour le compte de QuébecInnove, Fonds de solidarité FTQ et EY.

Ainsi, 54% des PME d’ici ont reconnu que, l’an dernier, elles n’avaient pas dépensé le moindre dollar en R&D, et 15% d’entre elles, environ 1% de leur chiffre d’affaires. En conséquence, ce sont 69% des PME qui n’ont presque rien investi pour leur avenir.

À noter, au passage, que l’investissement moyen en R&D a néanmoins été de 3,6% du chiffre d’affaires à l’échelle du Québec. Si bien que l’innovation est aujourd’hui l’apanage d’une élite – 6% des PME ont investi plus de 10% de leur chiffre d’affaires en R&D, l’an dernier – et, malheureusement, une utopie aux yeux de la vaste majorité des dirigeants de PME.

Autre donnée qui mérite d’être mentionnée : certaines régions n’innovent quasiment plus du tout. Au Nord-du-Québec, 78% des PME n’ont effectué aucun investissement en R&D, l’an dernier. Sur la Côte-Nord, 65% ont dépensé zéro dollar et 14%, environ 1% de leur chiffre d’affaires. Et en Abitibi-Témiscamingue, les mêmes pourcentages sont respectivement de 63% et 20%.

Pourquoi tirer un trait aussi radical sur l’innovation? Asseyez-vous bien avant de découvrir le Top 5 qui suit:

1. Inutile d’innover. 64% des PME disent qu’elles n’ont «aucun besoin particulier d’innover».

2. Pas le temps pour ça. 11% des PME disent qu’elles «manquent de temps», qu’elles sont «trop occupées», ou encore qu’elles ont «d’autres priorités».

3. Pas le personnel pour ça. 8% disent qu’elles «manquent de personnel» pour pouvoir innover.

4. Pesanteurs administratives. 5% disent que «le cadre réglementaire n’est pas adéquat» pour leur permettre d’innover.

5. Absence de financement. 4% disent qu’elles ne disposent «pas de financement adéquat».

Autrement dit, la raison principale est que l’innovation, «ça ne sert à rien». Ce qui est le signe – disons le haut et fort – d’une vision à très court terme : ces PME-là n’ont visiblement aucun plan de développement, elles ne se soucient pas d’un avenir plus souriant, ni même d’assurer leur pérennité au fil des années. Le nez dans le guidon, elles pédalent le plus vite possible, en suivant aveuglément la route qui défile à toute vitesse devant elles. Une seule angoisse existentielle : se faire dépasser par la concurrence; et ce, sans réfléchir une seconde qu’il suffit d’un virage plus serré que les autres, ou même d’un gravier sur la route, pour qu’elles partent, d’un coup d’un seul, dans le décor…

Pas étonnant, par conséquent, qu’elles estiment également qu’elles n’on ni le temps ni les ressources pour innover. C’est qu’à force de pédaler à toute allure, elles ne voient pas comment elles pourraient faire pour relever un peu le nez et rouler un peu plus intelligemment. Deux données tirées de l’étude de Léger sont révélatrices à ce sujet:

– 57% des PME sont convaincues qu’elles n’ont pas à l’interne les talents nécessaires pour innover.

– 40% des PME qui innovent ne consultent jamais leurs employés en matière d’innovation.

Ce dénigrement du talent des employés est une grave erreur, comme le souligne Alain Denis, vice-président principal, investissements, du Fonds de solidarité FTQ : «Les entreprises devraient plutôt chercher à maximiser l’engagement des employés à chacune des étapes du processus d’innovation, dit-il. Car c’est en favorisant cette implication que s’installera une véritable culture d’innovation et que nos entreprises deviendront plus concurrentielles».

Idem, nombre de PME ont l’impression que les diverses réglementations en matière d’innovation leur mettent des bâtons dans les roues, et pis, que toute aide financière leur est inaccessible. Ce qui les amène à baisser les bras:

– Complexes. 64% des PME estiment que les différents programmes gouvernementaux d’aide ou de subvention en appui à la R&D sont «plutôt» ou «très» complexes.

– Inadaptés. 56% des PME considèrent que ces programmes-là ne sont «pas adaptés» à leurs besoins.

«Les deux tiers des entreprises ont de la difficulté à identifier les différents programmes gouvernementaux d’aide ou de subvention en appui à l’innovation qui seraient pertinents pour eux. Ce qui est anormal, de toute évidence», note Stéphanie Jean, fiscaliste et associée, d’EY Canada.

Et Isabelle Foisy, PDG de QuébecInnove, un organisme mandaté par le gouvernement du Québec afin d’accélérer l’innovation des entreprises, d’ajouter : «Le Québec est une économie de PME, et pourtant, quand on creuse les données, on s’aperçoit qu’il existe un angle mort : les PME de 25 à 100 employés peinent plus que les autres à accéder à des programmes d’aide et à des financements qui pourraient les aider à innover, ce qui nuit, par ricochet, à leur capacité à se projeter dans l’avenir», indique-t-elle.

Bref, tout va de travers en matière de R&D au Québec. D’une part, les entrepreneurs ne voient pas l’intérêt pour eux d’innover; ce qui est aberrant. D’autre part, l’appui gouvernemental est inefficace, car complexe et inadapté; ce qui est révoltant.

La question saute dès lors aux yeux : à quand une véritable politique d’innovation entrepreneuriale au Québec? Oui, à quand une véritable vision de développement économique à moyen et long terme? Pour information, l’étude de Léger est sortie il y a de cela plusieurs jours, et personne dans le gouvernement Legault ne s’est encore publiquement exprimé à son sujet…

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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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